Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur (Chine) Yangguizi · 5 juin 2006 à 13:10 11 messages · 7 participants · 4 402 affichages | | | 5 juin 2006 à 13:10 Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 1 de 11 · 4 317 affichages · Partager Nous étions trois européens et une trentaine de chinois, tous collègues, pour participer à cette grande aventure qui allait nous mener dans les contrées les plus sauvages et inhospitalières du continent chinois. Certains, trop craintifs sans doute, avaient trouvé de bonnes excuses pour ne pas se joindre à nous lors de notre virée annuelle, et ont raté les expériences fabuleuses que nous avons accumulées pendant ce week-end. Les pauvres !
Le bus se mit donc en route samedi au petit matin, et nos deux guides ont commencé à se présenter et à essayer de nous faire rire, tandis que défilait le paysage ô combien monotone des plaines industrielles du Jiangnan, et tandis que l’équipage devait renoncer à diffuser les dvd de contrefaçon dont la qualité était trop mauvaise pour que le lecteur les passe jusqu’au bout. Quelques heures plus tard, après un déjeuner à Lin’an copieusement garni de pattes de poulet et autres carcasses animales, nous sommes arrivés à l’entrée du site de Tianmushan (la montagne de l’œil du ciel), où l’aventure allait enfin commencer.
A peine arrivés, nous avons été confrontés à notre première galère : il fallait attendre une demi-heure qu’un minibus passe nous prendre pour nous emmener du parking des bus à l’entrée du site à proprement parler. La guide locale, qui nous avait rejoint entre temps, a fait preuve d’un professionnalisme et d’un sang froid hors pair que je tiens à souligner, car elle a eu la présence d’esprit de nous faire avancer à marches forcées sur ce pénible trajet. Cela a bien entendu provoqué quelques remous parmi les fortes têtes de notre groupe, mais le résultat était bien-là : après dix minutes d’une pénible ascension sur une route goudronnée, nous sommes arrivés à l’entrée du temple.
Une fois sa visite terminée, des minibus passèrent nous prendre pour nous emmener au « sommet » de la « montagne », la route étant cette fois-ci bien moins goudronnée et beaucoup plus accidentée que la précédente. Des cris de terreur fusèrent à plusieurs reprises lorsque le minibus décolla de quelques centimètres avant de s’écraser lamentablement sur le sol boueux. Mais au bout de trois quart d’heures d’un enfer quasi absolu, nous sommes arrivés à bon port. Nous allions enfin pouvoir poser les pieds dans la forêt, dans le monde sauvage.
Ce fut un petit pas pour un homme, mais un grand bond pour un groupe qui avait enfin accompli le rêve de tout citadin : s’élever dans les hauteurs célestes pour fouler le sol d’une planète verte. Notre guide locale était équipée de la dernière technologie de pointe à cet effet. Finis les hauts parleurs rudimentaires qui firent les délices de deux générations de voyageurs intrépides dans les provinces chinoises. Cette guide-là était donc équipée d’une coiffe avec micro intégré, le haut parleur portatif devant être caché quelque part sous ses vêtements. Je n’ai malheureusement (mais est-ce vraiment un malheur ?) pas eu l’occasion de fouiller le corps pour éclaircir cette énigme technologique, et n’ai donc pu que constater son efficacité : Grâce à ce petit bijou, toute la forêt pouvait en théorie bénéficier des commentaires et conseils bienvenus de notre guide. Je dis bien en théorie, car hélas, d’autres guides accompagnant d’autres groupes étaient équipés d’une technologie équivalente, ou parfois un peu plus obsolète mais néanmoins en état de marche, et il était difficile de zapper entre tous ces passionnant programmes sonores.
« Il faut se dépêcher ou bien nous allons rater le dernier bus » nous expliqua notre guide d’un air martial. « Allons directement à l’essentiel » ajouta-t-elle dans une ultime démonstration de sa science organisationnelle. Je suis malheureusement très peu expérimenté en matière d’aventure et de tourisme, et j’ai donc suscité à plusieurs reprises l’ire contenue de notre chaperon. « Tu vas trop vite, tu vas te perdre » me dit-elle sèchement tandis que je me forçais à ralentir mon rythme pour ne pas laisser les collègues trop loin derrière moi, et risquer ainsi de me retrouver tout seul, perdu au milieu... du groupe qui nous précédait de quelques mètres. La honte ! A cause, ou plutôt grâce à son haut parleur, tout le monde pouvait entendre les réprimandes de mes bêtises. Je m’en suis donc tiré par une pirouette habile : « je vous promets de bien suivre le large chemin en pierre polie, et de m’arrêter et d’attendre vos conseils si jamais je tombe sur un embranchement ». Ca y est, cette fois j’étais passé du stade de novice absolu à celui de disciple assidu, et j’avais je pense en partie gagné l’estime de la guide. Profitant de cette liberté si chèrement acquise, j’en profitais pour engueuler les aventuriers des autres groupes que je croisais et qui crachaient à tire larigot, malgré l’interdiction de principe qui figurait à l’entrée du site. Ils faisaient semblant de ne pas comprendre bien sûr, mais leurs dialogues internes me faisaient toutefois comprendre que j’avais fait mouche. En général, cela finissait par un rire gêné.
Un peu plus loin, je suis tombé sur un obstacle de taille : des marches. Comment diable allais-je réussir à les passer ? J’ai essayé cette bonne vieille technique consistant à poser un pied devant l’autre et à faire en sorte que le pied avant repose un peu plus haut que celui de derrière, et ainsi de suite. Ma technique avait l’air de marcher sans encombre, quand tout d’un coup, l’accident se produisit : mon pied avant a glissé de quelques centimètres, et mon corps s’est incliné de cinq à dix degrés avant de se stabiliser à nouveau. Ouf, je l’avais échappé belle. J’entendis alors la guide hurler derrière moi : « attention c’est dangereux ici, tout le monde, faites bien attention où vous mettez les pieds » Personne n’a eu d’accident, et j’avoue tirer une certaine fierté de cet exploit, après tout, c’est un peu grâce à mon sacrifice que tout le monde a pu être averti du danger.
Plus loin, nous nous sommes tous arrêtés sur une plateforme, où de nombreux guides hurlaient au travers de leur haut-parleur leur amour de la nature devant des dizaines de voyageurs émerveillés. Que c’est beau la nature sauvage quand même, et c’est si calme par rapport à la ville. Pas de klaxons, pas de marteaux piqueurs, pas de musique sauvage, et les seuls hurlements qui fusaient ça et là étaient des hymnes à la beauté de la forêt. De gigantesques pancartes et banderoles multicolores vantaient un peu partout la beauté de la nature, au cas où quelques aventuriers distraits auraient oublié d’ouvrir les yeux. Que la nature est bien faite !
Non loin de là, nous sommes enfin arrivés au but ultime de notre voyage : un arbre, devant lequel nous fumes invités à nous extasier longuement et à faire de longues séances de photo. Vous vous demandez sans doute ce que cet arbre avait de particulier ? Et bien, croyez-le ou non, mais il avait été sélectionné pour être l’arbre roi de la forêt, et quelques statuettes ainsi qu’une petite clairière ont été aménagés autour. Il est vrai qu’une balade dans la forêt sauvage est beaucoup plus intéressante lorsqu’on a un but à atteindre, et un arbre roi de la forêt remplit ce rôle à merveille.
Au bout d’une bonne heure de ce périple haletant, nous sommes ressortis de la forêt par où nous étions arrivés, et avons longuement attendu qu’un minibus passe nous prendre. | | À: Yangguizi · 5 juin 2006 à 13:18 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 2 de 11 · 4 305 affichages · Partager ... Ah, c'est trop beau, cette excursion dans la nature chinoise... Et tu arrêtes le récit quand ça devient vraiment angoissant ? Reprends des forces, Patrick, et trouve le courage de nous écrire la suite ! | | À: Fabricia · 5 juin 2006 à 13:20 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 3 de 11 · 4 301 affichages · Partager Il faut laisser aux lecteurs le temps de se remettre de leurs émotions. La suite viendra plus tard. | | À: Yangguizi · 5 juin 2006 à 14:12 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 4 de 11 · 4 291 affichages · Partager J'aime beaucoup ton ironie ! Vite, vite, la suite ! | | À: Yangguizi · 5 juin 2006 à 14:28 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 5 de 11 · 4 290 affichages · Partager Quoi???? Kèss tu dis??? J'entends rien avec ce haut-parleur qui hurle et me monte le palpitant à 150! | | À: Yangguizi · 6 juin 2006 à 5:28 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 6 de 11 · 4 262 affichages · Partager L'après-midi touchait à sa fin, et dans le bus, notre chaperon a profité des infrastructures audio de notre bus pour s'adonner à son activité favorite: parler.
Il fallait en effet nous occuper, mais aussi nous informer sur ce qu'il y avait à faire en ville, pour la soirée. Apparemment, il n'y avait qu'un seul endroit intéressant à voir, le quartier des lanternes rouges. Ceux qui connaissent la Chine savent très bien de quoi je parle, puisque le quartier des lanternes rouges désigne tout simplement les lieux de perdition où on peut trouver des masseuses qui ne savent pas masser et des salons de coiffure où on ne peut pas se faire couper les cheveux. Elle avait l'air sérieuse en nous recommandant ce genre de réjouissances, et, nous voyant rire de manière pas trop grasse, elle a dû finir par comprendre que le sexe vénal faisait sans doute partie de nos sujets de blagues favoris, mais pas vraiment d'une activité qui nous tentait.
Elle a fini par rougir, ravaler sa langue, et s'excuser platement.
Nous avons retrouvé nos pattes de poulets pour dîner, puis avons posé nos affaires à l'hôtel. Apparemment nous étions dans le centre-ville, et les rues voisines étaient plus agréables que je ne l'avais imaginé. Aucune lanterne rouge en vue par contre, et cette ballade fut des plus innocentes, malgré les sourires appuyés de quelques demoiselles apparemment peu habituées à voir des étrangers.
J'ai fini par rentrer à l'hôtel, où quelques collègues occupaient un salon de karaoke au deuxième étage. Pour les rejoindre, il fallait traverser une salle de spectacle où se produisaient des danseuses et ce que j'ai identifié comme des comiques. Du salon de karaoke, je pouvais regarder ce qui se passait dans la salle, et qui avait l'air plus intéressant que le spectacle des collègues chantant d'insupportables chansons à l'eau de rose. Un espèce de playboy torse nu a finalement fait son apparition sur scène, où ses performances en matière de vidage de bouteilles de bière en en mettant partout avaient l'air de plaire au public.
Puis ce fut une chinoise blonde à moitié nue qui fit un numéro de danse sexy avant d'entamer un strip-tease incomplet. Elle choisit un homme du public pour le faire participer à son numéro, les hauts parleurs hurlant le même message en boucle "tu vas les enlever tes vêtements?" Puis, tout d'un coup, le spectacle fut terminé et la salle se vida.
Le lendemain matin, ma video de la partie la plus intéressante du spectacle intéressa beaucoup mes collègues, tandis que l'un d'entre eux me racontait son expérience de la soirée. Il avait fait venir une masseuse dans sa chambre, qui n'en revenait pas d'avoir trouvé un client: "on n'est que trois masseuses dans l'hôtel, mais il n'y a pas de business pour nous. Ce sont les vingt prostituées qui prennent tous les clients, et ce soir, il y avait tellement de demande qu'il a fallu faire venir les prostituées des autres hôtels."
En fait, les lanternes rouges étaient tout simplement dans l'hôtel. | | À: Yangguizi · 7 juin 2006 à 9:21 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 7 de 11 · 4 213 affichages · Partager Oui je pense aussi que les voyages organises par ces foutues agences sont vraiment epouvantables.
J`ai suivi moi aussi, pendant un week end, un groupe casquette-drapeau-haut-parleur et l`ambiance etait tres proche de celle decrite dans ton recit.
Peu de liberte, aucun respect de la nature et des populations...Beaucoup de chinois pratiquent pourtant ce type de tourisme. Facilite d`organisation, modes, desir de consommation, j`en sais rien.
Mais finalement les touristes occidentaux ont eux aussi leur habitudes et leur lieux de tourisme. (Bieres, cyber-cafes, fringues babacoolos, yangshuo, putes aussi...etc). Celles ci ne sont pas forcement meilleures... Je ne pense pas que l on puisse vraiment s enrichir d un voyage en consommant selon ses habitudes propres.
On peut bien sur choisir d`autres voies de voyage en respectant la nature, les habitants rencontres, la culture. En essayant de vivre comme les locaux. Il est cependant tres difficile de s`affranchir des differences de langue, de culture et surtout de revenus economiques.
Qu est ce que vraiment le voyage ? Une simple decouverte d un pays, d une ville, de paysages, d une culture, d un mode de vie ? Ou plutot un bien de consommation demande par les individus des classes moyennes et riches.
L`Eternel question : quelle est la ”bonne" facon de voyager. Y a il vraiment une soi disante bonne facon de voyager ? Ou est ce plutot une fievre consommatrice et aveugle ?
Maintenant bon, d apres mes experiences passes, il y a heureusement des choses a comprendre de ces voyages consommation. On y apprend quand meme beaucoup sur ces pays traverses et on rencontre des habitants, des voyageurs qui peuvent aussi nous apporter beaucoup.Alors pensez vous qu il existe une bonne facon de voyager ? | | À: Yangguizi · 7 juin 2006 à 13:09 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 8 de 11 · 4 203 affichages · Partager Le lendemain, rebelote, nous sommes allés voir le site de Baishuijian, plus joli que celui de la veille (en fait, la montagne et la forêt n'avaient absolument rien d'exceptionnel selon nos standards, même si à l'échelle shanghaienne, ça faisait presque figure de nature sauvage et indomptée). Baishuijian en revanche présentait quelques jolies cascades, et la ballade valait un peu plus le coup. Ce jour-là donc, il pleuvait. Ca allait rendre "l'ascension" encore plus périlleuse.
Une quatrième guide s'est donc jointe à nous, équipée elle d'un porte-voix plus classique que le joujou hi-tech de notre guide numéro trois. Son visage était encore plus grimaçant que l'autre, et son porte voix était apparemment soudé à la fois à sa bouche et à sa main. De fait, elle ne pouvait rien dire, même pas répondre à une question en privé, sans que sa voix ne porte à une bonne centaine de mètres à la ronde.
Ayant hurlé dans ma direction et à seulement deux mètres de distance, elle a réussi à me faire lui adresser la parole (chose que je n'aurais eu aucune raison de faire sinon). serait-il possible de faire moins de bruit? hein? vous venez de me faire très mal aux oreilles.
Elle a alors prononcé une phrase ou deux en désactivant le haut parleur, ce qui eut l'air de la mettre encore plus en colère que d'habitude. Pour se venger, elle décida par la suite de me réprimander sur mon allure trop rapide, tandis que la guide numéro deux était émerveillée devant ma capacité à enchainer les simples marches sans me tenir à la rampe de sécurité. Elle me qualifia même de "hen bu cuo" (pas mal du tout) pour l'occasion!
La plupart des collègues ont été enchantés par cette virée dans la nature sauvage (bien que certains étaient terrorisés lorsqu'on leur a dit qu'il faudrait "marcher dans la montagne"). Avec un des deux autres européens, nous nous sommes toutefois interrogés sur le bien fondé de cinq ou six heures de route environ dans chaque sens, pour une minuscule ballade en forêt sous la pression de plusieurs guides haut-parleurisés. Nous en sommes arrivés à la conclusion que malgré les années, la Chine pouvait encore nous surprendre et nous énerver. | | À: Mefisto · 7 juin 2006 à 13:15 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 9 de 11 · 4 202 affichages · Partager Tu poses les bonnes questions mefisto.
Les voyages organisés à la chinoise sont effectivement une caricature de nos voyages organisés à nous. Plus jeune, je l'avoue, il m'est arrivé de participer à des voyages en TO occidentaux, avant de réaliser que ça ne me plaisait pas. Mais même ces voyages organisés étaient loin, très loin du ridicule du trio "haut parleur, casquette, drapeau". S'agit-il d'une différence culturelle? Je n'en suis pas si sûr. Les mentalités évolueront, et il y a d'ailleurs des chinois de plus en plus nombreux qui aiment voyager en indépendant, loin des hauts parleurs et des sentiers aseptisés. Ce sont quasi exclusivement des jeunes. Le strict encadrement social qu'ont connu les chinois des générations précédentes y est évidemment pour beaucoup dans le choix de ces voyages-moutons. | | À: Yangguizi · 11 juillet 2006 à 15:58 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 10 de 11 · 4 116 affichages · Partager Morte de rire!!! Comme toujours, que du bonheur que de te lire! C'est quand que tu sors un livre? | | À: Yangguizi · 11 juillet 2006 à 17:00 Re: Tianmushan, ou le retour de la vengeance du haut-parleur ( Chine) Message 11 de 11 · 4 062 affichages · Partager | Carnets similaires sur la Chine: Heure du site: 10:49 (21/09/2024) Tous les droits réservés © 2024 MyAtlas Group | 640 visiteurs en ligne depuis une heure! |