Admirer des paysages volcaniques à couper le souffle tout en rencontrant les vaillants porteurs de soufre, voilà ce que permet de découvrir une randonnée sur les versants du volcan Kawah Ijen, un volcan situé sur l'île indonésienne de Java. De la beauté des panoramas au respect qu'inspire le labeur des forçats du soufre... Un récit complété ensuite par la rencontre d'autres travailleurs, ceux des plantations de café et d'hévéas des terres fertiles, au pied de l'imposante montagne volcanique.
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Un réveil en pleine nuit qui vous tire du lit à 3 heures du mat... cela à de quoi vous faire lever d'un mauvais pied ! Sauf si la journée qui débute prévoit des découvertes et des rencontres hors du commun. A priori, c'est ce qui est annoncé pour ce jour de dépaysement parmi les hauteurs de cette région située dans la partie Est de l'île de
Java.
Le petit déjeuner sera vite avalé, déjà notre 4x4 nous attend pour le départ de l'aventure.
La nuit tropicale est douce et sombre, seuls quelques éclairages blafards tranchent dans le noir de la nuit. Il y a bien ces quelques scooters et ces fourgonnettes qui toutes se dirigent vers le centre ville de
Ketapang, probablement en direction du marché local où les gens commencent toujours à s'activer de très bonne heure.
Ma photo, prise à la volée depuis notre véhicule est certes floue : le manque de luminosité, l'effet de vitesse... mais finalement elle rend bien compte de notre état de conscience du moment qui hésite entre un demi-sommeil et un demi-éveil nous avons les yeux encore embrumés par cette nuit de repos, un peu courte !
Côté ambiance sonore, se mêlent le bruit des véhicules pétaradants et l'appel à la prière du muezzin dont les chants nasillards retentissent dans les rues de l'agglomération.
Passé le centre ville, voilà que notre conducteur vire vers la droite en prenant une route qui serpente tout en s'élevant progressivement.
Maintenant la ligne d'horizon devient plus claire et prend en seulement quelques minutes une splendide teinte rose orangée, le ciel étant en partie dégagé entre un fin croissant de lune et quelques bancs de brume.
A présent le trajet vers les sommets nous fait traverser une forêt. Une succession de virages et les phares de notre 4x4 d'éclairer d'une lumière dorée les bords de cette route particulièrement sinueuse : de hauts arbres tropicaux, des lianes et d'impressionnantes fougères géantes.
La clarté du jour naissant arrive vite sous ces latitudes. Il fait tout à fait jour lorsque nous arrivons au terminus de la route, au
poste de Pos Paltuding : un sol de terre et de cendres en guise de parking, quelques abris et hangars et un panneau indicateur. Il souhaite en indonésien la bienvenue aux visiteurs :
« Selamat Datang... ». On pourrait le traduire au sens figuré : « et maintenant, pour l'ascension, bon courage à vous ! » En effet, la randonnée/grimpette qui nous attend va durer environ 1 heure et demi avec un tracé constamment en pente sur 3 kilomètres...
Même si le début de la piste paraît facile, un large chemin en léger faux plat, il faut gérer sa « course » sur le flanc de cette montagne volcanique et surtout ne pas partir trop vite...
Parmi les randonneurs, certains s'équipent de bâtons de marche, ça aide un peu, enfin surtout pour le mental.
Ainsi les pas se succèdent et crissent sur ce sol de cendres et de graviers sombres.
Sur les pentes de ce volcan
Kawah Ijen, il n'y a qu'un seul chemin en direction du cratère, les randonneurs d'un jour doivent donc le partager avec les travailleurs du soufre... et cela à l'intéressant effet de faciliter les contacts.
Quelques sourires en guise d'introduction et voilà que j'engage la conversation avec mon voisin de marche.
Il s'appelle
Jatim. Lui n'est pas en balade découverte mais il est là pour gagner sa vie et celle de sa famille.
«
Ça fait 10 ans que je travaille ici » me dit-il
. « Deux fois par jour je grimpe et transporte du soufre, tous les jours sauf le vendredi... » (jour de prière, il est musulman).
« Avec ce chariot, je porte environ 200 kilos de soufre à chaque trajet ».
L'homme est décontracté et souriant, il débute sa journée et n'est sans doute pas encore harassé par ce travail épuisant.
Comme on le constate, il est chaudement habillé : bonnet et sweat-shirt, les petits matins sont relativement frais sur les pentes du volcan et c'est tant mieux pour tout le monde, travailleurs et randonneurs... ces bonnes conditions de température sont idéales pour cette ascension.
A mesure que l'on monte, les rencontres se multiplient comme avec cet autre
ramasseur de soufre, lui, il marche pieds nus, étonnant et courageux !
Ou encore cet autre qui lui, descend déjà ses
paniers chargés de blocs de soufre. On imagine qu'il a du partir bien avant la levée du jour car il n'est que 6h 15 du matin. Ainsi certains de ces ramasseurs débutent leur journée dès 3 heures du matin, cela leur permet s'ils sont suffisamment résistants d'effectuer jusqu'à trois voyages par jour.
Faux-plats, courbes, pentes, virages, raidillons, lacets et encore montées... je vous épargne l'énumération de tous les tronçons de ce tracé à l'assaut de ce versant abrupte.
Arrive maintenant un lieu où la plupart des grimpeurs, ouvriers du soufre ou visiteurs, font une
pause sur ce parcours. C'est comme un camp de base, en haute montagne.
Autour de cet abris de fortune, chacun peut reprendre son souffle comme ce porteur, bouche ouverte et traits tirés. Un visage qui exprime déjà une certaine fatigue après seulement une partie de l'ascension et à vide !
De l'air également, ces pneus de chariot en ont besoin, un meilleur gonflage permet de mieux rouler une fois le chargement effectué.
D'autres s'hydratent à gorge déployée ou se restaurent d'un bol de riz ou d'une banane.
A proximité, il y a deux compères qui fument chacun leur cigarette les fumeurs comprendront facilement ce petit plaisir mais c'est encore une agression pour leurs poumons déjà fragilisés par les vapeurs volcaniques, si toxiques.
Pour nous tous, il vaut mieux que l'arrêt ne s'éternise pas trop longtemps, on risquerait d'y perdre le rythme de la montée.
Parvenue à ce point du chemin, le paysage s'ouvre sur les alentours. Malgré la brume matinale, les
sommets volcaniques environnants se dévoilent. Il y là, juste en face, la haute silhouette du
Merapi (2800 mètres) ainsi que celle encore plus haute du volcan Raung (3332 m), le
Kawah Ijen culmine, quant à lui, à 2368 m.
Allez ! Encore quelques efforts pour y parvenir, du moins au bord du cratère.
Et pendant ce temps, il y en a qui bosse vraiment dur. Tractant, poussant puis retenant leur lourd chargement.
Je m'écarte du passage laissant la totalité du chemin à ce travailleur. Ici, la priorité n'étant pas seulement à ceux qui montent... mais bien à ceux qui travaillent et quelque soit le sens !
De la brume à... un nuage qui fleure l'humidité mais surtout fortement le soufre. Son opacité tamise encore plus les rayons de ce soleil matinal. Voilà un aspect qui séduit l'amateur de photo que je suis. Pas mal l'effet de ces arbres sur le relief émoussé de ce versant. Le
voile de brouillard qui nimbe ces arbres n'est pas sans m'évoquer l'aspect d'une estampe (chinoise) javanaise... avec imagination, bien sûr !
Il nous faut encore gravir une dernière pente... et ça y est, on est maintenant en vue du
cratère de ce fameux
Kawah Ijen.
Il est tout juste sept heure du matin et on est presque surpris d'y être enfin arrivé tout en haut de cette crête, on s'en faisait une telle montagne de cette grimpée !
La vue est à couper le souffle, vraiment, dans tous les sens du terme ! En contrebas, par intermittence, les
fumerolles émanant du volcan nous laissent entrevoir un grand lac bleuté. Il ne suffit plus que le soleil soit un peu plus généreux pour parfaire le tableau.
Quelques minutes plus tard et quelques pas de plus sur cette crête, voilà que la vue se dégage sur cet étonnant
lac volcanique, le plus
acide du monde avec un pH à 0,2, les chimistes comprendront !
Une étendue lacustre qui s'étend sur 600 mètres et qui à une de ses extrémités à été canalisée par un parapet. Il empêche l'eau acidifiée de se déverser en trop grande quantité dans les ruisseaux des versants du volcan.
Le volcan est toujours actif et crache ses émanations de gaz toxiques : dioxyde de soufre, sulfure d'hydrogène et autre gaz chlorhydrique... c'est dans cette atmosphère particulièrement nocive que travaillent nos galériens du soufre.
On les aperçoit tout en bas sur la photo, au bord du lac, comme de minuscules silhouettes s'activant au milieu des vapeurs sulfureuses.
Une vue prise avec le zoom permet de mieux les distinguer. Là, nos vaillants mineurs creusent à la barre à mine les concrétions de soufre, les détachant des parois en de gros blocs.
Un système de canalisations a été installée à même la roche afin de concentrer les vapeurs soufrées émises à environ 200°C, cela permet d'accélérer le processus de cristallisation et de concrétion du soufre... de là à dire que le travail est devenu facile, qui oserait l'affirmer !
Car après avoir détaché les plaques de soufre, il faut les remonter ! En regardant la verticalité et le dénivelé... on souffre déjà à imaginer le labeur inhumain des porteurs avec ces 60 à 80 kilos de soufre juchés sur les épaules.
Il faut les voir accéder après de tels efforts sur les hauteurs de la crête. Les traits marqués et le souffle court.
Même si pour chaque photo prise je demande à ces travailleurs leur autorisation, une hésitation me traverse à ce moment l'esprit. Est-ce bien correct de les photographier ? N'est-ce pas un peu de voyeurisme ?
Enfin, prenons le comme un témoignage sur ce travail digne d'une autre époque et ayons avec beaucoup d'humilité
un grand respect pour ces hommes qui forcent notre admiration.
Devant moi apparaît maintenant cet homme au visage presque détendu (photo ci-dessus), il marque un arrêt le temps de la photo. Je suis surpris par la relative fraîcheur de son apparence... incroyable, il ne donne pas l'impression d'être fatigué ! Sans doute l'effet de l'entraînement et d'une parfaite condition physique.
Je vois dans un de ses paniers qu'il dispose d'un masque protecteur vis à vis des fumerolles nocives quand beaucoup de ses collègues ne se protègent seulement qu'avec un simple foulard posé devant leur nez et leur bouche !
Ici, sur cette partie de la crête, les ramasseurs de soufre se rassemblent avant de descendre avec leur chargement. Certains s’attellent à
marteler les blocs afin de les diviser en morceaux de plus petites tailles. De cette façon, ils sont plus faciles à transporter dans les paniers ou dans les sacs posés sur les chariots et puis ainsi, on peut en transporter un peu plus à chaque parcours. Le salaire n'en sera que plus important...
Depuis le début de l'observation du va-et-vient de ces travailleurs, une interrogation me brûle les lèvres : mais combien peuvent gagner ces pauvres larbins ?
Par décence, je ne me vois pas leur poser directement la question mais la réponse me viendra finalement de notre accompagnateur.
Ce soufre qui est destiné à l'industrie chimique, cosmétique ou du médicament... leur est payé 1000 roupies indonésiennes le kilo. Et donc en faisant la conversion, cela donne en euro à peine 5 euros pour une charge moyenne de 70 kilos. Soit pour deux parcours journaliers, autour de 10 euro quotidien !
Avec les chariots portant 200 kilos de soufre cela fait plus, bien sûr. Une somme qui peut paraître dérisoire au vu de la pénibilité de ce travail mais cela représente aussi un salaire journalier plus élevé que celui d'autres ouvriers indonésiens travaillant dans l'agriculture ou le bâtiment.
Lors de la descente, le hasard nous a fait croiser à deux reprises ces deux ramasseurs.
Le jeune porteur que l'on voit à gauche semblait avoir quelques difficultés à communiquer mais il avait la bravoure et la volonté de vouloir surmonter son handicap en effectuant ce travail pour gagner sa vie. Alors qu'il marque un arrêt, juste le temps de faire pivoter la charge d'une épaule à l'autre, j'ai compris qu'il voulait me signaler qu'il préférait le
transport du soufre sur ses
épaules que par l'utilisation d'un
chariot.
A chacun ses préférences, car le ramasseur que l'on voit à droite sur la photo,
Arsono de son prénom, m'a confié être particulièrement satisfait de ce moyen de transport à roues. Et pour me le prouver, le voilà qu'il me montre une de ses épaules dont la peau était toute tuméfiée par des années de port de ces satanés paniers de soufre... comme des stigmates du portage de soufre.
« Je dois bien avoir près de 230 kilos de soufre sur ce chariot » me dit-il fièrement.
L'introduction il y environ deux ans des chariots a permis l'extraction de quantités plus importantes de soufre par cette armada d'ouvriers, on serait ainsi passé d'environ 14 tonnes extraites auparavant à quelques 20 tonnes de soufre « récoltées » annuellement.
Ensuite, Arsono me vente l'option indispensable de ces chariots : les freins ! Car dans les passages très pentus, sans ces fameux freins, le poids du chargement aurait vite fait d'entraîner vers le ravin la précieuse cargaison de soufre...
Afin d'avoir un petit aperçu de ce que représente le travail d'Arsono, spontanément, je lui demande si je peux prendre son chariot en mains... sur quelques mètres, je ne suis pas fou ! Il sourit et me dit
« Ok ! ».
Le faux plat est doux ici, ce sera parfait pour tenter l'expérience.
Déjà, il faut soulever la charge avant de la pousser d'un bon coup de rein... et encore c'est un faux plat descendant, puis après, bien tester les freins qui grincent afin d'être prêt à un emballement soudain de l'engin.
Bon, quelques mètres m'ont suffit... je dois manquer de technique et surtout d'entraînement, quel labeur de forçat !
J'avoue que je n'ai pas demandé à l'autre compère d'essayer de porter ses paniers sur mes épaules... trop dur, j'en serais certainement bien incapable. C'est tellement plus lourd que mon petit sac à dos !
L'ambiance de ces rencontres entre porteurs et randonneurs se déroule dans la bonne humeur et les échanges sont spontanés et sympathiques. Il n'y pas ici, enfin pas encore, l'obligation de « payer » chaque photos prise... bien entendu, les « héros » du soufre apprécient quelques gestes de la part des visiteurs : un peu de nourriture, un objet ou de l'argent...
Pas très enclin, par principe, à monnayer ces rencontres, je préfère remercier par de petits gestes. Je n'ai pas grand chose à offrir dans mon sac mais finalement l'un me remerciera de lui donner une pomme et l'autre un paquet de biscuits qu'il dévorera lors d'une pause.
Pour ces porteurs, un autre moyen d'arrondir un peu leurs fins de mois est de proposer aux visiteurs d'un jour quelques sculptures sur bloc de soufre. Un souvenir artistique aux effluves d'un drôle de parfum.
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Descendre les pentes du volcan est bien entendu plus facile que de monter... enfin, presque ! Certes on fatigue moins mais il faut tout de même faire très attention, le dénivelé par endroits vous entraîne et la piste est recouverte de graviers volcaniques qui ont la fâcheuse tendance à rouler sous les semelles.
D'une glissade à une chute, certains en font parfois l'amère expérience ! Et là, il y a toujours un ramasseur de soufre dans les parages qui avec son chariot vide propose de jouer les taxis. Transporter un randonneurs ayant chuté ou épuisé rapporte certainement plus que le transport du soufre !
Au fait, certains d'entre vous doivent se demander
qu'elle est la difficulté réelle de cette randonnée/découverte du Kawah Ijen ? J'ai envie de vous faire une réponse tout en nuance dite de Normand (que je ne suis pas !) ou de personne née sous le signe de la Balance (ce que je suis !).
Tout dépend de votre condition physique et de votre état de santé...
Si vous êtes amateur de courses en montagne de plus de deux heures, vous ne trouverez aucune réelle difficulté à cette randonnée, la pente est régulière et la piste souvent large et en bon état (par temps sec).
En revanche, si vous n'utilisez pour vous déplacer (volontairement ou sous contrainte physique) que votre voiture ou les transports publics et que vous choisissez à chaque fois qu'ils se présentent, les tapis roulants, les escalators et autres ascenseurs... alors là, une montée vers la crête du volcan pourra vous paraître une véritable épreuve !
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Suite du récit avec la rencontre d'autres travailleurs des contreforts du volcan -->