Fin août, début d’après-midi, grosse cagna, un abri sous roche dans la falaise à quelques mètres de la rivière, les jambes commençaient à sentir les efforts sans entraînement de ce troisième jour de rando, j’en avais encore environ pour trois heures avant d’arriver à bon port.
L’abri ne fait guère plus d’un mètre de profondeur sur quatre ou cinq de long. Il y en a plusieurs de la sorte dans ce secteur tout le long de la falaise qui borde la rivière. Je décide de marquer une pause à l’ombre du surplomb. Je pose mon sac contre la paroi du fond, balaye le tapis de crottes séchées des biquettes qui doivent y trouver refuge par mauvais temps avec le berger, car il y a aussi un emplacement de foyer, et je sombre dans un sommeil profond.
Jusque là rien d’exceptionnel me direz vous ; c’est vrai, mais j’essaye de planter le décor. Un roumi solitaire crevé et endormi au bord d’une rivière dans des gorges impressionnantes au cœur des montagnes de l’
Atlas. Une proie facile pour un indélicat...
Je me réveille en sursaut, moite de sueur, constatant avec soulagement que la crue qui m’isolait dans cette falaise, et qui ne manquerait pas de me noyer en montant... n’était qu’un cauchemar. Je me lève pour me rafraîchir à la rivière avant de repartir d’un bon pied, tend la main pour empoigner mon sac à dos et... ce n’est plus un cauchemar, ce n’est même pas un rêve, c’est la réalité : sur le sac à dos toujours appuyé contre la paroi, une main attentionnée a posé une belle grappe de raisin et trois petites pêches.
Alors que j’aurais pu me faire dépouiller de toutes mes affaires durant mon sommeil, un passant, je suppose un de ces bergers qui habitent les grottes de ces falaises durant la belle saison, a dû penser que ces quelques fruits sauvages cueillis le long de la rivière donneraient les forces qui semblent manquer au roumi pour atteindre la vallée avant la tombée de la nuit.
Beau geste non ? Mais surtout geste naturel pour beaucoup de berbères, et qui donne encore plus de sens à la dénomination sous laquelle ils se reconnaissent: Amazigh, noble ou homme libre. Geste d’autant plus noble que rien n’est attendu en retour ; pas même un merci, car selon eux c’est à Dieu seul que je dois rendre grâce d’avoir mis sur mon chemin ce discret et généreux homme libre... Geste noble, ni rare ni isolé dans ces montagnes où la solidarité et l’entraide ne sont pas de vains mots. J’avais déjà vécu des plaisirs identiques lors de ma première randonnée dans l’
Atlas et ne cesse depuis de m’émerveiller de cette générosité.
Un roumi passe, comme passe un commerçant, un nomade ou un fquih, leurs ventres sont peut-être vides et ils ont besoin de forces pour continuer leur chemin. Alors on se doit de partager son toit et sa pitance, aussi maigre qu’elle soit.
Ainsi je n’ai jamais croisé un berger ou un voyageur sur ces sentiers sans qu’il me propose de partager le fond de son bidon de petit lait, son quignon de pain ou les quelques dattes prévues pour la journée.
Combien de nuits partagées dans des bergeries, sur des nattes à même le sol ou de vieux tapis qui ménagent plus la dignité que les os fatigués ; et ce moment émouvant : le thé improvisé un jour au passage du Tizi n’Ouanergui avec mon pote Jacky et un berger de la vallée qui m’avait reconnu au passage. Il était assoiffé, nous avions encore de l’eau dans un bidon et lui le morceau de sucre, la théière et la poignée de thé sans lesquels ils n’entreprennent aucun déplacement.
Nous échangeâmes peu de mots, salutations, provenance et destinations respectives, mais tout était dit dans ce partage.
A méditer.
Passerelles traditionnelles permettant aux hommes et troupeaux de traverser
quand le passage à gué n’est pas possible.
Celle-ci permet aussi la traversée des mulets.