DEPART DE SAINT-NAZAIRE
Lundi 26 Novembre 2012 - 1er jour de traversée
08 h 00, la manutention a repris de plus belle, trois portiques s'occupent du Fort Sainte-Marie. Et c'est justement la travée la plus proche de ma cabine qui est concernée. Depuis
Rouen, cette travée est complètement vide y compris la cale. Toute la matinée, ce ne sont pas moins de 90 conteneurs qui vont être chargés en passant à raser le sabord de ma cabine (un sabord c'est carré ou rectangulaire, un hublot c'est circulaire), obscurcissant le ciel à chaque passage. A en donner le tournis.
15 h 20, je suis sur l'aileron de passerelle pour aider le commandant et le pilote à l'appareillage. Une manœuvre, cette fois-ci, sans remorqueur, uniquement à l'aide des propulseurs d'étrave et de poupe. Les amarres sont larguées les unes après les autres, le bateau décolle lentement du quai et gagne l'axe du chenal en passant sous le pont de Saint-Nazaire. Nous longeons plusieurs quartiers de la ville, des plages, des petites falaises brunes avant que le chenal n'oblique vers le Sud. Dernière vision de la terre avant longtemps.
16 h 35, le pilote débarque à l'extrémité du long chenal. Le Fort Sainte-Marie est en eau libre, cap à l'ouest. Au large, le vent n'a pas beaucoup molli. La mer est toujours bien formée, le bateau passe en force et tape de temps à autre dans les vagues en formant de jolies gerbes d'embruns.
Pointe à Pitre, la prochaine escale est encore loin. Et à partir de maintenant, il faut s'installer dans la durée.
17 h 45, fin de mon "quart". La nuit tombe rapidement et je pars à la chasse aux petits bruits dans la cabine...
18 h 15, ouverture de "La cave", qui est le magasin hors taxes du bord, géré par le commandant lui-même. Pas beaucoup de parfums dans cette boutique duty free, mais essentiellement des produits destinés à améliorer l'ordinaire de l'équipage et des passagers...
Remonté à la passerelle après le dîner. La mer est très forte, tout en puissance le bateau tape dans les vagues. On sent bien le choc et quelques secondes plus tard on voit une grosse gerbe jaillir de l'étrave jusqu'au-dessus des conteneurs, et être rabattue sur l'autre bord par la violence du vent.
Le Fort Sainte-Marie tangue et roule, il est difficile de tenir debout. En tout début de voyage, ces mauvaises conditions de mer cueillent tout le monde à froid, et il faut du temps pour s'y accoutumer. Lors du dîner, deux passagers font la grimace...
Après le dîner, sur la passerelle, j'ai encore bien discuté avec le lieutenant roumain, intrigué par mon expérience de la voile. Habitué des gros navires, il n'imagine pas que l'on puisse traverser un océan, ni parfois subir un tel temps sur un bateau de 11 ou 12 mètres. Il est étonné, comme moi je le suis dans l'autre sens par le gigantisme, la vitesse, la puissance du bateau qui se joue des mêmes éléments. Le partage du même milieu mais deux approches différentes.
A minuit, nous avons quitté le plateau continental pour naviguer au-dessus des grands fonds de l'Atlantique. Même si les vagues sont moins escarpées, le vent souffle presque dans l'axe, force 8 à 9. Le bateau roule et tape toujours. La nuit s'annonce agitée.
L'ATLANTIQUE
Mardi 27 Novembre 2012 - 2ème jour de traversée
Depuis hier soir 22 h 00, nous naviguons au-dessus des grands fonds. La haute marche entre les abysses atlantiques et le plateau continental du Golfe de Gascogne n'est pas sans influence sur l'état de la mer en cas de gros temps. La longue houle et les vagues escarpées perdent un peu de leur rudesse. S'il roule encore et est bien secoué, le bateau ne tape plus dans les vagues les plus hargneuses.
A minuit, nous avons passé l'heure du bord en heure T.U., c'est-à-dire reculé les montres d'une heure. Cette opération aura lieu cinq fois durant la traversée pour compenser le décalage horaire. Deux gros avantages : une heure de grasse matinée supplémentaire et une arrivée aux
Antilles sans perturbation de l'horloge interne. Avantages que n'offre pas le voyage en avion.
A 03 h 00, nous avons croisé le trafic allant du cap Finisterre (Nord-Ouest de l'
Espagne) à Ouessant. Tous les navires venant de Méditerranée, d'Afrique de l'Ouest, d'
Amérique du Sud et qui remontent vers les ports du nord, et inversement, suivent cette route. J'avoue n'avoir pas eu le courage de me lever pour aider le lieutenant et le timonier de quart à faire la veille au milieu des autres cargos...
08 h 00, longitude du cap Finisterre. Bof ! Ciel chargé et bas, vent toujours fort, visibilité douteuse. La mer est hérissée de crêtes blanches jusqu'au bout de l'horizon. Pas suffisant pour remonter le moral des passagers qui attendent impatiemment l'embellie.
L'après-midi, les grains se succèdent en rangs serrés. Le Fort Sainte-Marie, droit sur sa trajectoire, ne fait rien pour les éviter. En hauteur, on les voit bien arriver. Au loin, l'horizon se voile, la mer s'aplatit sous la pluie et change de couleur, la pluie bat violemment sur les baies vitrées de la passerelle. Et le calme revient derrière le grain, une brève éclaircie nous offre un timide arc-en-ciel, quelques minutes de tranquillité et le grain suivant arrive déjà. Du fait de la vitesse du bateau, la cadence à laquelle nous arrivent ces grains me surprend, la rapidité à laquelle on les traverse, aussi.
Début de soirée, le vent et la mer semblent vouloir s'apaiser et prendre une direction qui nous soit plus favorable. Le baromètre amorce une timide remontée.
En cours de journée, je monte de temps en temps à la passerelle voir l'évolution des choses, jeter un œil sur la table à carte où les points GPS sont méthodiquement reportés toutes les heures. La table à cartes a toujours fait partie pour moi, du voyage en mer et du départ vers ailleurs.
Pourtant bien plus précis, les GPS, radars et cartes numériques, devenus indispensables, n'ont pas ce pouvoir de faire rêver. La carte papier synthétise d'un seul coup d'œil la navigation en cours. Elle concrétise le rythme d'une traversée en redonnant aussi la vraie dimension du monde et des océans. Si j'aime regarder une carte marine, je ne jette qu'un œil informatif sur un écran GPS, un radar ou une carte numérique, sans être capable de pouvoir m'y attarder.
J'aime bien passer un moment à la passerelle après le dîner. Il fait nuit, j'y retrouve mon ami, le lieutenant roumain. Un personnage cultivé et intéressant, parlant parfaitement le français, jovial et avenant, il contraste avec tous les autres marins ou officiers roumains du bord qui semblent porter avec tristesse, fatalité et résignation tout le poids de leur Histoire, sans un mot ni un sourire.
Il a 25 ans de marine marchande derrière lui. Passionné par son métier, il prend visiblement du plaisir à partager ce qu'il sait sur le bateau, la navigation, les instruments, l'organisation du bord ou ses responsabilités. Mon cursus nautique l'intrigue car la voile n'est pas dans la culture roumaine et il ne connait pas. Souvent, c'est lui qui revient vers moi et me pose des questions, en faisant des allers et retours entre voiliers et cargos.
DES BOÎTES, DES BOÎTES...
Mercredi 28 Novembre 2012 - 3ème jour de traversée
Encore une heure de décalage des montres cette nuit. Nous sommes maintenant en TU-1. La mer s'est calmée, la fin de nuit a été si paisible qu'un des passagers se croyait (encore ou déjà) à quai. Il est vrai que nous sommes loin des conditions d'inconfort d'il y a deux jours tant la mer s'est apaisée.
Ce matin, le second capitaine organise une visite guidée à notre attention. C'est lui qui est en charge de la gestion de la cargaison et nous explique que les conteneurs sont repérés en X, Y et Z (par travée, rangée et étage) par des numéros que l'on retrouve gravés sur les cloisons des cales. C'est grâce à ces X, Y et Z que les portiqueurs chargent la bonne boîte au bon endroit.
Le plan de chargement est établi préalablement par l'armateur mais c'est le second capitaine qui finalise le positionnement des conteneurs en fonction des contraintes mécaniques que la cargaison fait subir au bateau, en fonction des boîtes contenant des matières dangereuses, des reefers, du port de débarquement, etc..
Par informatique, les conteneurs sont également repérés par des codes de couleur selon les ports de provenance ou de destination, les matières dangereuses qui ne peuvent pas cohabiter ensemble, les branchements aux prises électriques pour les reefers. De puissants logiciels optimisent le remplissage des ballasts équilibrant l'assiette du bateau lors du chargement ou déchargement.
Aux escales, le second capitaine a aussi un gros travail administratif à exécuter avec l'armateur, la douane, les autorités portuaires, les sociétés de manutention avant que le bateau ne puisse larguer les amarres.
Il nous emmène ensuite dans le cœur du bateau, un dédale de coursives étroites ponctuées de portes étanches qu'il faut enjamber. Des files de câbles ou de canalisations courent sur les cloisons ou aux plafonds. Nous sommes dans la cale, assourdis par le grincement des conteneurs frottant les uns contre les autres, le puissant ronflement des appareils de ventilation qui tournent à plein régime, (dans la cale, il faut aussi refroidir le système de réfrigération des reefers... !). Le niveau sonore élevé nous plonge dans une ambiance industrielle.
Nous progressons vers l'avant passant d'une travée de conteneurs à l'autre et arrivons vers l'étrave dans un large espace occupé par des gros tubes en diagonale où passent les chaînes d'ancre. C'est un vaste local servant à stocker tout le matériel dont le bosco a besoin, amarres, câbles, caisses de matériel de rechange, consommables, etc... Sur un tas d'aussières en vrac, un cercueil est négligemment posé... Au cas où !
Nous repassons à l'extérieur et montons au poste de manœuvre avant. Le seul endroit calme du bateau où l'on n'entend plus que le bruit du vent et le chuintement du bulbe d'étrave fendant obstinément la mer. En navigation, l'endroit est donc plutôt paisible. Au port, d'énormes treuils servent raidir les aussières et moins utilisés, deux autres cabestans permettent de remonter les ancres au moyen de chaînes largement calibrées.
Nous terminons la visite par le local incendie au pied du château et de l'hôpital... On n'a pas trouvé l'infirmière !
Avant le dîner, le commandant nous fait l'honneur du salon des officiers pour un pot d'accueil des plus sympathiques où chacun peut mieux se connaître en discutant un verre à la main avec le chef-mécanicien, et deux jeunes lieutenants. Toutes les meilleures traditions de la Marine ne sont pas encore perdues.
DÉJÀ LES AÇORES !
Jeudi 29 Novembre 2012 - 4ème jour de traversée
Pas de décalage horaire cette nuit. En début de matinée, au milieu de l'Atlantique, nous croisons sans le voir le CMA CGM Fort Saint-Louis qui fait la route inverse, à 37 milles sur notre bâbord, c'est-à-dire tout près de nous, à l'échelle de l'océan.
Les rencontres avec d'autres bateaux sont des évènements plutôt rares tant la mer est immense et les routes différentes. Et comme par hasard, le second bateau rencontré dans la journée suit une route de collision obligeant à changer le cap jusqu'à ce que le danger soit écarté.
Le lieutenant navigation et le timonier de quart assurent une veille visuelle permanente jour et nuit, ce qui est un facteur de sécurité. Ils sont aidés par le radar qui le cas échéant, leur indique à quelle distance et dans quel laps de temps aura lieu la collision éventuelle avec un autre bateau. A eux d'agir au bon moment pour que cela ne se produise pas.
Deux fois par jour, dans le cadre d'un partenariat entre la compagnie et Météo
France, un des membres d'équipage gonfle à l'hélium un ballon muni d'une sonde météorologique. Un fois lâché le ballon grimpe dans la stratosphère et explose vers 30.000 mètres d'altitude. Pendant son ascension puis sa chute, la sonde enregistre la température, la pression atmosphérique, le taux d'humidité, la vitesse et la direction du vent, etc. Ces informations sont retransmises à bord en continu et ensuite réexpédiées à Evelyne Dhéliat ou Nathalie Rihouet pour que vous ayez des informations météo fiables à la télé. Il en est ainsi sur les quatre bateaux de la ligne.
11 h 40, l'attraction du jour se dévoile progressivement. Tout au bout de l'horizon, sur notre avant tribord, on devine en filigrane à quarante milles, les silhouettes de Corvo et Flores, deux îles très isolées au nord-ouest de l'archipel des
Açores. Lentement, leur contour se précise, abrupt pour Corvo et en pente plus douce pour Flores.
13 h 00, nous passons à 10 milles, au plus près de Flores, couverte de prairies verdoyantes. On arrive à deviner les constructions blanches de sa capitale, Santa Cruz. La proximité de la terre permet de téléphoner en direct à la famille et la communication est parfaitement claire.
16 h 15, exercice incendie obligatoire. Une sonnerie stridente met tout le bateau en alerte. Tous les passagers doivent se rassembler aussitôt à la passerelle. Le feu s'est déclaré dans un conteneur dans la cale à l'avant du bateau. Les échanges par talkies-walkies fusent. Bien sûr, l'exercice est émaillé de contretemps pour mettre les équipes de sécurité en situation. Finalement, le feu virtuel est éteint et tout est rentré dans l'ordre.
L'incendie est ce qui est le plus redouté à bord de tous les bateaux. Pourtant, ce n'est jamais l'eau qui manque autour ! La propagation du feu peut être extrêmement rapide et la chaleur peut provoquer des réactions en chaîne immaîtrisables. D'autant que le bateau transporte aussi de multiples matières chimiques dangereuses qui ne réagissent pas bien ensemble. Vous n'imaginez pas tous les risques que je prends durant ce voyage. Il suffit juste d'une fois. Et ces exercices périodiques sont faits pour éviter le pire.
QUE FAIRE A BORD ?
Vendredi 30 Novembre 2012 - 5ème jour de traversée
Il n'y a pas eu de changement de l'heure du bord à minuit. Et ce matin, le jour n'en finit pas de se lever. En réalité, c'est la pleine lune qui éclaire la cabine.
Lever à 07 h 00 et montée immédiate à la passerelle. Il fait encore bien nuit et la lune tombante se reflète largement sur la mer. Il y a quelque chose de différent ce matin, un changement imperceptible dans l'air du temps, une douceur relative de la température, une humidité plus palpable, des nuages plus légers et quand le jour finit de se lever, une autre densité dans la couleur de la mer. Le vent a repris de la force mais sa direction a changé aussi, passant au sud-est, trois-quarts arrière du bateau.
La température de la mer augmente régulièrement, 21.8 °C ce matin, et depuis l'une des coursives extérieures j'ai aperçu les premières sargasses, ces algues qui naissent dans la mer du même nom, bien au large de la
Floride, et qui se baladent dans l'Atlantique au gré des courants. Autant de signes ténus, nous indiquant que nous changeons de zone climatique et que l'hiver... est bientôt derrière nous.
Je suis maintenant bien dans le rythme de ce voyage au long cours. Les notions de jours et de distances s'estompent progressivement. Le temps se dilue à mesure que le bateau progresse. Je ne sais déjà plus trop quand j'ai quitté Saint-Nazaire, ni combien de milles il reste à parcourir pour rallier Pointe à Pitre. Je ne me pose même pas la question. Est-ce si important de le savoir ?
Chaque jour à bord, il n'y a que les repas qui soient les points obligés auxquels les passagers se retrouvent pour échanger. En dehors de cela, aucune règle, aucune contrainte horaire, et chacun dispose de lui-même selon ses goûts et ses envies du moment : broderie, lecture, visionnage de DVD, randonnée sur les coursives extérieures, ascension des escaliers, information auprès de l'équipage, sieste, etc, etc... Que sais-je encore ? Une seule occupation : l'auto gestion !
Mon rythme à moi : après le p'tit dej, je vais à la passerelle pour vérifier s'il y a toujours de l'eau dans la mer et discuter de la situation avec le lieutenant roumain, puis un tour sur le pont du bateau, (430 mètres de parcours du combattant tant les obstacles fonctionnels sont nombreux et cinq étages à pied, bien qu'il y ait un ascenseur). Retour en cabine pour la tenue à jour des notes sur le déroulement du voyage. De nouveau à la passerelle avant le déjeuner, et sieste après celui-ci pour... récupérer.
L'après-midi se déroule à peu près au même rythme avec des passages plus fréquents à la passerelle pour regarder l'horizon pourtant vide, observer l'évolution des conditions météo, me pencher sur la table à cartes ou les instruments de navigation.
Après le dîner, long moment de méditation dans l'obscurité de la passerelle avant d'entamer une discussion philosophique avec le lieutenant roumain, puis descente en cabine pour transfert des photos et vidéos prises dans la journée.
Eh bien, malgré que certaines durent vingt-cinq heures, à cette cadence, il me semble que chaque journée est trop courte.
Et pendant ce temps le Fort Sainte-Marie, imperturbable, seul au milieu de l'Atlantique, taille sa route : 460 milles régulièrement parcourus chaque jour (852 km).
LA CROISIÈRE S'AMUSE (-t-elle ?)
Samedi 1er Décembre 2012 - 6ème jour de traversée
00 h00, encore un décalage de la montre du bord, réglée à TU-2, trois heures de différence avec la
France.
Un gros grain ce matin au réveil et une épaisse couche de nuages gris barre l'horizon. L'air s'adoucit progressivement, il fait 21°C et il devient agréable de rester sur les ailerons de passerelle pour contempler tranquillement le paysage.
Nous sommes trois passagers à avoir demandé à visiter la salle des machines. Munis de bouchons d'oreilles, nous sommes pris en charge par un lieutenant pour descendre dans les tréfonds du Fort Sainte-Marie. Ca commence très fort, car nous pénétrons d'emblée dans une immense salle où le bruit et la chaleur nous assaillent déjà. Face à nous, l'énorme moteur principal de 8 cylindres assure la propulsion du bateau dans un boucan d'enfer. Nous sommes dans les entrailles du Léviathan, nous évoluons dans la démesure.
En dehors du moteur principal, il faut également gérer 4 énormes groupes électrogènes spécialement dédiés aux reefers qui consomment beaucoup d'électricité au retour des
Antilles, des groupes pour ventiler l'atmosphère, climatiser l'air, dessaliniser l'eau de mer, produire du chaud, du froid, de la vapeur, etc, etc...
Les bruits de tous ces appareils s'ajoutent, se mélangent les uns aux autres. Toute cette mécanique dégage beaucoup de chaleur en tournant et rend l'atmosphère de cette salle étrangement pesante.
Après avoir bien transpiré à fond de cale, le retour à l'extérieur est un soulagement. C'est la première fois où la température est très douce et agréablement supportable. Je suis monté à plusieurs reprises à la passerelle, dont un long moment sur l'aileron bâbord en fin d'après-midi à discuter avec les deux autres passagers et le commandant qui n'est pas avare d'informations sur la marine marchande. Très intéressant à écouter. Le soleil s'est couché dans les nuages en produisant des effets orangés presque dramatiques.
19 h 00, soirée barbecue autour de la piscine. Là, il faut oublier tous les clichés que la série TV "La croisière s'amuse" à instillé dans l'inconscient candide et crédule des téléphages... La piscine est un trou de 4x4 m en tôle peinte en bleu foncé, située au pied d'une grue et à proximité d'une rangée de conteneurs. Et pas de fauteuils transat moelleux pour siroter nonchalamment un cocktail sirupeux servi par un steward empressé. Il faut oublier tout ça !
Pour le barbecue : apéritif, gambas, merguez, bœuf, cuisses de poulet à griller soit même au-dessus d'un demi-bidon de 200 litres rempli de braise. De quoi être rôti bien avant la viande... Nous avons partagé ce repas avec tout l'équipage, officiers et matelots roumains, assis sur des bancs en bois, face aux tables recouvertes de nappes en papier. Là encore, pas de sophistication dans le service. Cela n'a pas empêché de vivre un agréable moment de convivialité à se raconter histoires et anecdotes.
Et après le barbecue, pas de soirée romantique accoudé au bastingage du pont-promenade sous le clair de lune... Il n'y a tout simplement pas d'endroit équivalent pour cela à bord !
Plus sérieusement, comme chaque soir, je suis monté à la passerelle. Pas de vent sur l'aileron, l'air y était vraiment agréable, j'y suis resté un bon moment... à discuter avec le lieutenant roumain. Le porte-conteneurs, ce n'est pas "La croisière s'amuse" !
SOUS LE TROPIQUE
Dimanche 02 Décembre 2012 - 7ème jour de traversée
00 h 00, avant-dernier décalage de la montre du bord. Nous sommes passés à TU-3, soit quatre heures de différence avec la
France.
Tenue d'été ce matin. On sent la chaleur en sortant du château. Le soleil brille généreusement, les petits cumulus sont bien alignés dans le ciel, la mer a pris une couleur bleu marine très dense et les poissons volants sont de sortie. Autant de signes qui ne trompent pas, nous sommes tout près d'entrer dans la zone tropicale. Ce que confirment les relevés de températures, air : 25.5°C, mer : 26.8°C.
Après le petit-déjeuner, je pars en randonnée autour du bateau en suivant prudemment un itinéraire ponctué d'obstructions diverses qui ne permettent pas de marcher bien vite. Arrivé sur la plage avant, je m'installe un long moment sur la petite plate-forme qui domine l'étrave. C'est le seul endroit du bateau où l'on n'entende pas un bruit. Le silence complet, un vrai luxe à bord.
De ma plate-forme, je n'ai même pas besoin d'étendre les bras à l'horizontale pour devenir le roi du Monde, comme dans une scène d'un film célèbre... (Il est vrai que les icebergs sont très rares dans la région).
Je vais ainsi passer une bonne partie de la journée entre le pont, l'étrave et la passerelle à profiter de la douceur du climat, à fixer l'horizon. A ce rythme, il est vraiment impossible de s'ennuyer.
17 h 08, nous franchissons allègrement le Tropique du Cancer par 23°27' Nord. C'est une ligne fictive parallèle à l'
Equateur, reliant tous les points du globe où le soleil est au zénith le jour de l'été. Pas de cérémonie spéciale pour le passage de cette ligne ; dommage, cela méritait bien un coup de rhum.
DE L'AUTRE CÔTÉ
Lundi 03 Décembre 2012 - 8ème jour de traversée
Minuit, dernier décalage de la montre du bord. Nous sommes maintenant à l'heure antillaise, TU-4, cinq heures de différence avec la métropole.
Réveil dans la grisaille. Des nuages noirs lourds de menaces s'accumulent au-dessus de l'horizon. Dans la matinée, je me hasarde à faire ma rando quotidienne autour du navire. Je n'ai pas été bien loin, je n'ai eu que le temps de trouver refuge au poste de manœuvre, à l'arrière du bateau, quand un violent grain est tombé brutalement, aplatissant la mer et ramenant la visibilité à rien. Il en a été ainsi toute la matinée.
Aujourd'hui est le dernier vrai jour de navigation avant Pointe à Pitre, où nous arriverons demain aux petites heures. Le voyage n'est pas fini, mais la traversée, elle, se termine ! Et je ne peux pas dire que cela me mette en joie. Hier, avant-hier, avec le voilier c'était quatre fois plus de temps, mais la sensation ressentie à la veille de l'arrivée reste toujours la même : qu'elle soit courte ou longue, la traversée aurait pu durer plus longtemps.
C'est à chaque fois pareil : est-il nécessaire que cela s'arrête si vite ? Pourquoi ? Parce que, mentalement, ce voyage s'inscrit dans la durée, j'ai intégré cette durée et trouvé à bord le rythme me convient pour y parvenir.
Avec ce cargo, j'ai remis les
Antilles à la bonne place sur la surface du globe, en distance et aussi en temps. Les
Antilles ne se situent pas à l'extrémité de la piste d'Orly, elles sont bien de l'autre côté de l'océan Atlantique, au bout de 3.430 milles (6.353 km) et quasiment huit journées complètes de navigation depuis Saint-Nazaire. La traversée, c'est le voyage lui-même !
Et ce qui devait arriver, arrivât ! En début d'après-midi, le lieutenant de quart a sorti la carte d'atterrissage de la
Guadeloupe et commencé à reporter les points dessus... J'ai bien demandé au commandant de ralentir, j'ai l'impression de ne pas avoir été entendu.
J'ai terminé la rando entamée ce matin, je suis resté un long moment assis sur la petite plate-forme qui surplombe l'étrave. Silence, soleil, pas trop de vent et l'océan immense... Je suis venu me faire la dernière piqure d'eau de mer avant l'arrivée...
De quart en fin de journée sur la passerelle. Nous croisons la route d'un vieux gréement, une grande goélette de 33 mètres qui se rend (au moteur, malheureusement), à
Saint-Martin. De la passerelle, elle parait minuscule. Sa coque et sa mâture se détachent en silhouette dans la lumière du soleil qui décline trop rapidement. Ce moment-là aussi, aurait pu durer !
LA GUADELOUPE
Mardi 04 Décembre 2012 - 9ème et dernier jour de traversée
Pas de décalage horaire cette nuit. A minuit, il reste 89 milles à parcourir ; autant dire, rien !
04 h 30, réveil et montée immédiate à la passerelle pour aider le commandant. Le bateau est en avant lente devant l'îlot de Gosier à quelques encablures de Pointe à Pitre, en attendant l'embarquement du pilote prévu à 05 h 00.
Après avoir remonté le chenal qui serpente entre les îlets et les cayes, nous accostons au quai de Jarry en même temps que le jour se lève sur la ville. Tout doucement le profil de la côte émerge dans le contre-jour du petit matin. La température est douce sur l'aileron. Une belle arrivée !
Une belle arrivée après une jolie traversée. Les heures mouvementées du début sont déjà oubliées pour ne garder que le meilleur... Un beau parcours de 4.315 milles depuis Dunkerque (7.990 km), dont 3.430 milles de traversée pure (6.353 km).
Avant que tout ne soit complètement terminé, avec deux autres passagers, nous louons une voiture pour nous rendre à Basse Terre, chef-lieu de la
Guadeloupe. Je ne connais pas cette ville et en dehors de la découverte, j'ai le secret espoir de trouver un spot Wi-Fi.
Rapidement, je comprends que je dois adapter mon mode de pensée à la philosophie locale et faire avec, ou plutôt faire sans. Je me fais promener d'un quartier à l'autre, de renseignements obsolètes en coups foireux, pour me rendre à l'évidence, je ne me connecterai pas à Internet aujourd'hui... Tant pis pour Internet, place à la découverte !
Cette chasse au spot Wi-Fi m'a donc permis de parcourir une petite ville tranquille par rapport aux souvenirs qu'il me reste de Pointe à Pitre : des rues étroites, bordées de vieilles maisons de style colonial dont certaines construites en pierre de lave, tout comme l'église. Un marché couleur locale. Une mairie toute blanche et au bout d'une large esplanade engazonnée, un monument aux Morts de la Grande Guerre, également blanc, se détache sur fond de Soufrière. Une longue esplanade en bord de mer, qu'une employée de la mairie, comparera à la Promenade des Anglais, pour que je comprenne bien.
Nous déjeunons au-delà de la "Promenade des Anglais" dans un petit restau de la marina de Rivière Sens les pieds dans l'eau, face à quelques bateaux de plaisance. Bah oui, on y revient toujours ! Ce restaurant s'appelle "Kafé Signes" sous-titré "Pou palé sans pawol" (véridique). Il est géré par une association d'aide et d'insertion de muets et malentendants. Le service est remarquable par sa discrétion bien sûr, mais plus sérieusement par l'extrême amabilité et la gentillesse de tout son jeune personnel, qui nous avait préparé une excellente assiette de produits de la mer.
Sur la route du retour, nous faisons un crochet vers les chutes du Carbet, au flanc du volcan de la Soufrière. Pour y parvenir, une petite route sinue à travers des paysages vallonnés et luxuriants. La nature ayant repris ses droits, ce site n'est plus vraiment accessible à pied, suite à un ancien séisme et des inondations. Cela nous permet néanmoins de suivre un parcours à travers la forêt humide guadeloupéenne : fougères arborescentes, lianes, plantes épiphytes sur les arbres, etc. Je n'ai pas de talents de botaniste, mais tout est démesuré, troncs, tiges et feuilles. Cela pousse sans problème.
Appareillage fixé à 23 h 00, arrivée en
Martinique demain matin à 05 h 00. En prévision d'une courte nuit, je m'octroie un peu de repos après le dîner. Avant que le réveil ne sonne, dans un demi-sommeil, je réalise péniblement que le bateau est en route. Les lumières de Pointe à Pitre s'éloignent dans le sillage du Fort Sainte-Marie. Je n'ai toujours pas compris comment le commandant a pu appareiller avec une heure d'avance sans mon aide ! Vexant !
FORT DE FRANCE
Mercredi 05 Décembre 2012
Ayant raté le dernier appareillage de ce périple, hors de question de manquer l'ultime accostage ce matin à Fort de
France. D'autant que mon épouse me tire de mon sommeil à 04 h 00 par téléphone pour me dire qu'elle me suit à la trace sur MarineTraffic et me confirme que j'arrive bien en
Martinique. Bah oui, pendant qu'il est 09 h 00 du matin en
France, il fait nuit noire aux
Antilles !
Je m'octroie donc une grasse matinée jusqu'à 04 h 45 avant de monter à la passerelle rejoindre le commandant qui est déjà à son poste. "Bonjour commandant ! Cette fois, je suis bien réveillé. Vous pouvez compter sur moi !". Il a bien compris la signification de cette aide qui tient évidemment plus du gag que de l'efficacité réelle. C'est pour moi, une façon détournée de lui exprimer mon intérêt pour la navigation et tout ce qui rapporte à la marche du bateau.
Le Fort Sainte-Marie pénètre à petite vitesse dans la baie de Fort de
France. Depuis l'aileron bâbord dans l'air tiède, je savoure, je distille ces dernières minutes de navigation devant les lumières de la ville qui défilent lentement.
06 h 10, le bateau est à quai, amarres capelées. L'ordre fuse dans les talkies walkies : "TPLM ! Terminé pour la machine !"... Terminé pour moi !
La voiture de location que j'avais réservée pour la suite des vacances ne sera pas disponible avant l'après-midi. A cause des lourds bagages, difficile d'aller et venir librement en attendant. Je suis donc contraint de rester à bord toute la matinée, ce qui me permet de poursuivre la mise à jour de mes notes de voyage.
En réalité, cela m'arrange bien, je ne suis pas pressé de débarquer...
1ère partie : de Dunkerque à Saint-Nazaire:
voyageforum.com/...st_edit;post=5847958;