Aujourd’hui, du quotidien brut, sans philosophie, juste du banal.
Vous vous souvenez peut-être de mes rapports devenus houleux avec mon proprio. De cette histoire de note d’électricité de 2000 roupies alors que sur deux mois j’étais absent et eux présents. je vous ai parlé de mes échanges plus qu’acides avec le gendre, ce gros parvenu qui joue les « Monsieur » et qui me démontrait par A + B que c’était normal que je paie l’intégralité de la note d’électricité, même quand je ne suis pas là sous prétexte que mon loyer n’est pas cher (prix normal en fait, mais l’étranger est bourré de tunes). Le « vieux » était monté un soir pour dire à Johny qui était là (il parle pas un mot d’anglais) que je DEVAIS m’exécuter et payer.
Ça avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder la coupe après la tentative d’augmenter le loyer de 50%.
Sur les conseils de tous mes potes dont le policier dont la femme est avocate, j’avais décidé de laisser tomber et de payer et de me mettre en quête immédiatement d’un appartement à louer. Par ailleurs finis les sourires et les salamalecs. Plus question de mettre les pieds chez moi. Je paierai mon loyer à la porte comme notre ami TheBigsnail à
Delhi et c’est fini les cafés, les jus de citrons, et... les bières ! Et surtout les sourires. Je lui faisais vraiment la gueule.
Les 2000 roupies étaient sur mon bureau mais personne ne s’est pointé pour encaisser. Bizarre... Hier le gendre se pointe à la grille. Je saute dans un bermuda, j’empoigne les 2000 roupies au passage et les lui tends à travers la grille, sans lui ouvrir. Hilare et très aimable, il me sort :
- Non, non, je viens pas pour ça, je voudrais regarder le stock de plaque de verres sur la terrasse. J’en ai besoin et ça te débarrassera un peu... Mon beau-père montera encaisser la note d’électricité lui-même.
Tiens ? Y aurait-il un désaccord entre eux à la suite de tout ce que je lui ai balancé sur leur
grippesouterie et leur tricherie ? J’ai toujours soupçonné le gendre d’avoir convaincu son beau-père de me tondre au maximum. Augmentation faramineuse du loyer, note d’électricité intégrale, etc...
Ce matin, je pars au marché et au passage je donne au proprio ses 2000 roupies. Et à ma très grande surprise, il m’en rend 1000 avec un grand sourire. J’en étais bleu ! Bien sûr je me suis confondu en remerciements et en sourires à mon tour. Calumet de la Paix. Je crois qu’ils n’ont pas du tout envie qu’on se fasse la gueule ni surtout que je parte. Aurait-il subodoré que je risquais de m’en aller ? Quelqu’un lui aurait-il dit qu’on m’avait vu visiter des appartements ?
Quoiqu’il en soit, on revient au sujet précédent. « Ça ne se fait pas » de râler, de protester, d’être virulent, on doit fermer sa gueule et rester souriant pour négocier. Ce qu’avait fait Johny... Sans aucun résultat. Et ça je sais pas faire. Quand on me prend pour un con, je souris pas, mais alors pas du tout.
Un jour, un Indien m’avait dit :
- C’est logique que vous vous fassiez gruger par les rickshaws, les taxis et autres avec vos sourires, vos merci tous les trois mots, et surtout parce que vous vous adressez à eux comme avec un copain. Vous ne respectez pas le rapport client/chauffeur/hôtelier/commerçant, etc... Il parlait surtout pour les rickshaws. Il m’avait dit : chaque fois que tu dois avoir un rapport d’argent avec un Indien, tu dois mettre un pli dans ton front arborer une mine sérieuse et tu fais surtout pas le gentil. Au contraire il te prendra pour un benêt et il te trompera sur le prix.
J’avais déjà commencé à chercher un appartement et, forcément à me prendre la tête. De très chouettes apparts à des prix plus que corrects. But... Not for foreigner, not single man...
Cet ostracisme me met hors de moi. Non seulement il y a 99,99% de chance que nous soyons plus réglos et plus solvables, mais en plus, plus soigneux et respectueux des locaux, des installations, et de l’environnement.
Mercredi dernier, puisque c’était la grève nous sommes partis visiter une nouvelle superbe résidence dans le même village où je vis en ce moment. Elle vient d’être finie. J’ai cru me trouver dans un de ces immeubles de luxe pour gens friqués. Un gardien/sbire 24h/24, caméra video de sécurité, parking compris dans le loyer, souterrain et donc abrité. Un salon aux fauteuils et canapés moelleux pour patienter ou recevoir quelqu’un que l’on n’a pas envie forcément de faire entrer chez soi. J’ai trouvé ça très indien. Tu fais venir quelqu’un chez toi, mais tu le reçois au rez de chaussée dans un salon... public. Public, mais privé. Si vous voyez ce que je veux dire. Trois ascenseurs. une déco superbe et... de très bon goût sur les murs...
Il y avait même l’arrivée de gaz dans la cuisine, directement avec un compteur !!! Une révolution ici. L’appartement était superbe : 155 m2, 3 chambres, séjour, cuisine, buanderie, etc... Mais, fait surprenant un balcon minuscule ! Pour le coup on se serait cru en
France quand ici dans ces beaux immeubles chaque appart a sa propre terrasse privée. Un autre bémol l’appartement vacant était au 3ème, alors la vue plutôt limitée. Mais pas dégueu non plus car on y est à la hauteur des têtes des cocotiers. On a l’impression d’être dans une cabane dans les cocotiers. Mais du coup appartement sombre.
Très bon accueil par le responsable de la société. Ici, c’est pas un connard de propriétaire qui loue, mais la société immobilière qui a construit cette merveille. Cette fois, le mec qui semble très intéressé de me louer l’appart, me dit :
- Mais en haut tu as la terrasse et la piscine avec une vue époustouflante...
Effectivement je me suis cru à
Monaco... Une superbe piscine avec renouvellement et filtration de l’eau 24h/24. Et la vue !!! Sur les
backwaters, la mer au loin, et des forêts de cocotiers...
Oui, tout ça pour un loyer de 24000 roupies négociable. Un peu moins de 300 € par mois. Le genre d’appart à 1200/1500 € chez nous et plus encore à
Bordeaux,
Marseille,
Toulouse,
Lyon, ou
Paris... Tout à fait gérable pour moi puisque j’ai vendu ma maison.
Le mec téléphone à la responsable à
Kochi. Oui c’est possible de louer même à un étranger, même à un homme seul.
Vous pensez si j’étais heureux !
Et la dame en question propose à Johny un autre appart à Payyambalam beach, un peu plus cher mais lui aussi négociable à la baisse.
Alors là j’ai carrément explosé car je connaissais cette résidence. Je l’ai vue se construire il y a 5 ou 6 ans. Et quand nous nous baignions, je disais à Johny :
- Tu vois c’est là que j’aimerais trouver un appart à louer.
Et depuis, je fantasmais sur cette résidence à chaque fois que j’allais à la plage.
Mais, me dit Johny, : I’m not available tomorrow... Je dois rentrer chez moi, la grève est finie, j’ai du boulot et je peux pas revenir avant un moment. Mais tu peux y aller seul pour visiter puisque la dame est courant, puisque c’est elle qui m’en a parlé.
Alors, le lendemain, avec certitude, je me pointe à Payyambalam beach.
Ça commence mal, le sbire ne me laisse même pas expliquer : il répond qu’il n’y a aucun appart à louer. Il faut appeler Johny qui est en plein enterrement à l’église. Vous voyez un peu le tableau ! Le sbire qui s’impatiente, moi qui m’affole, Johny qui ne peut pas parler fort... Bon j’abrège. Johny a fini par donner le nom de la dame. Elle s’appelle Sésame ! Les portes se sont ouvertes. Le mec préposé à me faire visiter prend deux clefs. J’en conclus qu’il y a deux appart dispo. Tant mieux.
Le premier, au 12ème, est fabuleux : 181 m2, une superbe terrasse qui domine la mer. Une vue époustouflante sur la plage qui s’étend sur ses 5 kilomètres, puis les yeux se portent sur la ville et le gars me pointe même mon village, tout là-haut, au loin, sur la colline... Mon rêve est sur le point de se réaliser...
Au sortir de cette visite, je demande à voir l’autre appartement.
- Mais il n’y a pas d’autre appartement ! Sur un ton péremptoire.
- Mais tu as pris deux clefs !
Pour s’en sortir il me débite un tas de mensonges gros comme une maison, comme ils savent le faire. Style l’hôtel a brûlé...
Ben là, l’appartement n’a pas brûlé, mais...
- L’appartement est déjà loué. Quelqu’un l’a déjà retenu.
- Mais si tu as pris les deux clefs c’est pas pour ne m’en montrer qu’un seul. S’il te plaît fais moi voir l’autre. Même s’il est déjà loué. Si tu as pris la clef c’est que c’est pas définitif, c’est que ton supérieur t’a dit de me montrer les deux...
Là il se sent gêné : Mais c’est exactement le même au 16ème étage...
-Ben justement je veux voir la vue quatre étage plus haut... On doit être dans les étoiles, le soir...
Rien n’y fait.
- Alors je veux voir la piscine là-haut et voir la vue.
- Ici la piscine elle est au ground floor. On va descendre la voir et après je te montrerai la terrasse...
Logique indienne : on est au 12ème étage, donc plutôt que de monter au 18ème en passant par le 16ème pour visiter l’autre appart, il redescend, têtu, jusqu’au rez de chaussée.
La piscine est moins luxueuse que celle de l’immeuble de mon village, le système de filtration n’est pas aussi perfectionné, j’aperçois des papiers de bonbons qui flottent... Et par dessus tout, 18 étages de terrasses et de balcons plongent sur la piscine. Bonjour l’intimité du papy qui prend ses aises là bas en bas. Car les Indiens ils sont pas très fan... On peut pas se baigner en sari et en dhoti dans une piscine. A
Varanasi, dans le Gange on peut montrer ses seins et ses fesses dans son sari mouillé et les hommes les leurs avec tout leur matériel devant, dans un langhotta (slip traditionnel indien, vous avez dû les voir) mouillé hyper collant. Mais pas question à
Kannur de se mettre en maillot de bain à part quelques touristes occidentaux et quelques jeunes touristes indiens mais jamais vu d’Indiennes en maillot de bain.
Donc nous remontons jusqu’au 18ème sur la terrasse que je trouve bien décatie déjà après seulement 3 ans que la résidence s’est ouverte. La mousson y a rien de pire pour dégrader les maisons. Au passage il me montre l’incinérateur pour les papiers, cartons, briquettes de jus etc... Les bouteilles sont collectées à part et les déchets ménagers aussi. Tri sélectif ! Je rêve ? Au moins j’aurai plus à courir très loin pour jeter les miennes, en douce, dans la benne d’un grand restaurant près de la gare routière. Je supporte pas de les jeter en cachette dans les buissons comme ils font tous.
Et l’on redescend et le bonhomme me sort tout à traque :
- Puisqu’on est là, tu veux visiter l’appart du 16 ème ?
Rigolez pas, c’est vrai ! Subitement l’appartement soi-disant déjà loué et invisitable ne l’était plus.
Il avait raison, le même pareil sauf que celui-ci est meublé et les meubles ne sont pas du tout, mais alors pas du tout assortis au lieu : Des fauteuils et canapé d’un autre âge, moches, cra-cra, inconfortables au possible et pareil pour les lits. Quant aux rideaux aux fenêtres ils ont dû servir de serviettes après manger ou pour essuyer la poussière. L’appart semble être inoccupé depuis très longtemps... Bizarre... Et puis la vue du 16ème étage est bien pareille à celle du 12ème... Donc je prendrai celui du 12ème étage
Nous redescendons et mon « guide » m’introduit dans un bureau où je suis reçu par une jeune cadre de la société qui commence à parler à toute allure en malayalam... pardon, non en anglais mais avec l’accent et le débit vocal ultra rapide du malayalam. Je comprends rien ! Sinon qu’il veut me préciser quelque chose... Mais quoi ? Je lui fais répéter. Il répète exactement de la même façon - comme toujours -.
- Tu peux parler moins vite s’il te plaît ? Je comprends pas
Il se rembrunit. Manifestement ça le vexe que je ne le comprenne pas. Je dis oui ou hoche la tête à tout ce qu’il débite alors que je ne comprends rien. Je m’en fous puisque je vais traiter avec cette dame - appelons-la Sésame - avec qui nous sommes déjà en relation et je le lui dis. Car j’ai cru comprendre que c’était elle qui s’occupait du service des locations depuis
Kochi. Et je précise :
- On est déjà en relations, je vais dire à Sésame que je suis OK et que je suis prêt à faire les papiers.
Sur un ton plutôt pincé, il prend congé de moi et me dit : c’est ça réfléchis entre l’appart de ton village et celui de Payyambalam et quand tu seras décidé tu l’appelles.
Je suis sorti euphorique et me suis précipité à la plage où je ne m’étais pas rendu - dans ce secteur où tout le monde s’agglutine le dimanche - Quel changement ! Ils ont aménagé le parc qui donne accès à la plage, qui était plutôt négligé. C’est très joli, très propre, des poubelles partout, des écriteaux, et plus aucun papier, gobelet ou assiette en carton qui jonchaient autrefois les pelouses. C’était pas des pelouses autrefois, ça l’est devenu. Et plus loin je découvre des camions, des bétonnières, des bulldozers. Ils ont conquis une partie de la plage, très large en cet endroit, pour construire ce qui sera une promenade avec bancs, poubelles, arbres et plantes... Comme en
France précisera Johny qui avait lu le projet dans les journaux.
Les têtes tournent à
Kannur. L’aéroport va les enrichir à en crever pensent-ils... On verra ce qu’ils vont en faire de cette plage et de cette ville. Je ne peux m’empêcher de dire à Johny :
- Ils feraient mieux de commencer par changer d’esprit vis à vis des touristes étrangers et surtout de construire une VRAIE route d’accès à l’aéroport.
Un aéroport gigantesque et fastueux mais une route étroite, pleine de trous par endroits - la mousson encore -, et surtout toujours encombrée et bouchonnée.
Le lendemain Johny appelle Sésame, après bien des difficultés pour la joindre, qui lui répond - sèchement me dit-il - qu’elle doit demander au propriétaire s’il est OK pour louer à un étranger et qu’elle le rappellera. Bien sûr elle n’a pas rappelé. Je suis revenu à la case départ. Je me réveille en sursaut, c’était un très beau rêve !
Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’elle mentait effrontément puisque ces appartements sont des appartements gérés et loués par la société et non par des particuliers.
Il s’est passé quelque chose qui a bloqué. Mais quoi ? Elle était tout à fait d’accord deux jours plus tôt c’était elle-même qui nous avait mentionné ces appartements à Payyamballam beach alors que nous l’avions contactée pour l’autre résidence dans mon village.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Car je suis sûr que c’est lié à ma visite de la veille. Je trouve toutes sortes de possibilités :
- Il y a peut-être une rivalité entre les deux résidences ? L’autre a dû faire un scandale parce qu’il m’a adressé à Sésame et celle-ci me propose un autre appart. Il va pas toucher sa com. Ou bien celui qui m’a reçu à Payyambalam a été horriblement vexé que je le court-circuite en traitant directement avec Sésame à
Kochi ? Lui aussi, en plus de sa fierté bafouée, ne va pas toucher sa com ? Ou quelque chose qu’il fallait pas dire ou faire ?
Johny de conclure, en baissant les bras immédiatement alors que moi je veux la relancer, demander des explications.
- Tu sais ici les gens sont toujours bizarres, arrête de chercher à comprendre ce qui s’est passé, tu ne sauras jamais. Laisse tomber ! On en trouvera un autre.
Et voilà...
Du coup, j’ai repensé au geste de mon propriétaire, et je me dis que si nos rapports s’arrangent, je peux encore être bien ici... en attendant une opportunité. Car il vaudrait mieux partir. Je me suis bien rendu compte en visitant cet appartement que c’est plus adapté à mes moeurs occidentales de vivre dans ce genre de logement et je peux aller marcher sur la plage tous les matins sur des kilomètres et me baigner aussi. Là-haut dans mon bled, je suis un peu enfermé. Et puis je me sens toujours si observé, si espionné par mes voisins immédiats à la solde de mes proprios pour faire leur rapport sur mes activités.
Je me suis fait plaisir au marché pour me préparer un petit gueuleton pour moi tout seul.
J’ai préparé des sardines en escabèche. J’adore ! 140 roupies le kilo, on croit rêver ! 1,73 € au cours d’aujourd’hui. Et du coup, j’ai aussi craqué pour un joli petit vivaneau à 260 roupies (3,34 €) qui coûte une fortune en
France. Quand on arrive à en trouver !!!
Et en m’arrêtant à mon marchand d’ail m’est revenu ma question : A-t-il assez de revenus en ne vendant que de l’ail et des échalotes ? Car il faut voir le bonhomme. Un type dans les 45 ans, une gueule superbe à la Omar Shariff du temps de sa splendeur, athlétique, toujours très proprement et élégamment vêtu. Vous le verriez dans un autre contexte vous penseriez à un cadre de banque ou d’administration - en moins guindé - avec toujours un immense sourire en prime.
Un jour j’avais demandé à Praveen et à Johny :
- Vous croyez qu’il gagne assez d’argent en ne vendant que de l’ail ?
Mes deux potes avaient répondu en choeur :
- Mais tu te poses toujours des tas de questions incroyables. Il faut croire que oui. Ou c’est un revenu secondaire, il est peut-être fonctionnaire et arrondit son salaire en vendant de l’ail en dehors de ses heures de bureau.
- Mais non, il est là tous les jours et quelle que soit l’heure... Il n’a rien à voir avec tous ces autres marchands du marché, négligés, pas toujours bien propres à part un autre jeune avec une gueule de Rajah aux yeux de braises qui s’habille lui aussi parfois comme un prince pour vendre ses fruits divers alors que son patron est plutôt crado...
Et en poursuivant mon marché, tous les sourires et bonjour de tous ces marchands m’on fait penser :
- Tant pis pour l’appart à Payyambalam, on verra plus tard, en effet, une autre opportunité. Je suis quand même pas mal du tout ici surtout si le proprio change un peu d’attitude. Peut-être ont-ils compris qu’ils ont poussé le bouchon un peu loin...