Traversée de la Chartreuse en solo Triztana · 22 août 2020 à 17:55 · Une photo 17 messages · 3 participants · 935 affichages | | | 22 août 2020 à 17:55 Traversée de la Chartreuse en solo Message 1 de 17 · 935 affichages · Partager Trek solo n°6
On admettra que cette année fut spéciale. Je devais faire la traversée de Majorque en avril et puis... SALUE JE M'APPELLE COVID 19 ET JE VIENS VOUS FAIRE CHIER. Du coup, peu de projets pour cet été, difficile d'estimer les possibilités de voyage à l'étranger, pas très envie non plus de faire circuler cette merde... Alors je me rabats sur mes chères Alpes, ma foi de très bonne qualité. Début juillet, je consulte mon pote David, un normand exilé au pays des montagnes, pour savoir quand il sera chez lui, à Chambéry. Je cale donc un périple fin juillet, de Grenoble à Chambéry, via le massif de la Chartreuse, et en profiterai pour lui rendre visite.
Trajet réservé : départ le 25 juillet en train vers Grenoble, retour le 2 août en bus depuis Chambéry.
Je m'attends pas à quelque chose d'exceptionnel, je sais pas pourquoi. Ça a l'air très joli, mais pas très haut, et pas très sauvage. Mais après ces derniers mois bizarres, ce confinement éprouvant et les longs mois sans nature, un peu de montagne ne peut me faire que du bien. Et au moins, même si la météo n'est pas avec moi, je vais pas crever de froid, pour une fois (les plus hauts sommets sont à 2000m environ).
Après un petit séjour en Normandie natale et quelques trips de Caen, me voici en halte en région parisienne pour faire mon sac, la veille du départ. Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'accès à l'eau. Il n'y a pas beaucoup de neige l'hiver (voire pas du tout certaines années), donc très peu de rivières en altitude. Les sources sont pour abreuver les troupeaux et bergers, mais souvent, l'été, elles sont à sec... Je checke quand même les dernières mises à jour des randonneurs sur refuge.info, qui recense tous les abris et les sources, pour voir un peu l'état des lieux. Ça devrait le faire. Je prends quand même 3 gourdes de 75 ml au lieu de 2 habituellement, ce qui me fait au maximum 2,25L d'eau en réserve.
Je blinde mon sac de 50L : 13 kg sans eau. Mh. Je sais pas comment je me démerde pour me retrouver avec autant de poids. Je lis pas mal de carnets de randonneurs qui portent 8 kg. Pourtant, j'ai pas prévu beaucoup de bouffe, peu d'habits, le strict minimum pour l'autonomie... Je comprends pas comment ça peut monter aussi haut pour seulement une semaine, d'ailleurs je me pose la question tous les ans. | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:04 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 2 de 17 · 934 affichages · Partager Après une courte nuit, réveil à 5h30. Ouch, ça pique un peu. Je me presse un peu, fais un câlin à ma compère de randonnée et colocataire (qui ne dort pas encore?!) et file à la gare. J'arrive à Bercy à 7h30, mon train est à 8h. Parfait.
Je m'assoupis deux bonnes heures dans le train, mange mon sandwich, et attend. La fin du trajet est longue. La plupart des gens sont descendus à Lyon, y a plus personne dans le wagon.
Enfin 14 heures, j'arrive à Grenoble. SA RACE, IL FAIT CHAUUUUUUUD ! Je sais pas pourquoi je m'y suis pas préparée. Je me dirige direct vers le téléphérique de la Bastille qui va me grimper de 200m de haut, ça sera en moins. Oui car j'ai pour projet d'aller au camping du Sappey (comme jamey) en Chartreuse ce soir, à 12km d'ici, 1200m de dénivelé. HUM. Il est 14h30. Je suis un peu (trop) ambitieuse.
Je sue à grosses gouttes sur tout le chemin et dans le téléphérique. L'enfer. Arrivée en haut, je me précipite dans les toilettes : je m'asperge d'eau, mets de la crème solaire à gogo et remplis mes 3 gourdes à bloc. Il est 15h, c'est parti pour la montée via le GR9. De là-haut, on a une vue sur une bonne partie de Grenoble.
Putain. C'est dur. La montée, ça va encore, mais la chaleeeuuuur ! Heureusement, le sentier est à l'ombre. J'ai quand même un LÉGER doute sur mon arrivée au camping à 12 km ce soir. Je mate la carte et opte pour diviser l'étape en deux : au Mont Rachais, je devrais pouvoir poser la tente, et finir jusqu'au camping demain. Ça me fera deux petites étapes, c'est plus raisonnable et surtout plus faisable ! Bon du coup ça veut dire que j'aurai pas d'eau, donc va falloir économiser : je me prévois une gourde pour l'après-midi, une et demie pour le soir, et le reste pour la descente demain matin jusqu'au col de Vence, où je crois qu'il y a de la flotte.
Dans la montée, je croise plusieurs duo sympathiques : un premier de deux femmes qui me tapent un peu la discute et me rassurent sur la possibilité de bivouaquer au Mont Rachais. Ensuite, un couple de polonais très sympa qui viennent d'emménager dans le coin et me demande des renseignements sur le bivouac en France. Puis, un type super sympa qui me conseille de dormir à une cabane, non pas au Mont Rachais, mais un peu en contrebas. Great ! Ça rassure d'avoir des avis extérieurs.
Je tombe sur une cabane privée où des gens sont posés. Je monte sur la terrasse avec eux pour avoir une vue dégagée sur Grenoble et le massif de Belledonne, juste en face.
Quelques kilomètres plus tard, le sentier devient plus plat et plus large, toujours en forêt, c'est bien agréable. Je fais tout de même pas mal de pauses à cause de mon sac qui pèse son poids et de mon dos et mes épaules qui se demandent pourquoi je leur inflige ça. Eh oui mes petits muscles, c'est ça la dure vie de nomade !
J'arrive vers 19 heures à la fameuse cabane aux ours. C'est vrai que c'est très chouette comme endroit.
A peine arrivée, un type en sueur arrive en courant : « Vous allez dormir là ? » - Euh je sais pas trop, sûrement oui, mais j'ai ma tente. - Ah oui nous aussi, j'essaye de convaincre mon fils de monter, il voulait pas me croire qu'il y avait une cabane ici ! C'est super beau ! Bon ben je retourne les chercher.
Je dépose mon sac à la cabane et reviens sur mes pas pour monter au Mont Rachais. Mais c'est loin quand même, et je suis explosée. Je marche un peu dans les champs et fais demi-tour. En rentrant à la cabane, je vois que dans le champ juste derrière, on a une super vue sur la Belledonne. Je pense plutôt camper là. Je retourne chercher mon sac et discute avec le couple et leur gosse, des ex-parisiens exilés à la montagne. Tiens donc. Moi dans 10 ans ? Inch'allah. Ils me proposent des brochettes, je décline gentiment et leur dis que je vais plutôt bivouaquer dans le champ derrière, le terrain est plat et la vue est jolie. Ils ont l'air hyper sympas mais il se fait tard et j'ai juste envie de m'allonger dans ma tente devant les montagnes.
Je pose ma tente, fais une toilette aux lingettes (ça dépanne mais ça vaut pas une rivière quand même), quelques nouvelles à la famille et aux amis, et me voilà avec ma soupe, en essayant d'économiser de l'eau au maximum (va faire la vaisselle avec 20 cl d'eau, génial...) Il est 21 heures quand je me pose dans ma tente, face aux montagnes rosées de la Belledonne. Rah, la prochaine fois, j'irai ! La Chartreuse a l'air jolie, boisée, mais les pics enneigés me font toujours de l'oeil... Au moins, ici, ça caille pas.
J'ai bien fait de scinder l'étape en deux, comme ça je prends mon temps et demain je pourrai recharger les batteries (dans tous les sens du terme) au camping.
Total de l'après-midi : 7,5 km / D+ 600m | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:13 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 3 de 17 · 932 affichages · Partager 26 juillet 2020
2 heures du matin. Je suis réveillée par un bruit étrange, régulier. J'ouvre les yeux, attentive. Ok, ya une bête. J'ai du mal à identifier de quelle sorte... Ça a l'air de brouter, mais quand ça entend un bruit ça grogne, un peu comme un cochon... Est-ce que les sangliers broutent ? Est-ce que les cerfs grognent ? Je reste immobile pendant un quart d'heure, puis l'animal s'éloigne, effrayé par un bruit (sûrement moi). Je me rendors sous le mystère planant.
7h30. Réveil. Bien dormi ! J'ai presque eu trop chaud dans mon duvet, ça change de la Norvège ou de la Suède, pinaise. Je remballe mes affaires et me mets en route vers 9h.
Une petite heure plus tard, j'arrive au col de Vence. Putain ! J'ai oublié mes voisins. Ils avaient besoin de mon réchaud pour le petit dèj. Chiotte. Bon, tant pis. Je fais le plein de mes trois gourdes et m'asperge de flotte : il fait déjà chaud.
J'entame la lonnnnnngue montée jusqu'au Fort du St Eynard. Je croise pas mal de mecs qui font du trail. Vous êtes fous les trailers. Nan, vraiment, courir déjà c'est fatigant, mais courir en montée et avec une telle chaleur, non, là mon cerveau comprend pas. Cela dit, on pourrait aussi me traiter de folle à marcher 10 km par jour avec mon sac de 15 kg... Soit. Chacun son truc, alors.
Heureusement, le sentier est à l'ombre dans la forêt, ce qui ne m'empêche pas de dégouliner de tous les pores de mon corps. Je m'arrête tous les deux virages pour éponger la sueur qui va de mon front à mes épaules (oui oui) et où à chaque fois la vue sur Grenoble et les montagnes environnantes est de plus en plus dégagée.
Et me voilà au Fort du St Eynard, un vieux machin militaire de jadis. Y'a pas mal de monde ici. Les remparts, un petit parking, un restaurant, quelques expos.
Ça tape fort, je me trouve un coin à l'ombre à l'arrache entre deux bagnoles, mange mon petit sandwich Boursin / « jambon végétal » (oui bah moi j'aime bien) et retourne à l'intérieur du fort pour boire un coup. Bah oui, il est quand même que 13 heures à peine, et il me reste pas beaucoup de kilomètres jusqu'au camping. En plus ça descend. Alors autant prendre mon temps.
Le sentier est toujours à l'ombre dans la forêt, hamdoullah. En revanche, c'est assez monotone. La vue est rarement dégagée, le sentier est mignon, relativement plat, mais se poursuit pendant plusieurs kilomètres sans grand changement.
Les insectes de tout genre me harcèlent, ce qui fait que j'évite les pauses sinon je me fais littéralement agresser par des BBZZZZZZZZ BZZZZZ BZZZZZZZZZZZZZZZZZZ !! Faut dire qu'entre mon hygiène sommaire, la tartine de crème solaire, la transpiration et la quantité de bouffe bien calorique dans mon sac, y a de quoi les attirer. Le sentier se termine en descente par les pistes de ski assez raides et en plein soleil, j'avoue que j'ai hâte d'être au camping pour me poser un peu.
J'arrive en plein dans un accrobranche avec des tyroliennes partout, je comprends rien, tout le monde me regarde bizarrement, je sais pas comment sortir d'ici. Je fais demi-tour et comprends que j'ai zappé le chemin et suis sortie du GR.
Il est 15h45 quand j'arrive au camping. L'accueil ouvre à 16h : parfait ! Je m'assois à l'ombre et contemple les Dents de Crolles. Fucking holy shit, je suis censée allée là demain ??!
Euh, bon, on va regarder ça de plus près demain, hein.
16h, la dame arrive. 7€ la nuit, obligation d'être à plus de 10 mètres d'une autre tente, Covid oblige. Tant mieux, j'aime pas être les uns sur les autres.
J'installe ma tente à l'ombre, face aux montagnes Sud. Ya un type dans un van à côté de moi qui met des musiques des années 80 à fond en chantant. Soirée Nostalgie.
Je fonce à la DOUCHE. Waaaaaaaaah. Incroyable. Ya la nana du camping qui fait le ménage dans la deuxième partie des sanitaires, du coup y a que deux douches de libre. J'en prends une. A côté, une dame lave son gosse, ça prend un certain temps. De mon côté je profite d'avoir accès à la douche pour me laver à grandes eaux, cheveux compris. Ça prend aussi un certain temps. Au bout de dix minutes, j'entends une bonne femme dehors qui se plaint à la dame de l'accueil qui finit son ménage : « Non mais la première douche là ça fait au moins DIX MINUTES hein ! J'ai essayé de l'ouvrir mais y a quelqu'un je crois, c'est dingue quand même, 10 minutes ! »
Oui bah pardonnez moi l'expression mais si vous alliez vous faire voir madame, non ? Ça va, oh. Au pire elle attend 5 minutes que les autres douches soient nettoyées, ou alors elle revient dans un quart d'heure, non ? 10 minutes c'est si important dans une vie ? Et mon hygiène à moi, on y pense ? HEIN ? Je l'entends râler tout pendant que je me sèche et ça me gonfle. Je finis par sortir en souriant : « Ah ! Ça fait du bien ! »
Je croise son regard : une quinquagénaire qui veut se doucher avec sa fille de 15 piges parce qu'elles ont pris qu'une serviette. Bah si t'étais retournée à ton camping-car chercher une autre serviette plutôt que de me faire chier pendant 10 minutes, on aurait gagner en temps, en efficacité et en humanité, non ? Mbon.
Il est 20 heures quand je commence à checker la suite de mon itinéraire. J'ai prévu assez large pour atteindre Chambéry (d'où je repars dans 8 jours), mais techniquement, la traversée peut se faire en 5-6 jours. Toujours techniquement, j'avance à rien. Du coup je revois un peu mon planning de moyenne 15 km / jour pour faire des étapes un peu plus courtes et profiter un peu plus longtemps de la montagne.
Première chose, je me tâte à passer par les Dents de Crolles demain, ou alors contourner par le col des Ayes et descendre à Perquelin. Dans tous les cas, j'aimerais bien avoir une rivière demain, donc si je monte, faudra redescendre. Mais tout de même, ça m'a fait aérien. Il fut un temps où j'aurais même pas regardé en amont à quoi le sentier ressemble, mais là, je sais pas, j'ai un doute de prudence. Merde, je crois que je vieillis.
Je regarde une vidéo sur Youtube :
Bon. Je vais contourner. Sans sac, okay, mais là, je sais pas, je flippe, ça a l'air d'être par moment des grosses marches à grimper et juste derrière, le vide qui vous tend les bras. Avec mon sac qui peut m'entrainer au premier faux pas, ça me rassure pas.
Du coup demain je me fais Le Sappey (comme jamey - oui je ferai cette blague à chaque fois) / Perquelin en contournant les Dents de Crolles : 16 km, 500M de dénivelé. Ça ira très bien. L'avantage de la Chartreuse, c'est qu'il y a quand même pas mal de possibilités de variantes, donc je crois que je vais réévaluer mes étapes au jour le jour, selon mon énergie et mon envie. Ce qui est moins cool, c'est qu'il y a pas mal de monde, on est rarement éloigné d'une route ou d'un village. Mais la suite du trajet me semble plus paumée. Let's see.
Total de la journée : 10 km / D+ 660m
Ah c'était quand même très con de penser que j'aurais pu faire 17 km et 1160m de dénivelé hier en partant à 15h de Grenoble... | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:28 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 4 de 17 · 931 affichages · Partager 27 juillet 2020
Bien dormi. Je me prépare doucement et décolle vers 9h30, toutes batteries pleines, l'accu chargé à 75%. Avec ça, je devrais pouvoir tenir une semaine !
Je traverse le Sappey (comme jamey) pour retrouver le sentiey.
Comme souvent, je commence par une montée assez raide. Allez, c'est parti encore pour quelques 600m de montée jusqu'au pied de la Chamechaude, une grosse montagne toute rocheuse. Je monte doucement, mais sûrement, encore en forêt. C'est supportable.
J'arrive deux heures plus tard à une cabane de berger. Haaaaaan. Le rêve. Le mec a un âne, des moutons, et vit dans une petite maison perdue en haut de la montagne. Je songe à devenir bergère.
Un type me dépasse, je le retrouve au sommet, on discute, on admire la vue. Il me fait le descriptif de tout ce qu'on voit devant nous : le grand pic de Belledonne, les Ecrins, p'têt même qu'on voit le Mont Thabor ! J'ai du mal à le reconnaître, faut avouer.
Comme il a l'air de bien connaître le coin, je lui demande juste au cas où si c'est une bonne idée de passer par les Dents de Crolles ou si je fais bien de contourner. Il me répond textuellement : « Oh les Dents de Crolles, non ça va ! Bon y a juste un passage sur 10 mètres où y a des grosses marches, faut un peu escalader, mais ce que vous faites c'est que vous retirez votre sac, vous le lancez plus haut, et après vous grimpez ! »
Ah oui hein. Oui, bien sûr, pourquoi j'y ai pas pensé. D'accord. Merci m'sieur.
MER IL ET FOU. Déjà que j'en chie à porter mes 15 kilos sur les épaules, alors je suis incapable de les porter à bout de bras, surtout à flanc de falaise et... de les lancer !!! Le sac va simplement me retomber sur la tronche et m'emporter dans le vide, en fait. Bon, c'est bien au moins, j'ai ma confirmation : je contourne. De toute façon il est déjà midi, j'ai fait 600m de montée, et je me vois pas en faire encore 700... Allez, vamos !
Vers 14h, après mon sandwich avalé en 3 minutes, je repars vers le col du Coq, pour rejoindre le col des Ayes et enfin redescendre sur Perquelin par la forêt. Je passe par une grande montée en plein soleil, la vue est dégagée, mais je halète comme un petit chien.
Je ne croise plus personne pendant longtemps. Je suis dans un chemin de forêt très étroit, beaucoup de roches, de végétation, c'est joli, mais assez long. Petite descente, petite montée, petite descente, petite montée...
Vers 15 heures, j'allume mon téléphone.
SMS de mon père : « Quand tu seras arrêtée, faut que je t'appelle, c'est grave. » Oh putain. J'aime pas du tout quand il prend ce ton. Je passe tout dans ma tête : il lui est arrivé quelque chose ? Il est arrivé quelque chose à ma mère ? Ma grand-mère ? Mon chat ? Je stresse. J'aime vraiment pas ça. J'essaye de tâter le terrain et de relativiser, espérant qu'il me rassure, je lui réponds « J'arrive à la route dans 20 à 30 minutes, je vais être sur du plat, ça sera mieux. » Réponse : « Désolé, je ne peux pas t'annoncer par SMS ce que j'ai à t'apprendre... » Oh la la, j'aime vraiment pas ça du tout. Bon, je trouve un caillou pour m'assoir, je sens que j'en aurai besoin. Je le rappelle.
« Bon. J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer. Tu rentres quand ? » - Je rentre le 2. Qu'est-ce qui se passe papa ? - J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer...
J'aime vraiment pas ça.
- Il t'est arrivé quelque chose ? - Non, non, moi ça va. - Maman ? - Non plus, ça va. - Mémère ? [Il soupire.] - Continue de chercher dans la maison.
Putain, j'ai compris.
-... mon chat ? - Oui. Elle a été empoisonnée.
Je hurle. Un coup de poignard dans le bide. J'ai tellement mal. Je suffoque. Je suis incapable de parler, j'écoute mon père, le ton grave.
- Elle a commencé à vomir samedi, on s'inquiétait pas, ça lui arrive. Hier elle avait fait caca dans son panier, le véto était fermé, on s'est dit qu'on irait le lendemain si ça allait pas mieux. Ce matin elle est sortie dans le jardin, et quand elle est rentrée, elle se traînait, j'ai senti que ça allait pas le faire. Ta mère l'a mise dans la cage et elle est allée chez le vétérinaire, elle est morte pendant le trajet en voiture. La véto soupçonne fortement un empoisonnement. On devait pas te le dire et attendre que tu sois rentrée, mais la véto m'a demandé si on voulait faire une autopsie. C'est pas sûr qu'elle trouve quelque chose, et même si elle retrouve ce qui l'a empoisonné, c'est quasiment impossible de savoir d'où ça vient. Elle peut avoir mangé un oiseau infecté, ou alors c'est volontaire... [On s'entend pour le moins très mal avec nos voisins.] Donc je suis obligé de te le dire maintenant, parce que si on fait une autopsie, on pourra pas la récupérer. Donc soit je la ramène chez le vétérinaire, soit je l'enterre dans le jardin à côté des autres animaux.
Je gratte mon genou nerveusement, je pleure à flots, je crois rêver. La douleur est difficile à contenir, j'ai du mal à respirer, à penser, à formuler des phrases. Je parviens à répondre à mon père entre deux sanglots : « Enterre-la dans le jardin, ça sert à rien, on saura jamais. »
Après une demie-heure à écouter la voix de mon père chargée de compassion, de regrets et d'amertume, je raccroche, désespérée. Je reste là, sur mon caillou, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Mon bébé. Je suis une dingue des animaux, protectrice maladive, aimante, militante pour leurs droits face à l'humain, blessée par la maltraitance et le manque de considération qu'on leur porte. Chaque animal est un précieux trésor à mes yeux, et aucune explication, aucune raison, aucun chiffre fourni par la race humaine ne pourra jamais me faire accepter que leur exploitation est justifiable. Que l'élevage est justifiable. Que la vivisection est justifiable. Que le commerce est justifiable. Que la soumission, au profit de l'humanité, est justifiable. Non. Nous ne sommes pas une espèce supérieure aux autres. Ça, c'est une étiquette que nous nous sommes nous-mêmes collée. L'intelligence ne justifie pas la domination, l'exploitation, la torture, peu importe à quelles fins. A quelle fin, d'ailleurs, mh ? Notre propre évolution ? Notre confort ? Notre besoin d'expansion ? Eh bien écoute moi, Humain, je vais te dire ce que j'en pense :
« Du haut de ta tour de biz droite comme la tour de Pise, tu la vois, ta race que tu aimes tant, que tu chéris, que tu crois plus importante que les autres ? Eh ben nique-la, ta race. Tu te crois fort, puissant, beau, mais tu n'es même pas capable de protéger les tiens. Tu t'autodétruis, tu saccages, et tu justifies tes crimes et autres actes de merde par l'éthique, la solidarité et l'égalité ? Va te faire foutre. Tuer ses semblables n'a jamais été justifiable. Ôter la vie, peu importe de quoi ou de qui, n'a jamais été justifiable. Je ne connais pas espèce plus coupable que toi. Je ne connais pas plus avide de pouvoir que toi. Je ne connais pas plus imbu de lui-même que toi. Je ne connais pas plus fou que toi. Je ne connais pas plus égoïste que toi. Je ne connais pas plus hypocrite que toi. Je ne connais pas plus abjecte que toi. »
On va me dire que l'humain est capable de plus belles choses qui soit, que la fraternité est magnifique, que le respect et la tolérance sont des valeurs que les animaux ne connaissent pas, que la nature est cruelle, et que l'humain, lui, sait pardonner, sait aimer. Et c'est vrai, je le ne nie pas. Si je n'étais pas capable de voir les bons côtés de l'Humanité, je n'en ferais déjà plus partie depuis nombre d'années, quand du haut de mon jeune âge, je commençais à comprendre comment fonctionnait le monde. Alors oui, l'humain est capable de choses merveilleuses. Mais, désolée, même si c'est très personnel, à mes yeux, toutes les belles valeurs et belles actions qu'il produit ne combleront jamais le mal qu'il fait de manière totalement délibérée, et qu'il a fait de tout temps, à lui-même et aux autres espèces, animales et végétales. L'humain, contrairement à ces « cons » d'animaux, doté de son intelligence hors du commun, a justement le choix d'agir selon des valeurs qu'il a choisies. A regarder le monde dans lequel nous vivons, je n'excuse pas, et n'excuserai jamais. Et vous pourrez me blâmer d'insulter la terre entière, mais croyez-moi, je suis bien triste et bien consciente d'en faire partie.
J'ai vu plusieurs de mes animaux mourir. En 2014, un an après la mort de mon vieux lapin de 11 ans, qui a vécu de beaux vieux jours, libre comme l'air et chouchouté au plus haut point, j'ai trouvé Xéna. Un chaton d'à peine 2 mois et 200 grammes, atteinte du choryza, rejetée par sa maman. Il faisait chaud, c'était à l'Université. Une amie m'a convaincue de l'attraper pour la sauver. On y a passé du temps, elle était farouche, la petite. J'ai réussi à la prendre, d'une main seulement, tant elle était petite et maigre. L'oeil infecté, amaigrie, déshydratée, elle a feulé et puis, une fois enroulée dans mon t-shirt, elle s'est laissée bercer. Avec mon amie, devenue ma belle-soeur, on l'a emportée dans le métro dans un carton, et puis je l'ai emmenée dans le train pour rejoindre ma banlieue. Elle dormait à poings fermés, sur le dos, insouciante. Une fois la consultation vétérinaire (et les 120€) passés, j'ai décidé de l'adopter, moi qui refusais de revivre la douleur de perdre un animal, et donc d'en reprendre un.
Mais elle était là. Une petite beauté minuscule, de toutes les couleurs, avec 3 bandes rousses sur chaque joue. Ma belle-soeur a trouvé son nom : « Tu as qu'à l'appeler Xéna, comme Xéna la guerrière, regarde, elle a des peintures de guerre ! En plus c'est une battante pour avoir survécu ! »
Les kilomètres qui suivent, j’avance tel un robot, j’ai un noeud au ventre, j’ai envie de vomir, je suis exténuée, je manque de tomber plusieurs fois. A chaque endroit où mon regard se pose, sa petite silhouette court dans l’herbe. Je suis hantée par son absence déjà palpable en moi. Je n’accepte pas. J’ai mal.
J'arrive enfin au parking du Col du Coq. Impossible de continuer à marcher. Je m'assois à l'ombre d'un arbre, essayant tant bien que mal de sécher mes larmes qui coulent sans que je puisse les retenir. Je suis abattue par la tristesse, la chaleur et la fatigue, je n'ai même pas de réseau pour contacter qui que ce soit. J'ai envie de tout arrêter, rentrer dès demain et me cacher au fond de mon lit. Heureusement que je suis arrivée vite au bord d'une route, je décide d'en profiter pour faire du stop jusqu'à Perquelin, me trouver un coin au bord de la rivière et on verra ensuite.
Après de longues minutes à regarder le temps passer lentement et douloureusement, je me lève et marche sur la route en direction de St Pierre en Chartreuse. Aucune voiture pendant vingt bonnes minutes. En plein soleil, je cuis. Je m'en fous.
Je m'arrête dans un virage à l'ombre et attend. Il ne faut que quelques minutes pour qu'une voiture apparaisse au loin, descendant du col. Putain, faut avoir une gueule potable maintenant. Allez, on tend le pouce, on sourit, on a l'air contente et en cas de question, on dit qu'on a des allergies. Le jeune couple s'arrête à ma hauteur. Je bafouille, j'ai du mal à m'exprimer. « En fait je devais marcher jusqu'à Perquelin via le col des Ayes mais euh... j'ai un peu la flemme. » Ils me disent de grimper, ils passent par Saint Pierre, à 4 km de Perquelin. Durant tout le trajet, je me concentre au maximum pour écouter leur conversation, yeux fermés. Ils viennent de faire du parapente pour la première fois. Au bout de quelques minutes, le conducteur me demande ce que je fais là, où je vais. « Ah oui, c'est courageux de faire ça toute seule ! » Je ne réponds pas. Ils me déposent sur la route de Perquelin, à côté de la rivière. Je les remercie chaleureusement et, une fois sortie de la voiture, m'autorise à ouvrir la vannes des larmes que j'ai eu du mal à contenir pendant le trajet. Je marche un peu. Toujours pas de réseau. J'entends la rivière et descends dans un champ pour m'en approcher. Bon, c'est pas mal cet endroit, mais y a des maisons pas loin, je sais même pas si j'ai le droit de camper là. Je vais faire un tour plus loin. Je passe facilement deux heures à faire des allers-retours sur la route en plein soleil, à la recherche d'un endroit un peu plus sauvage. Rien. Je finis par toquer à la maison de l'autre côté de la rivière pour savoir si je peux bivouaquer. Pas de réponse. Fuck, eh bien je me pose ici, tant pis.
Il est 18 heures passées. Je n'ai toujours pas de réseau, à peine de quoi envoyer un SMS, très difficilement. Impossible de communiquer avec qui que ce soit. Je suis toute seule ici, je m'ennuie, je n'ai envie de rien. Je reçois malgré tout un SMS de Flixbus m'annonçant que mon trajet de dimanche a été annulé. Ok, c'est un signe, avec le karma que je me paye, autant que je rentre demain.
Je ne précipite pas les choses et attends de passer la nuit. Je suis partagée : je n'ai plus envie de marcher, d'être seule, de subir le temps qui passe, mais je sais aussi que ce serait dommage d'arrêter maintenant, sachant qu'en rentrant chez moi, je n'aurais rien d'autre à faire que de pleurer dans mon appartement francilien. Ça m'aidera probablement pas. Mais malgré tout, est-ce que ça vaut vraiment le coup de persévérer au nom d'un objectif initial, alors que j'en n'ai aucune envie ? La nuit portera conseil.
Je suis là, au bord de la rivière, et je me filme avec mon téléphone. Eh oui, à défaut d'amis ou de famille, j'utilise mon téléphone pour vider mon sac, ça me donne l'impression de parler à quelqu'un. Je m'effondre. Je sais que bon nombre de gens trouveraient ça stupide, peut-être que beaucoup de jugeraient aussi : « c'est bon, c'est un chat, c'était pas ton gosse non plus, arrête de chialer » qu'ils pourraient me dire. Je sais. Mais je n'ai pas cette sensibilité. Je n'ai pas ce recul. J'ai d'ordinaire extrêmement de mal avec le deuil de manière générale, chaque perte est toujours une cicatrice qui ne se voit pas mais qui se sent, là, à l'intérieur. Et là, je trouve ça si brutal, si injuste, si violent. Voir ses animaux mourir est quelque chose de difficile, mais mon sentiment aujourd'hui est qu'être absent est encore pire. J'ai parfaitement les images de ses dernières heures en tête. Je ne cesse d'imaginer combien elle a du cacher sa souffrance. Je ne cesse de me rappeler le vendredi matin où je suis partie. Elle courait dans le jardin chez mes parents, j'ai hésité à aller la prendre dans mes bras, comme je le fais presque toujours avant de partir. Et puis je me suis dit « bon, je la laisse tranquille, de toute façon je la revois bientôt ». Je ne cesse de me dire que je n'ai pas pu lui dire adieu, que je n'ai rien pu faire, que j'étais loin, et combien je me sens si impuissante désormais. Je ne cesse de me dire que certes, je lui ai sauvé la vie à 2 mois, mais qu'elle n'avait que 6 ans. Que je pensais un jour avoir une maison et un jardin pour qu'elle s'y épanouisse. Qu'elle finirait ses vieux jours dans mes bras. Je ne cesse de me blâmer d'avoir échoué à ma mission, celle que je me suis fixée le jour où je l'ai récupérée entre deux poubelles : la protéger.
Je suis d'un tempérament maternel, j'aime prendre soin des autres, et avec mes animaux, ça se transforme en protection maladive. Je m'inquiète pour tout, pour rien, pour un détail. J'ai si peur de les perdre et d'en être responsable que je me rends folle au moindre truc. Et là, je n'étais pas là pour la protéger. Et ça me ronge, dans chaque particule de mon corps. Elle était mon petit trésor, et quelque chose s'est éteint en moi avec elle. J'ai échoué.
Vers 19 heures, je décide de monter la tente. Je suis proche de la route, mais grâce aux arbres, on ne me voit pas. Je me lave à la rivière (le rêve comparé aux lingettes bébé), me fait à manger, même si je suis nouée et que je n'ai pas faim. A la nuit tombée, je retrouve enfin un peu de réseau, ça me permet de discuter un peu avec mes proches, et ça me fait du bien. Ça m'apaise, le temps de quelques minutes. Cela ne m'empêchera pas de fondre en larmes une bonne partie de la soirée et de la nuit.
Total de la journée : Camping du Sappey / Col du Coq : 9 km / D+ 800 + stop jusqu’à la route de Perquelin | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:35 · Modifié le 24 août 2020 à 23:06 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 5 de 17 · 929 affichages · Partager J'ai une de ces tronches ce matin... Des cernes, les yeux gonflés à bloc que je peine à ouvrir. Je crois que j'ai vidé tout mon stock de larmes hier, mais je cherche pas trop non plus parce que je sais qu'il en reste toujours quelque part en réserve. Je fais un scanner de mes émotions : globalement, je suis vide et blasée. Je ressens de la tristesse, de la colère, je ne veux parler à personne. Avec les conseils et encouragements de mes amis, je décide d'aller au village à 2 km pour prendre un petit déjeuner et de continuer ma rando jusqu'au col de Bellefont, ça me fera peut-être arrêter de penser, à défaut de panser cette plaie béante que je n'ose regarder. On verra les jours suivants. Je ne prévois plus rien désormais.
Je prends un chocolat chaud au petit bar du village de Saint Pierre en Chartreuse sur les coups de 9 heures, puis me mets en route via le GR9, qui encore une fois grimpe pendant de longs kilomètres, mais toujours dans la forêt. J'avance un peu comme un robot, je me concentre sur l'effort et essaye de garder une cadence régulière, il faut dire que plus de 1000m de dénivelé m'attendent, j'ai pas intérêt à me claquer dès le départ.
Je ne pense à rien, seulement mon souffle, mes muscles. Plus je monte, plus l'air se rafraîchit. Cela reste dérisoire, mais ça fait un bien fou, il crève de chaud, là en-bas. Au moins, je ne vais pas me plaindre de la météo, j'ai chaud certes, mais je préfère ça à des journées de pluie battante, surtout que j'ai oublié mon kaway.
700 mètres de dénivelé et trois heures de marche plus tard, il ne me reste que quelques kilomètres de plat, toujours en forêt, pour atteindre la cabane de Bellefont et la montée au Col. Je fais une pause à l'ombre, je retrouve un peu de 4G, renoue un peu avec le monde extérieur. Le vent se lève, au loin ça se couvre un peu. Je sens que je vais me taper un orage. Très vite, le sentier se dessine timidement dans la JUNGLE. Ya des herbes et plantes hautes de ma taille qui empiètent sur le chemin. Ça me dérange pas en soi, c'est surtout que sur les fleurs des plantes, y a plein de bourdons / abeilles / mouches qui BZZZZZZZZZZZENT dans mes oreilles constamment.
Je fais une halte dans un coin dégagé en forêt pour manger mon divin sandwich. Une mouche se pose sur mon bras. Allez, va, je te laisse boire ma crème solaire ou ma sueur, ce que tu veux, t'es pas gênante. Je l'observe, lui parle, et lui dépose une petite miette de boursin sur mon poignet pour qu'elle le mange (oui bon, on se moque pas). Et là, alors qu'elle se fout royalement de mon Boursin, je la vois de mes propres yeux me chier littéralement sur le bras. Tendez la main et on vous chie dedans.
Je croise vraiment pas grand monde aujourd'hui, c'est cool. Vers 15h, j'arrive à la cabane de Bellefont après avoir croisé un troupeau d'adolescents. J'ai l'impression de faire l'entrée en classe de mes élèves, à dire bonjour à chacun, 20 fois de suite.
La cabane est privée, comme beaucoup. Les bergers en avaient sûrement marre (à raison) des gens qui respectaient pas trop leur propriété, pourtant mise généreusement à disposition pour les randonneurs.
Je trouve une source d'eau potable qui me sera d'une grand utilité, étant donné que je compte bivouaquer de l'autre côté du col, et que je suis pas sûre d'en trouver. Je remplis mes gourdes à bloc, en plein soleil, au milieu de saletés de taons qui s'agrippent à mes mollets (je déteste les taons). Je me barre très vite du point d'eau pour retrouver de l'ombre et de la tranquillité.
Que de roches et de pentes. Allez, encore quelques 350 mètres de dénivelé, mais cette fois en plein soleil. Ça s'annonce rude. Et ça l'est.
Mais ça se vaut. En haut, la vue est superbe, mais le vent est incroyable, je titube et crains de basculer avec le poids du sac. Je trouve vite le sentier qui descend : un petit chemin avec plein de terre sèche et de cailloux blancs qui roulent sous les pieds, typiquement le genre de trucs qui me fout la trouille et m'épuisent. J'avance encore plus lentement que dans la montée...
Je ne pense pas aller jusqu'à la deuxième cabane de berger, j'ai peur de gêner les troupeaux s'il y en a, et puis j'ai plus de 2L d'eau, ça ira très bien. Je commence à chercher un endroit où poser ma tente. Il n'est que 16h30, mais bon.
Pas si facile en fin de compte, le terrain est très vallonné et fourni de bosses et buissons en tout genre. Du coup je me retrouve à bivouaquer... presque sur le sentier. A moins d'un mètre, en tout cas. Je me pose un peu, croise quelques gens, et monte la tente relativement tôt par crainte d'un ciel bien couvert qui m'arrive dessus.
Finalement, les montagnes font barrage et les nuages sombres contournent le col. Je suis là, assise dans l'herbe à côté de ma tente, et je m'éteins. Le fait d'arrêter de marcher redonne libre cours à mes pensées. J'aime pas.
Je m'installe dans ma tente, écris mon carnet, fais ma toilette aux lingettes, regarde les mouches en galère, coincées entre les deux toiles de tente. J'attends. Je m'ennuie. Le temps passe relativement vite, mais j'ai aucun entrain, c'est pesant. J'entends des gens un peu plus loin sur le sentier qui ont planté leur tente aussi. Même ici, j'ai des voisins, merde.
J'ai jamais eu autant envie de crudités et de fruits. Du concombre et des tomates gorgés d'eau, han.
Je trouve des poils de Xéna sur mon sweat. Blanc au début, blond au milieu, noir à la fin. Je les retire, les regarde, hésite, puis les laisse s'envoler. Oh vous pouvez trouver ça ridicule, je m'en fiche pas mal. Tout ce que je sais c'est que c'est un peu la seule chose qu'il me reste d'elle, les poils. A l'heure qu'il est, elle est enterrée dans le jardin de mes parents, en Normandie, avec tous les autres animaux, et son magnifique pelage fera bientôt corps avec la terre en redevenant poussière.
En fait je crois que j'ai juste envie de me mettre en OFF. Il est 20 heures : bonne nuit.
Total de la journée : 13,5 km / D+ 1080 | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:43 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 6 de 17 · 928 affichages · Partager Sale nuit. J'me suis endormie que sur les coups de 23 heures finalement. Des bosses partout, le sol en pente, ma peau sur le corps entier colle (??), c'est pas très agréable. J'me suis réveillée je sais pas combien de fois, j'ai le dos en compote. Il a plu. Je me lève à 7 heures et me prépare en attendant que le soleil viennent sécher un peu la tente.
Finalement, je change de cap, je descends plus au Cirque de Saint-Même, je préfère rester dans les hauteurs, tant pis pour le manque d'eau... Je décide de continuer sur le GR9, via le pré de Pratcel et le pas de l'Echelle, jusqu'au col de l'Alpette. Ça me fera un peu de dénivelé et quelques kilomètres en plus, de quoi remplir ma journée. Tant pis pour les cascades. Je me mets en route vers 8h30 sous un beau soleil. Des rochers un peu partout, c'est un peu plus sauvage, j'aime bien.
Je croise un type un peu plus loin qui me dit que la source du chalet de l'Aulp du Seuil est un minuscule filet d'eau et que j'ai intérêt à remplir toutes mes gourdes parce qu'après tout est à sec jusqu'au col de l'Alpette. Mh.
Effectivement, quelques minutes plus tard, j'arrive à la fameuse source... pas bien virulente.
Je me pose ici un moment, le temps de remplir (lentement) mes gourdes, et d'observer les petits têtards et grenouilles dans le bassin. Les kilomètres qui suivent sont super agréables. Toujours un peu chaud, certes, mais personne à l'horizon, une vaste vallée pleine de végétation, des petites marmottes qui crient et courent quand elles me voient (j'adore regarder une marmotte qui court, avec son gros popotin qui ballote ^^) et des vaches, et des veaux. Beaucoup trop mimi tout ça.
Les kilomètres s'enfilent plutôt vite, et je commence à me dire que je vais arriver tôt au col de l'Alpette. Allez, encore un changement de plan : monter camper au Granier ce soir ! Ça sera bien fatigant, mais je devrais pouvoir le faire. J'descendrai au camping demain soir.
Je mange mon sandwich à côté des vaches au pré de Pratcel, juste avant d'entamer la montée au Pas de l'Echelle, pas si mignonne que ça ! Il me faut quelques pauses.
Arrivée enfin en haut, je me pose un peu à l'ombre. Je suis claquée. Ça va être tendu le Granier quand même. Je vais peut-être finir par bivouaquer au col de l'Alpette...
J'arrive au chalet de l'Alpe où le berger est planté dehors et me dit bonjour. Je lui demande s'il y a de l'eau sur le chemin pour le Mont Granier. Il me dit qu'il n'y a qu'au Col de l'Alpette et que si j'ai vraiment soif, il peut me dépanner, mais qu'il a plu beaucoup d'eau. Hors de question ! Il doit déjà galérer avec toutes ces sources à sec... Je trace ma route au milieu des vaches, sur un sentier totalement exposé au soleil mais magnifique.
15h30, j'arrive au Col de l'Alpette. Un chalet, un cheval et un robinet. Je me tâte à poser ma tente ici, monter au Granier demain et redescendre au camping. En même temps ça va me faire un aller-retour potentiellement relou (le sentier est raide), et j'ai pas très envie de camper là, y a pas mal de passage. Je sais pas trop quoi faire. J'ai beaucoup trop la flemme de monter au Granier aujourd'hui en tout cas. En même temps, si je dors ici et que je vais au camping demain, j'aurai que 4 km de descente, donc je vais VRAIMENT me faire chier.
BOOOOONNNNNN ! Eh bien j'appelle le type du camping : super sympa, il me dit qu'il est complet ce soir, mais qu'il peut me trouver un petit emplacement, un coin qu'il réserve à des amis qui sont pas là. Vendu. Je descends au camping. Ciao, Granier !
En partant pour la descente, je croise un mec qui me voit regardant mon portable et me dit « non mais ça capte pas ici, faut aller au fond de la vallée, là bas »... Bah non ? Déjà ça capte, et justement plus je m'éloigne du col, moins ça capte. Bon, je relève pas. Il s'arrête à ma hauteur et me montre des fleurs mauves : « Tiens tu sais ce que c'est ça ? Regarde, sens. » Il cueille une fleur et me la donne. « Mets la dans ta bouche, mâche un peu, tu verras ». Euh, non ? C'est pas très Covid-friendly ça. Je sens la fleur : « Ah, c'est du thym ! » que je lui dis. Il me répond : « Non, c'est du thé ! »... Du thé. Ben ça sent quand même vachement le thym. Je lui dis au revoir et je me casse avant qu'il me fasse toute la visite guidée de la flore locale.
La descente est bien longue, j'ai mal aux genoux, aux pieds, j'ai chaud (pour changer) mais l'idée d'avoir une douche ce soir me fait avancer et oublier un peu tout ça.
J'arrive à la route et trace les deux derniers kilomètres jusqu'au camping où j'arrive vers 18 heures. Le type me donne un emplacement de caravane. Enfin, disons qu'il y a déjà une caravane et une tente, et que moi je peux mettre la mienne sur la place de parking. Bon, c'est pas le grand luxe, je suis juste à côté de la route, mais il me fait pas payer l'emplacement, et au moins j'ai UNE DOUUUUUCHE.
Je sais pas pourquoi, étonnamment, je suis plutôt contente de voir et d'entendre des gens. Ça fait moins « vide », je sais pas. Pourtant les campings c'est vraiment pas ma tasse de thé, mais là, le temps passe plus vite et mon cerveau est plus sollicité. Ah, c'est sûr que c'est pas mon meilleur trek, hein. Je souffre pas mal physiquement et moralement, c'est difficile, cette année.
Je prends une douche immense, lave la dread qui me sert de cheveux et quelques fringues. Oaaaaah. C'est très familial ici, y a un beau décalage entre moi et les autres gens du camping. Quand ils passent à côté de ma tente, ils me regardent un peu avec pitié, notamment quand je mange ma soupe à même la casserole, tandis qu'en face ils font des burgers et à côté un barbecue.
Total journée : 16 km / D+ 330 / D- 1200 | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:45 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 7 de 17 · 927 affichages · Partager 30 juillet 2020
Un peu chaud, mais bien dormi. J'ai revu mon itinéraire pour les deux derniers jours : montée à la pointe de Gorgeat pour bivouaquer puis descente à Chambéry demain, où je suis censée retrouver mon pote David. Respectivement 7 et 13 km, deux petites étapes. Je quitte le camping à 9h30, la chaleur est déjà écrasante, surtout en ville, dans les cuvettes... Je marche une quinzaine de minutes sur la route et quitte Entremont le vieux pour rejoindre un sentier qui s'engouffre dans un petit bois, plus ou moins à l'ombre.
Les montagnes se raréfient et se rapetissent. 20 minutes de marche seulement, et je sors du chemin pour me poser au bord de la rivière : il fait si frais ! La différence est incroyable, à 10 mètres près. Je me pose quelques minutes, attends 10 heures pour appeler le camping de Challes les eaux, histoire de savoir si je dois réserver un emplacement pour les deux dernières nuits. Je trouve un caillou en forme de cœur dans l'eau. Je le prends, le frotte un peu dans la rivière et le range dans mon sac : ça décorera la tombe de Xéna. J'en trouve trois autres, je les prends aussi. Ça va m'alourdir un peu mais c'est pour la bonne cause.
J'ai une espèce de rechute de deuil, je me sens mal. La pilule passe difficilement. Je sens que le trajet touche à sa fin, et que la réalité va revenir de plus belle. Je sais que ça sera bizarre de retourner chez mes parents, que son absence planera encore. J'ai beaucoup de mal à aller de l'avant en ce qui concerne le manque et le regret. Comme beaucoup de gens j'imagine, mais me raisonner est très complexe dans ces moments-là. Je chiale encore un bon coup avant de repartir vers la chaleur, le cœur lourd.
J'ai 7 km aujourd'hui, je compte marcher lentement et faire beaucoup de pause : 1, pour ne pas arriver à 13h en haut et m'emmerder comme un rat mort, 2, pour m'économiser car je commence à m'inquiéter pour la flotte. Je compte camper en haut d'une petite montagne où il n'y a aucune source, et sur mon chemin, ma carte d'indique rien. Sur Maps Me (une appli géniale de GPS sans avoir besoin d'internet), il y a une petite source aux granges du Mont Joigny, mais j'ignore si elle sera à sec ou non... Sur le petit sentier de forêt tout mignon que je sillonne, je tombe sur une petite cascade, il y fait frais. Bon. Va falloir remplir les gourdes à bloc à cette rivière, et je risque de rien avoir jusqu'à demain, sachant que sur les 13 km jusqu'à Chambéry demain, je ne vois aucune source non plus. Okay, donc j'ai un peu plus de 2 litres pour aujourd'hui, ce soir et demain. Mmmmmmh OOOOKAAAAAAY !
Il est seulement un peu plus de 11 heures quand je décide... de pique-niquer. Comme ça j'en profite pour boire un litre d'eau et de remplir la gourde après. Faut pas oublier que j'ai un bon dénivelé aujourd'hui, même si c'est sur peu de kilomètres.
Je repasse encore par quelques petits villages avant d'entamer la montée raide dans la forêt. Je dépasse un groupe que je côtoie depuis hier. Ils sont descendus en même temps que moi du col de l'Alpette, je crois même qu'ils logeaient en face de moi au camping, - ils m'ont suivie et dépassée dans la forêt quand je pique-niquais (à 11h00...) et là ils sont arrêtés sur la route parce qu'ils se sont fait piquer par des abeilles. Très vite, ils me redoublent dans la montée, je les laisse me distancer pour être tranquille.
Vers 14 heures, j'arrive aux granges du Mont Joigny. Je croise les doigts pour trouver une source non sèche car je n'ai plus qu'un litre et demi et que j'ai TRÈS SOIF, mais j'économise. Heureusement, il y a quelques habitations, des bâtiments agricoles et effectivement, une belle source loin d'être sèche !
La dernière montée vers la pointe de Gorgeat n'est pas de tout repos, mais le sentier est chouette.
Je m'assois sur le côté du chemin. Une dame et sa fille passent à côté de moi et s'arrêtent à ma hauteur. Elles me demandent si je randonne souvent toute seule, me posent plein de questions. Il se trouve que la jeune femme est tentée par la rando en solo, mais a beaucoup de mal à convaincre ses parents. Je ne suis pas une experte mais leur explique un peu qu'il faut être prudent, ne pas se lancer dans quelque chose dont on n'est pas sûr, s'arranger pour avoir toujours de la batterie, connaître les numéros d'urgence, commencer par de petits trajets, pas trop paumés, dans des régions qu'elle connait déjà... Rien de tellement exceptionnel. C'était cool de discuter avec elles, et la mère qui habite le coin me conseille fortement de ne pas camper à la Pointe de Gorgeat mais au Mont Joigny, beaucoup plus joli et plat pour bivouaquer. Great.
J'arrive finalement au col de la Gorgeat et monte direct au Mont Joigny. Putain, c'est raiiiiiide ! Pendant la montée qui me casse les pattes, je m'arrête et pense à un truc : « demain, va falloir descendre ». Uuuuuuhhh je vais mettre mille ans !!!
Il est 15h30, je suis déjà en haut. Wah, ça valait le coup. Bon, j'ai pas mis aussi peu de temps que je le pensais, j'ai bien pris mon temps, et j'ai du réseau et de la batterie pour m'occuper un peu, donc ça va. C'est ma dernière soirée en bivouac, je compte bien en profiter avant de redescendre dans la fournaise. J'attends que la nuit tombe à l'ombre d'un sapin ridicule.
Je discute avec les amis, la famille, ça comble pas mal le vide, tout en étant au sommet d’une immense vallée entourée de montagnes. Je me sens bien.
Je croise quelques personnes qui font la boucle via le sommet et me demandent ce que je fous là : « Ben j’attends qu’il fasse nuit. » Ils m’envient de camper là. De mon côté, je suis bien contente d’être la seule à en avoir eu l’idée. Je recroise la dame et sa fille en quête de rando solitaire. Elles me disent qu’elles penseront à moi cette nuit. Eh bien moi aussi mesdames !
L’ombre finit par gagner du terrain et je déplie mon tapis de sol à l’ombre, en attendant qu’il fasse assez frais pour faire de même avec la tente.
Vers 18 heures, l’ombre a encore gagné du terrain : j’installe ma tente, fais ma toilette, grignote un bout de soupe. Je m’amuse à regarder les fourmis s’attrouper dans ma casserole, gaga comme je suis : « Ooooooh ben alors petites fourmis!!! C’est bon la sousoupe hein ? Oh vous êtes trop mignoooonnes » blablablablabla.
Je reste dehors au soleil couchant, c’est sublime d’être seule ici à surplomber des kilomètres de vie. Je glandouille dans ma tente, cherche un peu de réseau. Ça gronde au loin, le vent se lève et je sens que je vais me taper un bel orage. Je flippe un peu. Je suis pas du genre à flipper de l’orage, mais là faut dire que je suis au sommet d’une montagne pas très haute mais assez isolée, entourée d’arbre, et seule dans le vent et la nuit. Mbon. Il ne pleut pas, c’est déjà bon signe. Je regarde les éclairs au loin, c’est tout de même magnifique.
Il est 23 heures passées quand je m’endors, l’orage semble s’être éloigné.
Total de la journée : 7 km / D+ 730m | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:49 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 8 de 17 · 926 affichages · Partager Réveil 7h30 : j’ai dormi COMME UN BEBE !!
Il n’a pas plu visiblement, la tente est sèche, il y a seulement un peu de vent, je sors tout de même la petite polaire.
Je mange mes deux dernières barres de céréales, j’évite le thé parce qu’il ne me reste qu’une gourde jusqu’à la civilisation, et c’est loin. Et il va faire chaud sa mère.
A 8h30, toute tente remballée, je redescends ma putain de montée d’hier, et je mets environ 25 ans. Ok, 25 minutes. Mais pour pas grand chose.
Déjà dans la forêt, coupée du vent, je sens la chaleur. Mon pote David m’a dit que la canicule était violente surtout hier et aujourd’hui. Joie, je vais en chier, surtout que je fais que descendre...
Je passe par la pointe de Gorgeat et remercie en télépathie la dame qui m’a conseillé de camper au Mont Joigny. Ici, c’est joli (pas plus qu’au Mont Joigny cependant), mais aucun endroit pour bivouaquer : des arbres, un peu de terre avec des cailloux, et une falaise.
Ma foi, la descente se fait plutôt bien, avec vue sur le lac du Bourget au début, puis sur un grand chemin large de terre, à l’ombre.
Vers midi, je retrouve la route. J’en ai marre de descendre, même si le sentier est cool et que la pente est douce. J’ai quand même descendu plus de 1000m, j’arrive bientôt à St Baldoph et il me restera la partie la plus hard : 5 km sur la route jusqu’à Challes les eaux. Je me tartine de crème solaire, jette mon baluchon de poubelle et entame la dernière ligne droite vers St Baldoph, entre route et petits chemins.
12h30. Je fais une halte dans le chemin pour manger mon dernier pique-nique, à l’ombre. Des saletés d’abeilles me suivent sans lâcher prise. Je reste immobile : elles restent. Je bouge : elles me suivent. MBON, OKAY, J’AI COMPRIS, J’ME CASSE.
Je refais une pause vingt minutes plus tard, sur un bout d’herbe à côté du sentier. Encore des abeilles. Mais bordel laissez moi juste manger ! En plus je leur laisse plein de boursin et de pain pour qu’elles mangent et me foutent la paix, mais non, elles veulent MON PAIN et MON BOURSIN. Je me hâte d’engloutir mes 3 tartines et me casse d’ici fissa.
Je sue à grosses gouttes. Il est que 13 heures mais j’ai quand même hâte d’arriver, prendre une douche, trouver un endroit frais. Je n’ai plus que 2 centimètres d’eau dans ma gourde, il fait 38°C, je m’économise depuis ce matin mais j’ai vraiment soif. Je boirais de l’eau chaude s’il le faut, je m’en fous, juste j’ai soiiiiiif.
Ok, je suis à la route. Des champs de vignes, des maisons, une église... Plus que 5 kms. Je checkes Maps Me sur mon téléphone qui a tellement chaud qu’il peine à s’allumer : toutes les sources indiquées n’existent absolument pas, ou alors elles sont carrément chez des gens. Je suis quand même pas au point de demander de l’eau aux gens... Je continue ma route, et TADAAAAAM.
Alleluia, une fontaine qui coule à flots. Je reste ici facilement 20 minutes, à m’asperger d’eau, me laver tout ce que je peux (visage, bras, mains, cou) et surtout je BOIIIIIIIIIIS MA RAAAAAACE !!!! J’enfile une demie gourde et en remplis une autre : une seule devrait suffire pour le reste du trajet. Et puis de toute façon, je croise des fontaines tous les 50 mètres après celles-ci.
De Saint-Baldoph à Challes les eaux, la route est clairement PENIBLE. Je suis dans une espèce de zone industrielle dégueulasse où y a des magasins de location de grues (au secours) et que des grands axes, où les conducteurs me regardent comme si j’étais un animal. Raaaaah, mais BARREZ-VOUUUS ! Ou du moins, foutez-moi la paix, je souffre déjà assez comme ça. Je suis en plein soleil, je passe sous l’autoroute, puis je longe la grande route départemental pendant de longues, longues, looonnnngues minutes. Hé mais c’est loin Challes les eaux en fait !!
Je trouve enfin un peu d’ombre avec un muret, je m’arrête pour voir où j’en suis sur Maps Me. Des bagnoles font la queue au feu rouge. Je suis écarlate, dégoulinante, je tente d’allumer mon téléphone qui est bouillant. Je retire la batterie, souffle comme un mufle.
« Vous avez besoin d’aide mademoiselle ? » Je lève la tête. Une dame arrêtée au feu a baissé sa vitre et me regarde. - Euh, non non, merci c’est gentil !
Comment ça j’ai besoin d’aide ? J’ai l’air d’avoir besoin d’aide ? Est-ce qu’à partir du moment où on commence à vous demander ça, c’est qu’on a vraiment une sale gueule ? Possible...
Je parle seule, les gens me regardent bizarrement. Oui ben j’ai plus trop l’habitude de vivre en ville et je suis dans un état assez lamentable, hein.
Une heure de marche plus tard, je suis ENFIN à Challes les eaux. Je passe devant la mairie, je fonce vers un espèce de parc à côté de la bibliothèque, à 5 minutes du camping. Ok, il est 14h30, j’ai plus qu’à attendre 16 heures que le camping ouvre et poser mon barda.
SMS à David :
« Putain j’ai chaud. » - J’imagine, déjà à l’intérieur c’est un four... T’es où ? - Ben là. (J’envoie une photo) - Ah mais t’es à Challes ! - Oui j’attends que le camping ouvre. T’habites où toi ? Il me file son adresse. - Si tu veux tu peux venir chez moi en attendant. Je checke son adresse : HAAAANNNNNNNN je suis passée pas loin ! Faut que je fasse demi-tour ! Nouveau SMS de David : - Tu pourras prendre une douche. - OK J’ARRIVE.
Il sait parler aux énergumènes puants dans mon genre.
Il fait 42°C. J'arrive chez David, on papote, je prends une méga-douche, on va se baigner dans le lac du Bourget, petit resto de burgers. Woooooh. Mon ventre comprend pas ce qui se passe, il est genre : « Euh? Sérieusement là ? Une semaine de diet, 4000m de dénivelé, de la soupe tous les soirs, et là tu me files UN BURGER GENRE ? UN BURGER ???? AVEC DES FRITES ?!? MER EL ET FOL ». Oui mon ventre a un langage d’ado des années 2000.
Total de la journée : 13 km / D+ 30 / D- 1300 | | À: Triztana · 22 août 2020 à 18:55 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 9 de 17 · 923 affichages · Partager 3 août 2020 / Conclusion
Après un week-end avec mon pote David à Chambéry et une nuit en bus où j'ai caillé ma race, arrivée à Paris à 6h20, gare routière de Bercy. J’aime pas cette gare. Elle me rappelle de très bons souvenirs de voyages ou week-end avec Camille, mais qu’est-ce que c’est dégueulasse. Vite, faut que je sorte d’ici. J’ai salement dormi, mais j’ai dormi.
9 jours plus tard, heure pour heure, me revoici dans les transports parisiens. Je rentre chez moi, je m’active : rangement, ménage, courses... Je dormirai ce soir.
Nous sommes actuellement mi-août quand je finis d’écrire ce carnet dans ma Normandie natale. Comme prévu, le retour a été difficile. J’ai ramené des pierres en forme (toute relative) de coeur et je suis allée les déposer sur la tombe de ma minette.
C’est très étrange ici, de ne pas la voir gambader dans le jardin, d’avoir des réflexes que ni mes yeux ni mon intellect n’arrivent à effacer : se lever le matin, la chercher du regard. Faire attention à fermer les portes du garage pour qu’elle n’aille pas sur la route. Ouvrir le frigo et s’imaginer qu’elle attend sa pâté, assise au bord du buffet, se léchant les babines, oreilles tendues et yeux écarquillés. Sortir dans le jardin et penser spontanément « Il est où mon bébé ? »
Puis se souvenir.
Revoir ma Normandie et mes parents était impératif avant de reprendre le boulot fin août. Il faudra maintenant que le corps et le coeur s’habituent, jour après jour, mois après mois. Mais la plaie ne sera jamais complètement refermée, comme pour tous les deuils, que j’ai beaucoup de mal à gérer émotionnellement.
Ce périple n’a pas été le meilleur, le plus apaisant, le plus joyeux, c’est certain. Il a été pour le moins très spécial à vivre. La Chartreuse est un beau massif, pas très haut, que je pensais bien plus facile que les Alpes. Mais finalement, la chaleur écrasante et l’important dénivelé que je ne soupçonnais pas ont rendu la marche plus fastidieuse que d’ordinaire, la mort de Xéna mise à part. (Total 76 km pour 4230m de dénivelé montant ! Qui l’eut cru !) Et bien sûr, il y a eu des soirées difficiles, face à moi-même et au vide. Je suis heureuse d’avoir fini mon itinéraire malgré mes envies de tout lâcher. Je ne dirais pas que ça a été thérapeutique ou cathartique, car la solitude n’était pas aussi savoureuse que d’ordinaire, et je cherchais beaucoup le contact avec mes proches. Cependant, la marche dans un espace naturel permet aussi de faire le vide : ne pas penser. C’était mon but au départ, comme à tous les treks, surtout en solitaire : être déconnectée, lâcher prise, se sentir vivre, se sentir libre. Ce but a décuplé quand mon père m’a appelé le 27 juillet : ne plus penser. Les jours passant m’ont permis de m’habituer, lentement, à cette sensation de trou béant. Image attachée: | | À: Triztana · 24 août 2020 à 20:55 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 10 de 17 · 885 affichages · Partager Bonjour,
félicitations pour votre récit.
Je me suis laissé entraîner dans votre aventure et ai lu votre carnet d'un bout à l'autre. Si le vocabulaire que vous utilisez n'est pas toujours celui que je préfère, votre manière de raconter a créé une sorte de suspense, me donnant envie de savoir comment cette randonnée allait se poursuivre et se terminer.
Il est vrai, que le lieu était propice à attirer mon attention (je n'aurais probablement même pas entamé la lecture d'une randonnée se situant dans la plaine de Beauce).
Concernant la terrible épreuve qui vous a accablée, je me permets de faire une remarque sur vos propos
...l'humain est capable de choses merveilleuses. Mais, désolée, même si c'est très personnel, à mes yeux, toutes les belles valeurs et belles actions qu'il produit ne combleront jamais le mal qu'il fait de manière totalement délibérée, et qu'il a fait de tout temps, à lui-même et aux autres espèces, animales et végétales...Et vous pourrez me blâmer d'insulter la terre entière, mais croyez-moi, je suis bien triste et bien consciente d'en faire partie...
Dans votre réaction, vous traitez l'humain, comme unique. Or c'est justement là que le bât blesse. - certains humains sont capables de choses merveilleuses, - certains humains sont capables des plus grandes horreurs et bassesses. Mais ce sont rarement les mêmes.
PS : par curiosité, qu'est-ce que la Tour de Biz ? | | À: Tcvoyageur · 24 août 2020 à 23:01 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 11 de 17 · 877 affichages · Partager Merci pour votre retour.
Effectivement j'écris mon carnet un peu comme je parle, je ne fais pas vraiment dans la poésie et j'essaye de refléter au maximum l'état d'esprit du moment, alors, quand la colère est là, il se peut que le langage soit familier voire vulgaire, parce qu'à ce moment, ce sont ces types de langage qui parlent.
Concernant l'humain, oui, je suis un peu misanthrope sur les bords... Je suis d'accord avec vous, mais j'évite de catégoriser les gens de manière manichéenne car même si certains sont capables du meilleur et d'autres du pire, il existe aussi majoritairement (selon moi) de bonnes personnes qui font du mal, et des personnes mauvaises qui font du bien. Je pense que personne n'est foncièrement merveilleux et personne n'est foncièrement ignoble. C'est surtout le système engendré par humain qui m'agace et que j'incrimine, plus que l'individu.
PS : Biz est utilisé pour buisness. C'est une citation de "La fin de leur monde" de IAM, à écouter une fois dans sa vie ;-) | | À: Triztana · 25 août 2020 à 9:26 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 12 de 17 · 870 affichages · Partager Bonjour Triztana j'ai lu la moitié de ton récit, je vais continuer. Pour le moins il sort de l'habituel, cri de colère, tristesse de la perte d'un splendide chat, bavante sous le soleil.
Oui la Chartreuse, le coin est splendide je m'y suis beaucoup baladé à pied, l'ai traversé plusieurs fois à vélo et puis aussi l'escalade de ses parois parfois divertissante comme Chamechaude, parfois impressionnante et splendide comme le Rocher du Midi, parfois redoutable et très dangereuse comme la dent de Crolles et ses 450 mètres de verticale au rocher pas très bon, parfois on a l'impression d'être plus sur de la terre que du rocher, désagréable, là j'y ai laissé une amie tombée au milieu de cette face, un piton avait lâché, et chaque fois que je passe en Chartreuse j'y pense.
En tout cas bravo j'aime bien ton style, ta morgue, tes bouffées d'invectives contre l'humanité, et aussi ta manière de voyager à pied à l'arrache. Je poursuis. Luc | | À: Lucbertrand · 25 août 2020 à 17:33 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 13 de 17 · 847 affichages · Partager Merci beaucoup pour ton retour, c'est gentil.
Je suis désolée pour ton amie... La montagne est à la fois une merveille et un danger redoutable et malheureusement incontrôlable. | | À: Triztana · 26 août 2020 à 18:14 · Modifié le 26 août 2020 à 19:02 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 14 de 17 · 825 affichages · Partager Bonjour Triztana je viens de finir ton récit, j'ai beaucoup aimé ton écriture au vocabulaire pas toujours très orthodoxe, après tout la conformité aux us et coutumes de l'écriture bien codifiée ça peut être "chiant". Cette liberté de ton fait le charme de ton style et révèle une belle personnalité.
Ton texte, sans doute sur VF certains pourraient le trouver long, surtout sans photo, mais quand on écrit on écrit et, c'est très bien ainsi. Pour ma part j'aurais bien lu quelques chapitres supplémentaires dévoilant d'autres tribulations, où souffrance plaisir et interrogations se mêlent.
Certes, tu as eu chaud le soir du bivouac au sommet avec l'orage qui a rôdé pas trop loin et qui a eu le bon goût finalement d'épargner ton lieu de bivouac particulièrement exposé. Les éclairs qui frappent à côté d'une tente, dans un bruit puissant de papier froissé ou dans un claquement sec et une luminosité fugace, ça laisse des souvenirs bouillants!!!
Pourquoi outre ton style et de tristes circonstances, révélant tes émotions, qui t'ont plongée dans le deuil j'ai beaucoup aimé ton texte? Parce que tu improvises en permanence et pour moi le voyage et l'aventure c'est cela, faire les choses un peu, parfois beaucoup, au pif et, ne pas hésiter à changer de cap en fonction du ressenti du moment.
Mais au fait en en-tête de ton récit tu écris Trek solo N°6. Ce serait super sympa si tu prenais le temps de nous narrer les 5 premiers.
Un grand merci Triztana pour cette belle lecture et que cela montre à ceux qui se languissent de repartir de l'autre côté de la planète, que la France offre de remarquables échappées où l'on se sent vivre et vibrer dans une nature grandiose.
Donc en conclusion, j'invite vraiment à lire ce beau texte original, certes un peu teinté de tristesse, mais la morale est sauve, la vie continue et l'adversité est terrassée, même si elle laisse forcément des séquelles, c'est le fruit de l'expérience de la vie. Luc | | À: Lucbertrand · 27 août 2020 à 11:32 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 15 de 17 · 784 affichages · Partager Bonjour Luc,
Merci encore pour ton retour !
Je tâcherai de poster les autres treks sur le forum, mais il est vrai que c'est un peu laborieux pour moi car effectivement ils sont longs, et en plus j'ai déjà tout écrit sur mon blog (en signature) Donc si les autres treks t'intéressent, en attendant que je les poste ici, tu peux aller jeter un oeil si tu veux!
Merci, à bientôt ! | | À: Triztana · 27 août 2020 à 20:04 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 16 de 17 · 763 affichages · Partager En ce qui me concerne, non seulement j'étais déjà allé voir, il y a quelques jours, d'autres récits sur votre blog, mais j'avais également constaté que la version de ce carnet est tronquée sur VF (par rapport à la version - que je pense originale - sur votre blog).
En fait, il s'agissait d'un trailer, c'est ça ? | | À: Tcvoyageur · 28 août 2020 à 12:32 Re: Traversée de la Chartreuse en solo Message 17 de 17 · 746 affichages · Partager Bonjour, Oui j'ai retiré les derniers jours à Chambéry, la partie trek me paraissait plus intéressante sur le forum, sachant que j'ai déjà écrit beaucoup | Carnets similaires sur Rhône-Alpes: Heure du site: 12:32 (21/09/2024) Tous les droits réservés © 2024 MyAtlas Group | 936 visiteurs en ligne depuis une heure! |