Nouveau dictionnaire bambara-français
Le
bambara (
bamanankan) – la langue la plus parlée au
Mali – fait partie des parlers manding. L’ensemble des parlers manding appartient au groupe mandé. A l’intérieur du groupe mandé, les parlers manding sont classés pami les langues mandé de souche mandé-ouest. En ce qui est la classification externe des langues mandé, elles appartiennent à la famille Niger-Congo. Sous ses variantes proches, le bambara est aussi parlé au
Burkina Faso, en
Côte d’Ivoire et en
Guinée. Comme langue maternelle, et aussi, et de très loin, comme langue seconde, les trois quarts environ de la population malienne l’utilisent aujourd’hui, et on peut sans doute compter actuellent entre 15 et 20 millions de locuteurs. Plusieurs facteurs ont joué et continuent de jouer en sa faveur : le développement de l’administration, des communications et des voyages, et particulièrement les migrations saisonnières, l’expansion de la religion musulmane, l’essor du commerce, et enfin l’utilisation du bambara croissante sur les marchés ou dans les cours d’écoles. Le bambara constitue, avec le français, la seule langue qui couvre l’ensemble du territoire national. Si le français est la langue de la modernité et de l’écrit, le bambara, par rapport aux langues locales liées à l’oral et à la tradition, figure comme une autre langue d’accès à la modernité. La langue de l’ancien colonisateur, seule langue officielle de l’Etat malien à ce jour, mais très peu maîtrisée par et à peine intégrée dans la population malienne, et le bambara occupent une position privilégiée et progressent en se complétant plus qu’en se concurrençant : l’administration est en français, mais le fonctionnaire est l’ambassadeur et le cheval de Troie du bambara, en s’exprimant en bambara et non en français pour se faire comprendre. Ainsi, le bambara est, en quelque sorte, la seconde langue du pouvoir. Et n’oublions pas que les Maliens et Maliennes attachent beaucoup d’importance à leur histoire : le bambara est l’emblème d’un empire très connu encore aujourd’h ui, à savoir l’empire de Sunjata Keïta au XIIe siècle que la tradition orale manding – à travers ses griots – ne cesse de raconter et transmettre de génération en génération. Le bambara est ainsi le représentant direct de la grandeur du passé, et en garde le prestige incontestée. Il est donc à la fois une langue véhiculaire (lingua franca) et une langue de prestige et de culture. Ces deux fonctions lui attribuent un statut particulier, de plus, le bambara permet la promotion sociale ou individuelle, la langue de la ville, la langue de la radio (depuis 1991, le développement des radios privées s’est aussi beaucoup fait en faveur du bambara) et de la télévision.
Ce
nouveau dictionnaire bambara-français est fondé sur le bambara standard, donc celui des villes (surtout Bamako et Ségou). Il est très complet, de presque 1.200 pages. Son introduction, très précise (60 pages), indique de manière claire comment utiliser le dictionnaire et donne la liste des sources utilisées (33o sources différentes en total) : écrites et orales, anciennes et actuelles, en bambara standard et en bambara local, publiées et inédites, telles que lexiques et dictionnaires, manuels et grammaires du bambara en français et en bambara, travaux de description linguistiques, textes littéraires de griots et de conteurs, récits cynégétiques, recueils de proverbes, romans et nouvelles, pièces de théâtre, émissions de radio, informations recueillies auprès de locuteurs ailleurs qu’à Dougoukouna, textes enregistrés auprès de personnes âgées du village de Dougoukouna (village situé à 10 kms de Ségou, en plein milieu de l’ancien Royaume bambara de Ségou), littératures ethnologique et historique, journaux et revues, brochures de post-alphabétisation, brochures religieuses musulmanes et chrétiennes, documents pédagogiques pour les écoles en bambara, ouvrages et articles scientifiques, etc. etc. etc. Précisément, les sources les plus utilisées sont les suivantes : les enquêtes de longue haleine à Dougoukouna, les dictionnaires du Père Charles Bailleul ("
Dictionnaire bambara-français", 3e édition corrigée [et toutes les éditions antérieures, ainsi que le dictionnaire français-bambara] ; voir la note 1 en bas de page), le recueil de proverbes du même auteur ("
Sagesse bambara, proverbes et sentences" ; voir la note 2 en bas de page) et le "
Kibaru", premier et principal journal en bambara, qui, depuis 1972, fournit une documentation abondante : à ce jour près de 500 numéros, soit environ 5.000 pages de texte.
Donc, la quasi-totalité de cet ouvrage est consacrée à la partie principale, les entrées présentées dans l’alphabet officiel (1.000 pages). A la fin de l’ouvrage, on trouve un index abrégé français-bambara (120 pages). En ce qui est l’entrée bambara dans le détail, sa présentation suit selon plusieurs différentes rubriques : 1. d’abord, l’entrée lexicale est présentée en gras et en notation des tons, suivie éventuellement d’indications phonétiques entre crochets sur la prononciation du terme ; 2. l’appartenance grammaticale (indiquée en italiques) ; 3. l’origine empruntée ; 4. l’étymologie (entre barres obliques) ; 5. la glose ; 6. les exemples (phrase ou expression, suivie de deux lettres majuscules ou d’un nombre indiquant la source de référence, puis la traduction) ; et 7. les remarques diverses.
Quant à la notation des tons (qui n’apparaissent pas dans l’écriture officielle), il faut dire que si l’entrée est de schème H (aut), c.à.d. comportant une succession ininterrompue de tons hauts (notés par l’accent aigu), seul le premier ton est indiqué :
súruku "hyène" (= tous les trois voyelles portent le ton haut) ; si l’entrée est de schème A (scendant), c.à.d. comportant un ou plusieurs tons bas (notés par l’accent grave) suivis d’un ou plusieurs tons hauts, seules les syllabes basses qui précèdent la ou les syllabes hautes sont notées :
mùso "femme" (= la voyelle
o porte aussi le ton bas),
làtàràsàji "parfum liquide utilisé par les marabouts" (= tous les voyelles
a portent le ton bas mais la voyelle finale
i porte le ton haut),
fèlèfala "balancer, faire balancer, osciller" (= les voyelles
e portent le ton bas, les voyelles
a portent le ton haut). Ces deux configurations tonales H et A (nommées schèmes majeurs) regroupent une large majorité des entrées, qu’il s’agisse de mots simples ou de mots complexes. Au cas où une entrée n’appartiendrait pas à l’un de ces deux schèmes majeurs, c.à.d. dans tous les autres cas, les tons sont indiqués sur chacune des voyelles :
kólókòtó "qui ne recule devant rien, malfrat",
tàrétàré "félicitations, hourrah, enthousiasme",
dàmájìrá "faire le maximum, faire tout son possible ; maximum"...
Au fond, cet ouvrage volumineux excelle par l’immense nombre de ses entrées et des exemples fournis et fera sans doute date dans l’histoire de la langue bambara.
Si on veut adresser une petite critique, une toute petite seulement, c’est donc la suivante : chez Bailleul, les morphèmes des mots dérivés et composés sont séparés par un point (et leur traduction en dessous du mot bambara) pendant que la césure entre ces morphèmes n’est pas indiquée par Dumestre (et leur traduction, à droite du mot bambara, succède à l’appartenance grammaticale, se trouvant entre barres obliques, les termes correspondant aux composants reliés entre eux par des tirets). Exemple :
Bailleul (p.153) :
gàlò.mà.jira : n. "signe de malheur"
(malheur.qui a.montrer)
Dumestre (p.361) :
gàlòmàjira : n.compl. /malheur-qual.-montrer/ • "signe de mauvais augure, porte-malheur"
Chez Bailleul, même un débutant dans l’apprentissage de la langue bambara reconnaît à première vue que le mot
gàlòmàjira consiste en trois éléments différents qui sont sans aucun doute : le nom
gàlò "malheur", le suffixe de dérivation nominale -
ma "qui a" et le verbe
jira "montrer". En comparaison, chez Dumestre, c’est la rubrique ‘étymologie’ (entre barres obliques) seulement qui indique que le mot
gàlòmàjira consiste en trois éléments dont le sens est "malheur", "qualif." (c.à.d. suffixe nominale de valeur qualificative) et "montrer". De plus, on peut certes reconnaître que ce mot composé figure sous l’entrée
gàlò, mais on ne peut reconnaître la césure de ce qui reste, et ce,
majira. Est-ce
ma + jira ou plutôt
maji + ra ou... ? Bien sûr, c’est évident pour moi ou toute personne qui est familière avec le bambara, mais pour un débutant, ce n’est pas forcément évident. Dans ce cas, Bailleul est à mon avis plus clair dans l’information fournie.
Autre petit regret : chez Bailleul, on est informé sur la valence de tout verbe, c.à.d. si le verbe est transitif, intransitif ou réfléchi (par les sigles v.i, v.t et v.réf), chez Dumestre, on est informé qu’il s’agit d’un verbo-nominal (noté par v-n.) correspondant au fait que les verbes bambara ont, à un degré plus ou moins fort, l’aptitude à être employés comme des noms. Exemple :
Bailleul (p.27) :
bàna n. "maladie"
bàna v.i "tomber malade"
bàna v.t "rendre malade"
Dumestre (p.83) :
bàna v-n. • "être malade, rendre malade ; blesser, faire mal ; maladie"
Chez Bailleul, il apparaît clairement que le mot
bàna peut être employé comme nom (
bana juguyara "la maladie a empiré"), verbe transitif (
sabara in bè n sen bana "ces chaussures me font mal aux pieds") ainsi que verbe intransitif (
a banana kosèbè "il est tombé gravement malade"), par contre, chez Dumestre, le mot
bàna est un verbo-nominal (v-n.), c.à.d. il peut être employé comme nom et comme verbe, mais si le verbe est transitif et/ou intransitif, on ne l’apprend pas. Cependant, pour un débutant et autres aussi, juste une telle information est très serviable.
Ce ne sont que détails. Toutefois, les mêmes ne diminuent en aucune manière la très bonne qualité de cet ouvrage qui est à recommander chaudement à tous ceux et celles qui veulent apprendre le bambara. Donc, je conseille à tout débutant de se procurer non seulement ce Dumestre mais aussi les deux Bailleul (1). Les deux ouvrages sont ainsi complémentaires... et le fin du fin en ce qui est la langue bambara, sans aucun doute ! Un graaaaaand merci à toi, Gérard !
Dumestre, Gérard. 2011. Dictionnaire bambara-français, suivi d’un indexe abrégé français-bambara. Paris : Editions Karthala. (disponible aussi en format ebook)
www.karthala.com/2466-dictionnaire-bambara-f...
Le prix : 54 euros (en
France), 67 euros (en
Allemagne).
Gérard Dumestre, professeur émérite, a consacré ses recherches à la langue et à la littérature orale bambara, ainsi qu’à la société malienne contemporaine. De 1976 à 2010, Dumestre a enseigné le bambara à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) à
Paris. Il a publié
Le bambara du Mali : Essais de description linguistique (1994) et une
Grammaire fondamentale du bambara (2003), descriptions les plus détaillées et les plus complètes de cette langue, et deux volumes de chroniques (
Chroniques amoureuses au Mali, 1998 ;
Maléfices et manigances, chroniques maliennes, 2007). Il est aussi l’auteur, dans la série des "Classiques Africains", de plusieurs volumes de textes littéraires bilingues (
La prise de Dionkoloni, épisode de l’épopée bambara, 1975 ;
La geste de Ségou racontée par des griots bambara, 1979 ;
Des bêtes et des hommes, chants des chasseurs mandingues, 2000). Un grand nombre de ses articles sur le bambara ont été publiés dans la revue
Mandenkan.
VIVE LE BAMBARA !!!
Herbert
(1) Bailleul, Charles.
Dictionnaire bambara-français. Troisième édition corrigée. Bamako, Editions Donniya, 2007, 476pp. Charles Bailleul.
Dictionnaire français-bambara. Réimpression en août 2006. Bamako, Editions Donniya, 2006, 377pp.
(2) Bailleul, Charles.
Sagesse bambara, proverbes et sentences. Bamako, Editions Donniya, 2005, 463pp.
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