J'ai longtemps hésité à écrire ce récit. Comme j'arrive à mon 2000ème message, et qu'il est coutume dans ces cas là de faire un poste un peu spécial, j'ai décidé de le publier sur VF et uniquement sur VoyageForum.com
Je le publie pour tous ceux qui me suivent depuis mes débuts ici, qui m'ont vu débarqué un beau matin les rêves plein la tête et pour ceux qui m'ont toujours encouragé. Et pour ceux qui m'ont posé des questions sur ce qui c'est passé au Kirghizistan
C'est le plus court récit que j'ai eu à écrire, et pourtant, ca a été le plus difficile. Il m'a fallu beaucoup de temps avant même de le commencer.
Préface
Septembre 2006, j'arrive à Vienne, c'est la fin de ma Transalpine qui est ma deuxième grande aventure en solitaire après les Andes à vélo. Deux aventures extraordinaires qui me changent au plus profond de moi.
A mon retour, une rencontre courte mais indélébile me sort de mon coté solitaire pour un autre univers. Puis s'en suivent prés de trois ans fastes, d'amis à profusion. Des belles années de sorties, week-ends, voyages entre amis, où je ne me retrouve plus à aucun moment seul.
Un peu perturbé par ces changements, je décide de repartir en solo pour une nouvelle marche, un retour aux sources...
Tian-Shan - Monts Célestes du KirghizistanQuand le plaisir de la marche s'efface
Je viens de passer ma deuxième nuit d'affilée dans les transports. Après avoir rejoint
Bichkek, où j'ai passé la journée à courir partout pour faire mes derniers emplettes, heureusement aidé par une amie parlant Russe, c'est en bus de nuit que j'ai rejoins
Karakol.
Il est cinq heures du matin et tout est encore fermé... Je marche dans les rues désertes en attendant que la ville s'éveille...
Lorsque les Kirghizes pointent leurs nez dehors, je me dépêche de faire mes dernières courses. Je me procure une carte à l'office du tourisme. Puis je passe au bazar et dans les mini-épiceries. Mais il n'y a pas grand-chose pour faire le plein de vivres. Et je ne trouve pas de superettes. Vu ce que j'emporte avec moi, je sais déjà que ca ne sera pas une rando gastronomique...
Un minibus bondé, puis un taxi me conduisent jusqu'au point de départ de ma première marche... Déposé au pied du massif de Terskey
Alatau, à la sortie du village de Ak-Suu.
Ma marche commence par la remontée la
vallée d'Altyn Arashan. Je suis la rivière sur sa rive gauche, passe devant une yourte et pénètre dans la vallée...
Sur ma carte, l'itinéraire à suivre est surligné d'un épais trait rouge. Bien sûr le taxi ne m'a pas déposé au départ de cet itinéraire. Une petite colline me sépare de cette ligne rouge... Ce n'est pas grave, j'avais de toute façon prévu de passer par là où je me trouve. Je n'ai qu'à suivre la rivière et je rattraperais l'itinéraire plus loin juste après le passage d'un pont.
Quand j'y arrive, c'est plus une passerelle de petit barrage qu'un pont. Je sens l'égarement arriver... Mais je n'en vois pas d'autre et ma position est bonne, j'en suis sûr (le pont se trouve à peine cinquante mètres plus loin, mais hors de ma vue). Je le franchis, et bien entendu, je ne trouve aucun sentier de l'autre coté. Il est impossible de poursuivre ma remontée de la rivière. Qu’à cela ne tienne, je vais monter sur la colline qui me sépare de l'épais trait rouge, et je retomberai ainsi sur l'itinéraire.
Je grimpe dans une pente raide à travers des buissons aux épines impressionnantes... Plus haut, je me retrouve dans une forêt à la végétation si dense que j'ai à peine pied... Un chevreuil passe... Là c'est sûr, je ne suis pas du tout sur le bon chemin...
Je navigue dans cette forêt pour essayer de retrouver le bon itinéraire. Je tombe sur plusieurs sentiers que je suis, mais ils ne mènent nulle part. Une fois sur la crête, je vois le chemin en contre bas au bord de la rivière, mais sans pouvoir y descendre, c'est bien trop abrupt. Je le suis donc depuis les hauteurs. La marche reprend...
Mais après ces agitations de ces derniers jours, maintenant que j'ai l'esprit tranquille, je marche sur ces hauteurs en songeant à mille et une choses, sauf à ma marche... D'un coup tout se bouscule dans ma tête, très rapidement. Je pense à la fin, à ce que je ferai après, avec qui... A ce que je pourrais faire si je ne marchais pas... J'aimerais déjà être arrivé...
Je suis fatigué. Je n'ai plus la volonté, plus d'envie, plus la force, plus d'énergie... Plus de plaisir à marcher... La marche me pèse et m'ennuie...
En plus, je suis conscient que j'enchaine les erreurs depuis mon départ. J'aurais dû prendre le temps de me reposer à
Bichkek et ne prendre le bus que le lendemain. J'aurais dû porter plus d'attention au choix de ma nourriture. Je n'aurais pas dû m'engager sur cette crête... Enfin cela ne reste que des détails, ce n'est pas cela qui m'arrête habituellement.
Je me dis que ce n'est qu'un coup de blues, ce n'est pas la première fois, ca passera. Il faut que je me force à continuer, et tout ira mieux d'ici peu. Je suis venu faire cette nouvelle marche en solitaire pour me ressourcer. La montagne est mon lieu d'évasion, de bien être, de liberté, pas un poids... Je suis ici pour recharger mes batteries qui en ont grand besoin, pas les mettre à plat.
Mais je me rends compte que c’est bien plus qu'un coup de blues. Mon plaisir de la marche s'efface... Je me retrouve assis sur un rocher à ne plus savoir quoi faire, les nerfs qui lâchent, les larmes aux yeux. Abandonner, rebrousser chemin ? Non, ce n'est pas possible, ce n'est pas mon état d'esprit... Mais la solitude, je ne la supporte plus, je ne veux plus marcher seul. Un comble pour un solitaire. Comment je pourrai continuer mon itinérance dans le Tian-Shan si je ne supporte plus ce qui m'a fait.
Je fais demi-tour et je remets mes pas dans ceux qui m'ont amené ici... Mais ce n'est pas moi, non ! Je ne peux pas, je repars vers l'avant...
Je ferai le yo-yo plusieurs fois avant de prendre la discision de rentrer à
Karakol. Et dès le lendemain, je repartirai dans ces mêmes montagnes pour quelques jours seulement, mais sans aucune motivation.
Deux mois après mon retour en
France, je ne sais toujours pas si je dois voir cela comme une page qui se tourne sur mes aventures en solitaire (Cela voudrait-il dire que le solo est fini pour moi ? Alors qu'il me fait toujours rêver ?), ou comme un échec d'avoir rebroussé chemin (Ne serais-je plus capable ? Ma volonté ne serait-elle plus assez forte ?) Ou peut être bien que c'est un peu des deux...
Ce n'est pas pour autant que l'aventure va s'arrêter là pour moi. J'ai toujours cette envie de prendre la route, de gambader sur les montagnes, de découvrir de nouveaux horizons... Néanmoins, peut être est-il l'heure pour moi de réfléchir à ajouter un élément à mes aventures, un ou une équipier(e)... Mais cela ne sera-t-il pas un frein à ma liberté à la quelle je tiens tant ?
Pour la suite, les photos, l'itinéraire... C'est sur
www.tianshan.dubuis.net
Bonne lecture,
Simon