Archipel balayé par les vents au large de l’
Amérique du Sud, les
Malouines recèlent une beauté sauvage rare. Les côtes sont fréquentées par un grand nombre d’oiseaux marins qui viennent lors de la période de reproduction d'Octobre à Mars. Sur les plages de sable blanc, les manchots nichent aux côtés d’énormes éléphants de mer. Au loin, les albatros glissent sans effort sur la mer. Un paradis pour la faune subantarctique que viennent découvrir les passionnés de photos animalières.
C'est avec plaisir que j'ai écrit des ces quelques lignes qui retracent cette petite expérience de 3 jours au bout du monde. Pour plus d'informations, n'hésitez pas à me contacter ou visiter ma page
ici
Le 19 février
Il est 9h30. L’avion vient d’atterrir en douceur sur
Saunders Island et Suzan Pole-Evans, la cinquantaine, cheveux poivre et sel, est déjà là pour m’accueillir. Elle et son mari, David, ont acheté l’île dans les années 1980. Depuis, ils gèrent une grande ferme et élèvent plus de 6000 moutons. En dehors du settlement, où vivent le couple et leur famille, ils ont construit deux logements en préfabriqué et peuvent ainsi accueillir des touristes pendant la période estivale. L’un se trouve au nord, l’autre à l’ouest. Mais les 2 logements sont complets depuis belle lurette et pour cause il y a des chercheurs spécialisés dans l'étude des faucons qui logent sur l’île depuis deux semaines. Heureusement, les Pole-Evans autorisent les visiteurs à camper n’importe où sur l’île pour 10 pounds par jour. Suzan me propose tout d’abord un arrêt au shop, une cabane qui sert de garde-manger. A l’intérieur, c’est un vrai bazar. Je prends un réchaud à gaz et trouve quelques boites de conserve pour les trois prochains jours. Nous voilà partis en land rover à un endroit qu’on appelle The Neck, un isthme de sable blanc qui relie deux sommets de l’île, Mount Richards et Mount Harston.
The Neck est un formidable endroit pour la faune. Plus de 8000 manchots papous vivent paisiblement sur la plage et des centaines d’albatros et de gorfous nichent à proximité sur les vastes pentes abruptes. Les 10 miles qui séparent The Neck du settlement prennent environ une heure. Suzan me dépose au bout de la plage et viendra me chercher dans trois jours. Elle m’indique la direction du Swiss Hotel, sans doute le meilleur endroit pour camper sur les
Malouines. Après un petit quart d’heure de marche, j’arrive au fameux Swiss Hotel. C’est un aplomb rocheux sur les pentes de Mount Harston. L’espace est assez grand pour abriter ma tente. En campant sous le rocher, on est à l’abri des intempéries et des grosses rafales de vents tout en profitant d’une vue splendide sur la longue plage. Le Swiss Hotel a été nommé ainsi par des voyageurs suisses qui ont campé ici pendant 6 semaines.
La tente montée et les affaires rangées, je file en direction de la plage et des milliers de manchots papous. Certains dorment sur le sable, d’autres reviennent de la pêche. Au centre de la colonie, ça crie, ça braille, ça pue avec toutes ces fientes. Il y a des jeunes qui attendent de manger, d’autres se battent avec les labbes toujours à l’affût. Ca grouille de vie. En bout de plage, il n’y a pas de chemin évident, mais je continue sur la côte nord du Mont Richards. Cela vaut la peine de persévérer car au delà des terriers de manchots de Magellan, j’atteins une grande colonie de gorfous sauteurs et de cormorans impériaux sur les pentes exposées. C’est surprenant de voir les gorfous monter si haut. Un peu plus loin à l’est, j’aperçois la colonie d’albatros à sourcils noirs (Black-browed Albatross). Des oiseaux splendides dans un cadre grandiose. J’essaye de ramper pour les observer de plus près et j’en profite pour prendre quelques beaux clichés. Ils ont le plumage blanc d’une grande pureté et une ligne noire, comme un trait de maquillage, au-dessus de l’œil très caractéristique de l’espèce. Le long bec crochu est jaune et rose. Leur grande envergure permet de surfer au-dessus des vagues. Jamais un battement d’aile inutile. Comme beaucoup d’espèces, l’albatros à sourcils noirs se reproduit pendant l’été austral. La majorité des adultes viennent nicher ici aux
Malouines, mais avec 10 000 couples recensés sur
Saunders Island, l’île possèdent de petites colonies. On est très loin des 100 000 couples estimés sur l’Ile Beauchêne, un ilot perdu à 50km au sud des
Malouines et quasiment inaccessible. Début septembre les adultes reviennent sur leur colonie pour s’accoupler et restaurer le nid. L’unique œuf est pondu au mois d’Octobre. L’élevage du poussin dure environ trois mois et demi. Lorsque le poussin aura perdu son duvet gris courant avril, il sera alors abandonné par ses parents et perdra du poids pendant quelques jours avant de s’envoler. Le poussin ne reviendra pas sur son lieu de naissance avant plusieurs années en mer.
Finalement, après une bonne partie de la journée passée sur la falaise, je redescends vers la plage et découvre la petite colonie de manchots royaux installée en bas des pentes herbeuses. Comme c’est une toute nouvelle colonie, leur site est délimité pour ne pas les déranger. En effet, ils ne sont qu’une poignée mais la colonie s’accroît doucement. Je retourne au bivouac des étoiles plein les yeux
Le 20 février
Ce matin, le temps est plutôt ensoleillé. Je profite de cette belle journée qui s’annonce pour randonner et visiter l’extrémité de la péninsule, Elephant Point, à environ 5 miles à vol d’oiseau. Normalement, je devrais voir des éléphants de mer. A peine levé, j’aperçois de la tente des dauphins à proximité de la côte. La tentation est grande et je pars prendre quelques photos. Ce sont des dauphins de Peale. Comme souvent, ils vivent en groupe et nagent très lentement le long de la côte. Après le déjeuner, me voilà donc parti pour Elephant Point, accompagné des dauphins qui prennent la même direction. J’arrive à les suivre pendant un certain temps. Par endroits, je les perds de vue à cause des algues géantes pour réapparaître plus loin. Leur allure est quand même un peu plus rapide que la marche. Surtout que les sentiers laissés par les moutons de ce côté de l’île sont à peine marqués et la pente est glissante.
En chemin, j’aborde une belle plage sans nom. D’un côté de la plage, je surprends un groupe de manchots papous qui s’amusent dans une marre. Vraisemblablement, certains ont décidé d’apprendre à nager dans cette eau peu profonde plutôt que dans les vagues de l’océan. Un peu plus loin, ce sont des goélands qui m’accueillent avec des cris. Ma direction ne leur plaît guère. Je suis bientôt attaqué par une dizaine de goélands. Je préfère alors bifurquer et quitter la zone avant de recevoir un coup de bec. Au loin, j’aperçois leur colonie. Il y a sans doute là-bas des petits à protéger. Enfin, j’arrive à Elephant Point. Les éléphants de mer sont bien là. Impossible de rater ces créatures bruyantes et odorantes. Même si j'avais déjà vu des photos de ces bêtes étranges, je n'avais pas pour autant appréhendé leur taille. Parmi toutes les espèces de phoque, l’éléphant de mer austral est le plus grand. Les mâles sont énormes, beaucoup plus imposants que les femelles. Les plus gros, les mâles dominants, aussi appelés pachas, peuvent peser jusqu’à 4 tonnes. Le nez, court et boudiné chez les jeunes et les femelles, augmente de taille jusqu’à devenir, par la suite, une sorte de trompe qui lui donne l’apparence d’un éléphant, d’où l’origine de son nom. Une bien étrange créature, plutôt répugnante de premier abord, tout de suite plus intéressante lorsque deux mâles s’affrontent pour régner sur le harem.
En rentrant, je passe par l’extrémité ouest de l’île, un bout de falaise connue sous le nom de The Holy City. La paroi abrupte accueille une colonie d’albatros et de cormorans. Balayée par les vents, la falaise offre une aire d’envol de choix pour les albatros. Je ne me lasse pas d’observer ces oiseaux au vol majestueux. Malgré quelques atterrissages laborieux, leur agilité est incroyable. La forte densité des nids bâtis sur la paroi diminue d’autant l’aire d’atterrissage de ces grands oiseaux. Je flâne encore un peu, et continue le long de la falaise et observant les oiseaux jouer avec le vent. La côte est ici plus abrupte et glissante. Le temps se gâte, le vent devient violent, alors je commence à remonter. Plus haut la pente est moins sévère.
Je continue de monter et je décide finalement de rentrer via le Mont Harston. Au sommet, il fait froid, il neige même. La vue sur The Neck est grandiose. C'est incroyable un véritable tapis d'oiseaux qui occupe l’isthme. Avec le soleil couchant, chaque manchot apparaît comme une petite bille rose. Le cadre invite à la rêverie. Je tarde à redescendre et rejoins finalement le bivouac à la tombée de la nuit.
Le 21 février
J’ai mal dormi. Et pour cause, le bivouac est entouré de terriers de manchots de Magellan, localement nommés Jackass (baudet) en raison de leur cri très ressemblant au braiment de l’âne. Les plus proches sont à trois mètres de la tente. Je pensais qu’ils se seraient tus à la tombée de la nuit, mais ils ont continué toute la nuit. Au réveil, je prolonge la nuit dans la tente d’autant plus que le temps n’invite pas à sortir.
Dans l’après-midi, il fait meilleur. A proximité du bivouac, la mer a rejeté quelques cadavres de manchots éventrés, sans doute croqués par des phoques. Les manchots papous continuent inlassablement leurs activités. Un perpétuel va-et-vient entre la mer et la plage. Au cœur de la colonie, les labbes sont toujours là. Lorsqu’ils survolent la colonie, ils se heurtent alors à une levée de becs.
The Neck est un lieu incroyable, un concentré de vie. Une petite colonie de manchots royaux, des manchots de Magellan et des gorfous sauteurs par centaines, et une énorme colonie de manchots papous qui tapisse la plage. A ces quatre espèces de manchots, il faut rajouter les magnifiques albatros à sourcil noirs. Mais ce formidable endroit est un trésor fragile. Des chasseurs de manchots fréquentaient la plage au 19e siècle, attirés par l’abondance de la faune. On peut encore voir un vieux chaudron rouillé qui servait à bouillir les animaux pour récolter leur huile. Apparemment, un manchot papou produit un demi-litre d’huile.
En fin de journée je rencontre les spécialistes de faucons. Ils ont la radio et m’autorisent à appeler le settlement. Je confirme le rendez-vous avec Suzan pour le lendemain. L’avion est prévu dans la matinée. Demain, je vais à Port Howard.