Nous voilà de retour...du
Panama ! En effet, à la dernière minute, juste avant les vacances, nous avons déniché des billets d’avion très bon marché pour
San José (capitale du
Costa Rica) d’où nous avons pris l’autobus pour le
Panama : six heures de route avant d’arriver à Paso Canoas, ville frontière entre les deux pays. De là, nous avons rejoint la capitale,
Panama, une ville pleine de contrastes entre la richesse et la pauvreté, la modernité el la vétusté : gratte-ciels ultramodernes voisinant avec des masures délabrées autobus dernière génération, avec carte à puce, faisant concurrence aux « diables rouges », vieux coucous bariolés et ruisselant de lumières électriques hôtels de luxe au pied desquels vivent et dorment d’innombrables mendiants et clochards de tout poil. Le contraste est saisissant ! Même chose en ce qui concerne la population: noirs, blancs, indiens, européens, américains, tout est mélangé... La ville moderne est, comme
New York, faite pour les voitures : je devais envoyer un paquet recommandé au
Mexique, et il nous a fallu déambuler plusieurs heures durant entre les gratte-ciels, avant de trouver les bureaux de la compagnie DHL. La vieille ville, par contre, a plus de cachet, même si c’est le charme des ruines : les gens habitent dans de véritables taudis, il y a des fauteuils sur les trottoirs, les pédicures exercent en pleine rue... on se serait cru à
Dehli. Nous avons mangé dans ce qui ressemblait à un restaurant, et à peine avions-nous fini de nous alimenter qu’un mendiant est entré et, sous nos yeux ébahis, a dérobé nos carcasses de poulet qu’il a soigneusement emballées dans un sac en plastique... sans proférer un seul mot ! Étranges coutumes... Ce monsieur agissait-il sous l’emprise de la faim... la sienne ou celle de ses chiens ? À moins qu’il ne se consacre à l’élevage des vautours, qui abondent sur les toits de la capitale...
Puis nous avons dirigé nos pas vers le vieux port, où nous avons découvert le monument à la mémoire des Français ayant participé à la construction (frustrée) du
canal de Panama. Sur les murs, des panneaux très didactiques retracent l’histoire du canal : fort instructif ! Il y avait là, évidemment, le buste de Ferdinand de Lesseps, mais aussi des différents ingénieurs ayant participé à l’expédition : entre autres celui de Léon Boyer, à qui la
France doit l’initiative de la construction du viaduc de Garabit plus celui de Finlay, médecin cubain qui a découvert que la malaria et la fièvre jaune était transmises par un moustique... ce que l’on ignorait à l’époque ! À la suite de cette découverte les Américains purent reprendre le relais des opérations, avec plus de chance et moins de morts.
Le lendemain nous sommes allés visiter le canal, que nous imaginions plus impressionnant malgré tout, nous avons vu quelques grands cargos franchir la dernière écluse (celle de Miraflores) avant de parvenir au Pacifique. Puis nous sommes allés à Colón, de l’autre côté de l’isthme, sur l’Atlantique : ville infâme, puante de pauvreté, où s’arrêtent tous les navires pour décharger leurs cargaisons : il y a là une immense zone franche où l’on peut acquérir à vil prix des marchandises provenant de tous les pays du monde. On nous a déconseillé d’y aller à pied, pour des raisons de sécurité nous avons donc emprunté un taxi et avons vite compris pourquoi les promenades n’étaient guère recommandables à travers ces rues malsaines.
Puis départ vers le
Darien ! Le
Darien est la plus grande province du
Panama, celle qui jouxte la
Colombie. Là, les militaires étaient au rendez-vous : contrôle, contrôle, et re-contrôle, jusqu’au moment où ils nous ont carrément barré le chemin : interdit d’aller plus loin ! Après force négociations, nous sommes quand même parvenus à obtenir un sauf-conduit nous permettant d’aller jusqu’à La Palma, « capitale » de la région... « capitale » entre guillemets, car La Palma n’a rien d’une capitale : maisons sur pilotis au bord de la mer, une seule rue, pratiquement pas voitures, mais quand même l’électricité. Le matin nous avons été réveillés par les vautours qui sautillaient sur le toit de l’hôtel. Je vous fais grâce de la description du commissariat pouilleux où nous nous sommes ensuite rendus afin d’obtenir l’autorisation de continuer notre route, sous les regards curieux des prisonniers qui nous épiaient par-dessus la porte de leur cellule. «
Pueden ir hasta Mogue, pero no más lejos »
[1], nous a averti le commissaire/lieutenant (au
Panama, il n’y a pas de police à proprement parler, ce sont les militaires qui remplissent les fonctions de la police). Et nous voilà en route pour Mogué, village indien au beau milieu de la forêt vierge... deux heures et demie de pirogue (quand même à moteur), d’abord sur la mer en longeant la côte, puis en remontant une rivière à crocos... des paysages à couper le souffle... pas âme qui vive tout à l’entour... cette fois on se serait cru en pleine
Amazonie. Puis quelques palmiers au bord de la rivière : le village était proche. Après avoir mis pied à terre, nous avons marché une dizaine de minutes sur un petit sentier au milieu de la forêt. Nous étions seuls, absolument seuls. Tout à coup, une croix, puis quelques tombes : bienvenue à Mogué ! Le village, établi dans une clairière, se compose de 86 cases qui ne sont reliées par aucune rue, aucune place. Pas d’électricité, seules quelques cases sont équipées de cellules photovoltaïques pour avoir un peu de lumière la nuit, afin d’effrayer les fauves qui s’aventureraient par là. Un village africain, vous dis-je ! Nous fûmes présentés au grand chef de la tribu, qui nous souhaita la bienvenue : « Hugh ! Que le grand sachem vous protège, nobles voyageurs ! D’où venez-vous comme cela? »
– « Du
Mexique, grand chef embera », tentai-je de lui faire comprendre.
Mais le grand chef n’avait visiblement aucune notion de géographie : à quoi bon d’ailleurs, puisque le
Mexique se trouvait bien au-delà de ses territoires de chasse ? Il nous apprit que les rares touristes qui s’aventuraient dans le village devaient payer un droit d’entrée de 10 dollars par personne, et que si nous voulions profiter des commodités de l’hôtel local il nous faudrait débourser 10 dollars supplémentaire par tête de pipe, le petit Franck en étant exonéré vu son jeune âge (six ans). « Merci, grand chef, vous êtes trop bon... Et à propos, où se trouve l’hôtel ? », hasardai-je.
– « Eh bien, ici même », me répondit-il en me montrant les planches de la hutte où nous nous trouvions. « Je vais me charger de faire venir une cuisinière, qui va vous préparer un petit en-cas avant que vous vous endormiez ». Quelques minutes plus tard, à la lueur d’une lampe à pétrole, nous dévorions à belles dents un délicieux gigot de chevreuil : la chasse avait été bonne ce jour-là !
Puis une indienne embera proposa de nous faire quelques peintures corporelles et faciales, moyennant une poignée de dollars. Jeannette s’empressa d’accepter. Toutes les femmes du village l’entourèrent l’une d’entre elle, sans doute la plus expérimentée, se munit d’un petit bâton qu’elle plongea dans un liquide noirâtre et se mit à lui badigeonner les épaules, puis le buste, enfin les bras : « Pour que la chasse soit bonne », assura-elle, « et aussi pour attirer les hommes ». Franck voulut à son tour se faire tatouer à la mode embera : sous les regards de la tribu, il se prêta fort complaisamment à l’opération, qui semblait le fasciner. Il faut dire qu’il en ressortit le menton agrémenté d’un ensemble de dessins géométriques du plus bel effet !
Je ne pus fermer l’œil de la nuit, non tant à cause de l’incommodité des lieux, qu’en raison de la forte émotion que provoquait en moi notre présence en ce village embera, perdu au milieu de la forêt.
[1] « Vous pouvez aller jusqu’à Mogué, mais pas plus loin » [Note du traducteur].
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