Lettonie Estonie du 11 au 21 septembre 300km
Durant cette dernière partie de notre voyage, nous allons utiliser assez souvent le bus et le train, le vélo assez peu. En effet au cours de ces dix derniers jours nous ne parcourrons que trois cents kilomètres à deux roues.
Nous pénétrons donc en début d'après-midi en
Lettonie. Les traditionnelles photos sont prises. Elles représentent nos vélos appuyés sur les petites bornes matérialisant la limite de chacun des pays. Notre destination est la ville de Saldus qui se situe à une quarantaine de kilomètres de la frontière.
Un peu avant d'entrer en ville nous sommes intrigués par un cimetière militaire, le premier que nous voyons. Il s'agit d'une nécropole allemande, qui a été érigée récemment entre 1996 et 1999. Ces travaux ont été rendus possibles lorsque la
Lettonie a recouvré son indépendance au début des années 1990. En 1944, de très importants combats ont opposé dans le Courlande trente deux divisions allemandes à des forces russes colossales. Les Soviétiques ont essayé d'enfoncer les lignes allemandes au cours de six attaques majeures, qui occasionnèrent 400 000 tués dans leurs rangs et 50 000 chez les Allemands. Actuellement les restes de 22 000 soldats des armées de l'Axe reposent en ce lieu. À terme, il est prévu d'en regrouper trente mille. Ces cimetières militaires allemands sont toujours d'une grande austérité, les croix, contrairement à ce que font la plupart des nations, sont faites de pierre de couleur sombre, presque noire.
L'arrivée dans la ville se fait par une piste cyclable, et rapidement nous nous retrouvons au centre. Au syndicat d'initiative, une jeune femme très compétente nous fournit une foule de renseignements qui vont nous être très utiles par la suite. Nous nous installons dans un hôtel qui de toute évidence date du temps de l'Union Soviétique. Bien qu'il soit immense nous avons bien le sentiment d'être les seuls clients. Cependant les chambres sont confortables pour la somme de douze euros chacun. Nous partons faire un repérage de la gare, car demain tôt nous comptons prendre le train jusqu'à
Riga, et de là partir le plus rapidement possible en bus vers
Parnu, en
Estonie. Ce travail effectué, nous nous dirigeons vers une grande surface pour quelques emplettes. Les magasins sont nombreux dans ces pays, il n'y a pas de dépaysement. La différence provient seulement du fait que les caddies sont beaucoup moins pleins que dans les pays occidentaux.
Réveil de très bonne heure, notre train partant à 6h30. Au moment de sortir la porte d'entrée est verrouillée et nous ne voyons personne. Je pense tout d'abord que nous sommes seuls enfermés à l'intérieur, et essaye de sortir par une fenêtre. Mais avec les bagages et les vélos cela s'avère très compliqué voire impossible. En désespoir de cause on arpente tout l'hôtel en appelant. Je commence à me dire, que notre train nous allons le louper. Alors miracle, une femme encore toute endormie descend l'escalier et vient nous délivrer. La gare est rejointe dans les temps. La montée dans le wagon avec armes et bagages est sportive, mais à deux cela se passe très rapidement. Seul, cela aurait sans doute été plus délicat.
En deux heures nous sommes à
Riga. Nous n'avons pas l'intention d'y rester. Notre désir est de trouver un car pour rejoindre au plus vite l'
Estonie. Nous gagnons rapidement la gare routière qui n'est pas très éloignée et nous mettons à la recherche du moyen de transport désiré. La chance nous sourit, un autocar d'Eurolines pour
Tallinn part sous peu. Le chauffeur nous demande de démonter nos vélos et de les bâcher. Il nous presse, de peur de prendre du retard. Mais non, tout se passe au mieux et il démarre à l'heure prévue. Trois heures plus tard nous atteignons la jolie ville de
Parnu, dans laquelle nous allons passer deux nuits. Le chauffeur très gentiment nous indique le camping, d'ailleurs qui se trouve à proximité de l'arrêt. Nous y louons une chambre, car les nuits commencent à être longues et la température descend,
ce qui n'est pas très confortable pour manger dehors.
Le lendemain à nouveau par bus nous rejoignons
Tallinn, qui est distante de 120 kilomètres. Puis-je vraiment parler d'une cité, où nous ne nous sommes promenés que quelques heures dans la vieille ville? Je donnerai les quelques impressions ressenties au cours de ce bref séjour. Le bus nous a laissé dans un quartier récent, à une vingtaine de minutes à pied du cœur ancien de la capitale estonienne. Nous sommes arrivés en pleine course populaire. Des centaines de concurrents rivalisaient de vitesse à travers les rues.
Le cœur historique de cette cité n'est pas très grand. L'absence de véhicule laisse tout loisir de flâner le long de ses ruelles et sur ses places. Les styles s'y mélangent au gré du passé très riche de la région. Les influences multiples en ont fait un bijou sculpté aux multiples facettes. La déclivité rajoute au charme du lieu. En effet la ville originelle se serre autour d'un petit promontoire fortifié, dont il reste de belles traces. Le cachet d'une ville est toujours rehaussé par la présence d'une colline. Pour le Lyonnais que je suis, cela est très important. Une ville doit nécessairement comporter à mon sens au moins une rivière et un tertre.
Lyon s'est bâtie à la confluence de deux cours d'eau et sur deux collines, celle qui prie et celle qui travaille. Cette situation géographique exceptionnelle fait de la capitale des Gaules la plus merveilleuse ville que je connaisse. Mais je m'égare je parlais de
Tallinn. Du haut de son promontoire, on peut contempler la vieille ville juste en dessous, et plus loin la récente qui s'étale jusqu'à la mer. Ces quelques heures de promenade sont un vrai régal dans une atmosphère paisible, bien que nous soyons des hordes de touristes. La cathédrale qui s'élance d'un jet d'une petite place offre une perspective époustouflante. Nous allons sentir l'âme de la cité en allant nous installer à la terrasse d'un restaurant sur la place centrale. Moment agréable, mais quelques centaines de mètres plus loin, dans un décor certes moins esthétique nous aurions mangé presque la même chose pour quatre ou six fois moins cher. Mais l'ambiance se paie et il est vrai que cette architecture baroque et ces églises magnifiques il faut essayer de s'en imprégner durant le court moment que nous consacrons à l'endroit.
Retour à
Parnu, promenade le long de ses plages au sable un peu noir. Je ne sais pas si je suis difficile ou trop critique, mais l'esthétique d'une plage, je ne peux m'empêcher de la mesurer à l'échelle de la Gironde et de ses immensités de sable clair, face à un océan qui envoie ses vagues en toute liberté depuis les côtes américaines. Mais attention, je suis bien conscient qu'il n'est pas question de juger un lieu parce que l'on y a passé quelques heures, voire moins. Je peux juste dire que ce jour au bord de cette plage je n'ai pas ressenti ce que je ressens parfois du côté de Lacanau ou Mimizan. Mais essayons de ne pas comparer.
Oh surprise! En arrivant à notre camping, le champ qui était complètement désert est absolument rempli de camping-cars. Il s'agit d'un groupe d'Allemands, en vadrouille à travers l'Europe, qui fait étape pour la nuit. La moyenne d'âge est pas loin des soixante dix ans, ça ne les empêche pas d'attaquer vaillamment la route avec leurs escargots blancs.
Le lendemain nous amorçons notre dernier fragment d' itinéraire qui inexorablement nous conduira dans quelques jours à l'aéroport de
Riga. Le voyage sans contrainte financière au gré de ses envies et agrémenté d'un bel effort physique enlève toute envie de rentrer. Mais les êtres chers qui souffrent en vous attendant, vous rappellent que vous avez un chez vous. Dilemme insoluble, partir ou ne pas partir. Paradoxe de la vie, se savoir entouré vous donne assurance et confiance. Et cette confiance en soi vous donne le courage d'affronter une vie un peu plus hypothétique et d'abandonner temporairement ceux qui vous ont donné ce courage. Mais la vie est ainsi faite!
Le temps n'est pas très clément, il bruine doucement. Nous enfourchons nos vélos et l'étape commence par une route nationale très passante. Les Allemands du camping nous doublent en plusieurs vagues et nous adressent des signes amicaux. Puis nous prenons des routes de plus en plus petites pour finir par des chemins de terre. Dans un village, nous faisons quelques courses. Sensation étrange, nous sentons bien que ces gens n'ont pas notre histoire. Je reste cependant admiratif quant à leur capacité d'adaptation. J'imagine ce que devait être leur vie il y a vingt ans en Union Soviétique, alors que maintenant ils ont rejoint la grande famille de l'Union Européenne.
Le chemin devient très difficile car un engin, genre gros scraper, vient de le retourner et la terre est meuble. Nos roues enfoncent profondément, ce qui demande des efforts importants pour contrer la résistance due au frottement. Comme lorsque nous étions sur les pavés au nord de la
Pologne nous essayons de viser le bord du chemin à la limite de l'herbe, afin de retrouver un peu d'appui. Cette piste, ainsi labourée, nous fait peiner sur une trentaine de kilomètres. Une voiture passe en sens inverse, et nous profitons de ses empreintes sur le sol, pour rouler sur un terrain plus consistant. Dans ces pays on passe, encore pour combien de temps, de la civilisation au bout du monde en un rien de temps. Arrive le point de délimitation entre l'
Estonie et la
Lettonie. Ce sera notre dernier passage de frontière. Une petite maison de bois abandonnée, entourée de pommiers dont les fruits tombent au gré de leur mûrissement est la seule trace de civilisation.
Peu de kilomètres après, nous arrivons dans un village tout droit sorti du communisme avec ses restes de kolkhozes bien géométriques, laissés à l'abandon. Et au beau milieu de cette agglomération un improbable hôtel, au confort appréciable et au prix minime. La tenancière ne parle pas un traître mot, ni de français ni d'anglais ni d'allemand. Nous communiquons par gestes et choisissons nos plats au hasard sur la carte. Je trouve cela très amusant de ne pas savoir ce que nous allons manger et de le découvrir lorsque les assiettes arrivent sur la table.
Dans ce village, qui se nomme Mazalaca perdu au milieu de nulle part, à la frontière de la
Lettonie et de l'
Estonie nous avons vraiment l'impression d'être très loin. C'est peut-être l'endroit où je me suis senti le plus distant au cours de ces deux mois.
Encore quelques tours et détours nous conduisent, deux jours durant, à la découverte de la
Lettonie profonde. Sur les marchés on trouve des quantités de girolles magnifiques à des prix dérisoires. Au hasard d'une route, un château nous interpelle. Sur son seuil, un vieux monsieur parlant allemand, nous raconte la suite ininterrompue de guerres que le lieu a vécue depuis deux siècles. Nous demandons, si la visite en est possible. Il nous conduit à travers quelques pièces. Nous réalisons qu'il s'agit d'une maison de retraite. De toute évidence, le pays, bien qu'il ait rejoint l'Union Européenne, par le spectacle qu'il nous offre dans cette grande bâtisse, nous laisse penser qu'il y a encore beaucoup à faire dans certains domaines. Encore quelques dizaines de kilomètres à travers de belles forêts, au fond desquelles se cachent des lacs tranquilles et nous mettons un terme à notre déplacement à vélo.
En effet, nous rejoignons
Riga en train. Dans cette magnifique ville nous séjournons trois jours, étant logés au centre de la ville historique. Parmi les trois capitales baltes, toutes très belles et originales, c'est cette dernière qui m'a le plus plu. Son immense marché à proximité de la gare est un lieu où nous irons flâner à plusieurs reprises, parmi les innombrables accumulations de fruits et légumes et champignons, de poissons séchés et autres marchandises. Le quartier art nouveau, où la plupart des ambassades sont implantées, nous nous y promenons longuement en admirant une multitude de belles façades aux couleurs vives. La «Petite
Russie», quartier délabré, respirant la pauvreté, comme oublié par la rénovation qui bat son plein dans le pays, donne une touche étrange. Et puis la vieille ville, et tout particulièrement sa place centrale, dominée par la maison des Têtes Noires, avec en arrière-plan l'époustouflante église Saint-Pierre, je ne me lasserai pas d'aller m'y promener de jour comme de nuit. Et bien entendu, les drames de l'envahissement, aussi bien russe qu'allemande sont remarquablement abordés dans le très pédagogique musée de l'occupation. Pour vraiment en profiter, il est nécessaire de le visiter en plusieurs fois tellement l'information délivrée est dense. Les commentaires très complets sont accompagnés de photos d'époque faisant bien prendre conscience des méthodes employées par les régimes totalitaires pour briser et essayer de faire disparaître tout esprit national.
Au moment de notre départ, alors que nous retardions désespérément le moment de rouler vers l'aéroport, nous flânions à travers la ville. Au cours d'un dernier arrêt sur cette place des Têtes Noires, cœur et symbole de
Riga, nous fûmes envoûtés par un trompettiste, dont la mélodie grave roulait le long des façades. C'est la dernière image qu'il me reste de ces deux mois d'errance, et peut-être la plus forte, du fait de la conjoncture de la féerie du lieu et de la profondeur de cette musique, sur sentiment de vague à l'âme du fait d'une fin imminente de vagabondage.
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