On va commencer par situer le contexte. Je vais faire bref sinon on va pas s’en sortir avec la mythologie hindoue.
Sabarimala est le temple du dieu Ayyappan. Ce dernier est le produit de l’union de Shiva et Vishnou sous sa forme féminine. Tiens, ça y est ça commence les complications.
Donc compte tenu de ses ascendants, il a les pouvoirs de ses deux parents. Il détruit toutes les tendances négatives grâce à la puissance de destruction acquise de son père Shiva. Il soutient le concept de l'Être suprême, par la puissance de sa mère. Il est est un symbole de l'unité religieuse et de l'harmonie communale. c’est une des divinités les plus vénérées de l’
Inde du sud sous diverses formes. A Kulathupuzha, au
Kérala, il est révéré sous sa forme d’enfant. A Sabarimala sous sa forme d’ascète, chaste, méditant pour les bienfaits de l’humanité. De ce fait, il est coupé du monde et ne veut être dérangé par aucune visite.
Sabarimala se situe au sommet d'une colline à 1260 m au sein du
Parc national de Periyar. Il est l’objet d’un pèlerinage annuel, seulement entre décembre et janvier. Ce serait le deuxième plus important pèlerinage au monde, 50 millions de pèlerins selon les uns, 100 millions selon les autres... - Ça fait donc une différence de 50 millions selon les sources... -
Au tout début... Il y a donc très très très longtemps, des dévots qui souhaitaient entrer dans le temple pour le vénérer ont décidé que puisque le dieu ne voulait voir personne, eux se feraient eux-mêmes Ayyappan. Aparté : vous commencez à comprendre peut-être pourquoi nos amis indiens nous répondent je peux pas t’expliquer, tu comprendrais pas parce que tu n’es pas hindou. En effet il faut être hindou pour comprendre qu’un humain peut se faire dieu.
Bref, ils y sont parvenus à la suite d'une ascèse extrêmement sévère et ainsi ont pu pénétrer dans le temple sans déranger le dieu puisqu’ils étaient eux-même devenus ce dieu. Vous me suivez toujours ?
Puis ce rite s’est perpétué règlementé par des brahmanes intégristes - faut-il le préciser ?-
Donc pour accéder au temple, il faut être un homme, effectuer une ascèse de 41 jours avant le pèlerinage, s’y rendre à pied, pieds nus sur les routes, entièrement vêtu de noir. - Vous en avez sûrement croisés un jour, on peut pas les rater -. De plus ils ne doivent manger que végétarien absolu et s’abstenir de toute activité sexuelle y compris avec le poignet... C’est bien connu, ça rend sourd. C’est bien connu aussi que la sexualité - même en partenariat - est également une activité malsaine, impure, dans bien des religions et traditions. Et n’allez pas dire qu’elle est aussi importante pour l’équilibre d’un être humain que boire, manger, dormir...
A son retour chez lui, le pèlerin est devenu dieu. On ne l’appelle plus par son nom, ni papa, non plus. Famille et voisins s’adressent à lui en le nommant Ayyappan
On m’a dit que tout bon hindou se doit d’effectuer le pèlerinage à Sabarimala au moins une fois dans sa vie. Les pèlerins proviennent principalement du
Kérala, du Tamil Nadu, du Karnataka et de l’Andhra Pradesh. On m’a précisé cependant que si je respectais les règles que je viens d’énoncer, je pourrais moi-même effectuer le pèlerinage et pénétrer dans le temple.
Comme de bien entendu, comme dans toutes les religions, les hommes - les humains -, les clergés ont fait leurs propres lois et règlementations qui souvent n’ont rien à voir avec la doctrine prêchée par l’Initiateur du mouvement religieux. Donc, à Sabarimala, les brahmanes ont décrété que l’entrée serait interdites aux femmes susceptibles d’avoir leurs règles c’est à dire entre 10 et 50 ans. Tiens donc ! Ma mère les a subies disait-elle, jusqu’à 62 ans... Tiens comme Elizabeth, la mère de Jean Baptiste, cousine de Marie mère de Jésus.
Tiens ben justement si on nous répond tu peux pas comprendre parce que t’es pas hindou. C’est bien la même chose avec Marie, toujours vierge et mère cependant. Et allez donc expliquer à un non catholique la Sainte Trinité : le Père, le Fils, et le Saint Esprit. Surtout ce dernier représenté par une colombe.
En septembre 2018, la High Court a révoqué cette interdiction comme étant discriminatoire et bien peu démocratique dans « la plus grande démocratie du monde » - sur le papier ! -
Des voix ont commencé à s’élever pour protester, mais d’autres, de femmes, - mais d’hommes aussi - ont soutenu ce jugement soulignant son incohérence, en alléguant que les femmes étaient tout à fait admises dans les autres temples d’Ayyappan. L’historien Rajan Gurukkal note qu'il existe des preuves documentées de jeunes femmes indiennes non-tribales ayant pénétré dans le temple jusque dans les années 1980. L'interdiction du temple aux femmes pubères et non ménopausées est donc récente.
Le 1er janvier, j’ai emmené mon ami Praveen à
Kochi pour lui changer les idées. Nous avons logé dans une guesthouse dont le propriétaire, ou tout au moins fondateur, est français, fréquentée essentiellement par des français, mais pas que. J’avais dit à Praveen: tu verras comme ça ce qu’est une fête française, comment on célèbre le nouvel an en
France (Bonne année, bonne santé et tout le monde se bisoucaille même si on se connaît pas.) En fait nous avons eu droit à une mégalomaniaque fête indienne exactement comme un mariage indien. De toute évidence, et je n’ai pas été seul à le penser, le but du manager - Indien - était d’épater sa famille et ses copains et autres relations de
Kochi : vous voyez ce que je suis devenu ? Moi, le pauvre petit tenancier d’une misérable et minuscule boutique où l’on vend de tout, je suis riche à présent. Le petit groupe de français noyé dans ce raz de marée d’invités indiens se demandait quelle somme phénoménale avaient dû coûter les illuminations et le traiteur pour plus de 100 personnes... invitées. D’habitude les
parties de ce genre dans les hôtels et guesthouses, quand elles sont ouvertes sur l’extérieur, sont payantes. et même très chères.
Pour nous remettre de cette déception j’ai emmené Praveen sur les
backwaters. Il n’y était jamais allé. Et en revenant nous sommes tombés dans des bouchons phénoménaux. Des cars, des cars, des cars, tous remplis de femmes. Quelques hommes égarés parmi elles les accompagnaient. Des milliers et des milliers de femmes.
- Mais c’est quoi, ça Praveen ?
- C’est rien, t’occupe pas c’est pas important.
- Mais dis moi, je VEUX SAVOIR.
- C'est rien, c’est politique, tu peux pas comprendre !
Il a fallu bougrement insister pour qu’il me raconte l’histoire de la levée de l’interdiction des femmes à Sabarimala et du ladies wall.
Moi j’ai trouvé ça génial, extraordinaire, que des femmes se révoltent en quelque sorte contre ce machisme religieux. Mais non, j’avais tout faux.
- C’est pas bien. Tu peux pas comprendre. C’est fondamentalement sacré, c’est notre tradition, elles bafouent la tradition. Elles s’élèvent contre des basses religieuses millénaires. Par exemple, vous vous avez le baptême. C’est comme si des gens s’élevaient contre le baptême et veuillent le remettre en cause.
J’ai beau expliquer qu’une femme qui a ses règles et qui a une bonne hygiène n’est pas plus impure qu’une autre que c’est un truc complètement obscurantiste, etc... rien n’y fait. J’explique qu’on est tous, même les hommes, plein de merdes à l’intérieur dans nos intestins, mais que c’est interne et que ça ne sort que lorsque l’on va aux toilettes... :
- Alors s’il te prend une envie de chier avant d’entrer au temple, tu es impur et donc tu ne dois pas rentrer ?
Merde ! C’est le cas de le dire. J’ai mal choisi mon exemple.
- Ben oui, on est impur quand on va aux toilettes.
Et j’ai droit à la tirade sur la main gauche impure et tout le bataclan...
- Tu ne pourras jamais comprendre ce que j’essaie de t’expliquer car tu n’es pas hindou. Non c’est vraiment pas bien ce mur des femmes. Et puis c’est les communistes !
- Quoi, c’est les communistes ?
Et il part là encore dans tous les discours négatifs et contestataires que j’entends partout au
Kérala à propos des communistes et du gouvernement communiste.
- Bon sang, mais alors qui vote communiste ici ? On se demande comment c’est possible.
Il me donne l’explication :
- C’est les ouvriers, dans les grandes villes, mais en dehors des villes les gens ne veulent pas des communistes au gouvernement.
Plus sereinement, le lendemain, il m’expliquera la réalité des faits :
- Le mur des femmes est constitué par une majorité de non hindoues. Des catholiques, des musulmanes et des athées. Beaucoup d’athées. Les femmes hindoues - les bonnes pratiquantes, quoi !- elles trouvent ça normal, c’est une tradition religieuse et culturelle. Il faut pas toucher aux traditions. C’est mal.
Peu à peu au fur et à mesure de ses explications et de ses arguments, je commence à comprendre. Au départ l’idée était bonne de bousculer cette règlementation. mais en fait les communistes- au pouvoir au
Kérala - s’en sont emparés et c’est devenu un acte politique d’opposition au gouvernement central et en particulier à Modi.
En plus la propagande et le bourrage de crâne, ça marche à fond la caisse en
Inde. Et aussi le regard de l’Autre. Très probablement parmi ces millions de femmes il s’en trouve la moitié qui ont participé au mur pour faire comme la voisine, pour ne pas être critiquée et jugée...
Non, le mur n’était pas totalement constitué. Il y avait de grandes interruptions. Toujours pareil à cause du manque d’organisation, du manque d’encadrement. A cause du bordel indien, du manque de coordination. Trop de femmes d’un côté, pas assez de l’autre...
Moi ce qui m’a le plus surpris en croisant tous ces bus bondés de femmes c’était de voir leur mine sans expression aucune, leurs regards vides, comme si elles revenaient de l’enterrement d’un proche bien aimé. Rien. Elles n’exprimaient rien de femmes qui venaient d’avoir le courage de s’opposer, de refuser un joug. Qu’elles fussent jeunes ou vieilles toutes exprimaient ce sentiment de fatigue, de lassitude, de je m’en fous complètement. Rien de la joie qu’on aurait dû voir sur leur visage.
Voilà. C’est long. Il est tard. Johny me tarabuste pour partir car nous avons appris en fin d’après-midi qu’il y avait une soirée, peut-être une nuit, de theyyam pas loin de chez moi. Peut-être 1ou 2 km maxi. A pied. Si on est fatigués entre deux séances de rituel on peut rentrer dormir un moment. En effet probablement 22h -> Minuit puis ça recommence à 5h. On n’en sait rien en fait. On ne sait souvent rien de précis au sujet des theyyams. Il faut y aller et voir sur place comment ça va se dérouler...
Aujourd’hui c’était hartal toujours pour protester contre le mur des femmes et voilà qu’on apprend ce soir que la grève est reconduite demain.
- La protestation est forte, me dit Johny - qui n’est pas hindou mais en revanche profondément anti-communiste - parce que les deux femmes qui sont entrées dans le temple - sous escorte policière - sont en fait deux femmes athées, sans religion aucune. Juste de la bravade ! Juste un acte politique.
Bon si vous avez des questions... ou des précisions à donner...
Je relis pas