Ci-dessous, un article très intéressant paru sur le sujet dans le journal gratuit Immorama.
Il y a en fait 2 articles, l'un paru dans la version papier du journal et l'autre dans sa version internet.
Article paru dans le journal édition sur internet :
www.immorama.ch/...lus/le-metro-de-lart
Le Métro de l’Art
Par Massimo Vicinanza
A
Naples, la création est à l’honneur dans le métro avec à chaque arrêt l’installation d’œuvres d’art contemporain qui surprennent et séduisent. Des œuvres d’art, qui resteraient le privilège de quelques-uns, se livrent ici à tous. Avec leur puissante expression de formes et de couleurs, elles offrent aux gens qui travaillent et s’essoufflent dans cette ville turbulente et chaotique un temps d’admiration et de réflexion en illuminant durant quelques instants le lugubre trajet suburbain.
Naples, un million d’habitants, s’étend sur une surface d’environ 117 km2. Plus de 4 millions de personnes vivent dans un rayon de 30 km autour de la ville, presque les deux tiers de la population
suisse. Il y a des zones où la densité urbaine est de 17 000 habitants au kilomètre carré, parmi la plus élevée au monde.
Une partie de la ville est un dédale de ruelles bordées d’anciens palais souvent mal conservés, tandis que le centre historique abrite un immense patrimoine archéologique. Grâce à ses chefs-d’œuvre historiques et à l’architecture ancienne, le centre-ville a été inscrit, en 1995, sur la liste du patrimoine de l’Unesco.
Naples, hélas, conserve encore les marques d’une politique industrielle désastreuse datant des années 1950 et d’un long abandon administratif qui ont laissé en héritage une ville dégradée, criante d’inégalités sociales, en plus d’un trafic chaotique devenu désormais légendaire.
Pour relancer son économie et pour lui rendre sa vocation de ville d’art, les responsables ont mis en place dans les années 1990 des politiques de réaménagement urbain visant à rénover les bâtiments anciens et la réhabilitation des places publiques. Ces dernières ainsi que les rues ont repris leur rôle originel d’agrégation sociale, la communauté a regagné des endroits laissés à l’incurie ou interdits, comme le centre historique ou la zone portuaire, et grâce à la création de nouveaux musées et de centres internationaux de culture, les intellectuels ont repris espoir.
Après la réappropriation des lieux abandonnés, la transformation de plusieurs quartiers en zones piétonnes, le réaménagement de places et la création d’espaces verts, la ville commence à s’aligner sur les autres capitales européennes.
Le Plan des 100 Stations
Pour relever le défi de refaire de
Naples le « Jardin d’Europe » qui séduisit les étrangers du Grand Tour du XVIIIe siècle, les responsables politiques ont porté leur attention sur trois aspects stratégiques : la réorganisation du territoire, la mise en valeur du patrimoine artistique et culturel et l’aménagement d’un nouveau et innovant système de transports urbains.
Un « Plan des 100 Stations » a ainsi été conçu selon les théories modernes de la « durabilité » proposées par le Transit Oriented Development (TOD), celui-ci respecte les fondements de « cohésion territoriale » afin que tous les citoyens aient les mêmes conditions d’accessibilité aux services publics.
Les difficultés d’exécution des travaux sont liées à la complexité du contexte urbain :
Naples est une ville tout en collines avec une dénivellation d’environ 260 m tout en étant proche de la mer les creusements sont à ciel ouvert et dans les sous-sols, souvent sous la nappe phréatique, et presque toujours à proximité de bâtiments et d’ouvrages préexistants enfin, la constante découverte d’importants sites archéologiques pendant les opérations de creusement ont ralenti ou arrêté les chantiers pour des périodes plus ou moins longues.
Le réseau ferroviaire
En
Italie, l’ère du transport ferroviaire commence le 3 octobre 1839 alors que le roi Ferdinand II de Bourbon inaugure le premier chemin de fer de la Péninsule, la ligne
Naples – Portici longue de 7,6 km. Près de deux siècles plus tard,
Naples et son réseau ferroviaire font de nouveau parler d’eux.
L’aventure napolitaine suscite un intérêt croissant autant auprès des médias que du monde académique, car la requalification urbaine des quartiers s’obtient en parfaite synergie entre art et architecture.
A la fin des travaux, prévue cette année, le nouveau réseau de métro sera constitué de 123 km de chemin de fer urbain, avec 10 lignes et un total de 114 stations et 21 nœuds intermodaux, 1 300 courses et 700 000 voyageurs par jour.
Les Stations de l’Art
Bien que le projet du métro de
Naples soit d’une énorme complexité au niveau de l’ingénierie, on a dit que l’approche générale est surtout de type architectural et artistique. Chaque station a ses caractéristiques propres qui fusionnent avec le quartier qui les abrite, et les professionnels chargés de leur réalisation sont des acteurs de l’architecture mondiale tels que : Peter Eisenman, Massimiliano Fuksas, Zaha Hadid, Mario Botta, Richard Rogers, Alvaro Siza Vieira, Karim Rashid.
Tant les stations que le réaménagement urbanistique de la surface ont été réalisés à l’aide de techniques et de matériaux modernes mais dans un respect total du tissu historique des lieux. Les gares ont représenté une occasion de qualification urbaine, tandis que l’éclectisme des architectes et des artistes qui les ont décorées donne une âme au projet.
Onze arrêts situés le long des Lignes 1 et 6 sont appelés « Stations de l’Art » et matérialisent le concept moderne de transport ferroviaire : l’architecte s’associe avec un artiste contemporain et chaque station est une œuvre d’art qui abrite d’autres œuvres d’art. Une rupture culturelle qui transforme les lieux, ou mieux les non-lieux, traditionnellement affectés à l’attente ou au transit, en un véritable musée hypogé dynamique.
A ce propos, le critique d’art Achille Bonito
Oliva écrit : « Les œuvres d’art dans le métro de
Naples sont modernes et en même temps anciennes, car les artistes adoptent l’itinéraire structural d’un parcours utilisé dans deux dimensions, une du transit et une de l’arrêt. Pendant le transit, le spectateur utilise la fugacité, le temps nécessaire pour se déplacer d’un point à l’autre du parcours. Durant l’attente, il ressent le plaisir esthétique de la rencontre avec l’art et la surprise pour le regard. Les deux dimensions créent un vrai musée obligatoire : obligation d’un regard collectif sur les œuvres d’art et plaisir d’une démocratie étendue du goût collectif. »
Le TOD, qu’est-ce que c’est ?
Le Transit Oriented Development est un modèle d’expansion territoriale théorisé par Peter Calthorpe, un des fondateurs du mouvement architectural New Urbanism. Le TOD vise à planifier un développement urbain intégré avec les infrastructures des réseaux de transports publics, afin de garantir que chaque quartier ait une liaison favorable avec la ville, en évitant ainsi la création de zones suburbaines, de banlieues isolées ou de quartiers satellites destinés inévitablement à une rapide dégradation urbaine et sociale.
Selon l’idée directrice du TOD, chaque quartier ayant une densité d’habitation moyenne doit avoir une station ou une gare de transports publics, de préférence sur rail, dans un rayon de 600 m de marche, et le plan urbanistique doit être projeté de façon à favoriser et à faciliter l’usage des transports collectifs.
Cette nouvelle approche propose des fondements pour un développement durable du système territorial et, surtout, vise à codifier la transformation des quartiers existants avec l’amélioration urbaine des lieux et des stations afin de favoriser le développement d’une haute qualité de vie.
Restauration
Chaque arrêt des « Stations de l’Art » est un musée hypogé qui abrite les œuvres de célèbres artistes contemporains qui, en réalisant leurs créations, se sont harmonieusement fondus avec l’architecture des lieux.
Parmi les artistes qui exposent dans un endroit si insolite il y a Gabriele Basilico, Marisa Albanese, Renato Barisani, Betty Bee, Maurizio Cannavacciuolo, Luca (Luigi Castellano), Sandro Chia, Alex Mocika, Enzo Cucchi, Jannis Kounellis, Giuseppe Zevola, Riccardo Dalisi, Lucio Del Pezzo, Gerhard Merz, Santolo De Luca, Fabio Donato, Baldo Diodato, Katharina Sieverding, Sergio Fermariello, Massimo Jodice, Nino Longobardi, Mario Merz, Antonio Biasiucci, Umberto Manzo, Ugo Marano, Fulvia Mendini, Raffaella Nappo, Mario Sironi, Vittorio Magnago Lampugnani, Joseph Kosuth, Olivo Barbieri, Sol LeWitt, Luigi Ontani, David Tremlett, Mimmo Paladino, Gloria Pastore, Augusto Perez, Perino & Vele, Gianni Pisani, Mimmo Rotella, Salvatore Paladino, Anna Sargenti, Ernesto Tatafiore, Alan Fletcher, Ousmane Ndiaye Dago.
Pour défendre ce patrimoine artistique contre une détérioration causée par le difficile microclimat du sous-sol, en 2006 la société de gestion Metronapoli a signé une convention avec l’Académie des beaux-arts de
Naples. Le projet, d’un coût annuel de 200 000 euros, prévoit la catalogation informatique, la création d’une base de données consultable online et la restauration des œuvres d’art exposées dans les « Stations de l’Art ».
Le catalogage a été réalisé en utilisant un modèle de fichier conforme aux standards de l’International Network for the Conservation of Contemporary Art qui recueille des informations sur les matériaux et les techniques utilisés et sur l’état de conservation. Le délicat travail de restauration des œuvres d’art est confié aux élèves de l’Académie, guidés par leurs professeurs.
Article paru dans le journal édition papier :
Imaginées par des architectes de renommée internationale et confiées à des pointures de l'art contemporain, les Stazioni dell'Arte proposent une expérience unique aux usagers du métro napolitain.
Visiter un gigantesque musée d'art contemporain ouvert tous les jours de 6 h à 23 h, déambuler au milieu de 200 oeuvres produites par des artistes du monde entier... Le tout pour un euro, transport compris ! L'offre est tentante, n'est-ce pas ? Seule condition pour profiter de ce programme alléchant : se rendre à
Naples et acheter un ticket de métro. Un fois le sésame en main, il suffit de se diriger vers les entrailles de la ville et emprunter, au choix, les lignes 1 ou 6 du réseau.
A la sortie des escalators, avant de pénétrer sur les quais, certains usagers se font « piéger » par l'ingénieux trompe-l'oeil imaginé par Michelangelo Pistoletto. Ce maître de l'Arte Povera a détourné sur de vastes miroirs les photographies grandeur nature de passagers en train de se reposer ou de discuter. Ces silhouettes immobiles se mêlent aux reflets des voyageurs qui arpentent les couloirs du métro. Intrigués par ce spectacle, certains marquent une pause, d'autres passent leur chemin. Mais qu'ils le veuillent ou non, tous les usagers sont confrontés à cette expérience artistique.
Une exposition pour le prix d'un ticket de métro.
C'est exactement le but recherché par Achille Bonito
Oliva, le coordinateur artistique des Stazioni dell'Arte. Pour lui, ce « musée obligatoire » force les gens « à observer les oeuvres pendant leurs déplacements et une familiarité se crée ainsi progressivement avec l'art contemporain, souvent considéré avec méfiance au début. »
Un patrimoine précieux.
En tout, près de 200 oeuvres d'art ont été installées dans une quinzaine de stations. Leur entretien est confié à l'Azienda Napoletana Mobilità (ANM), la société qui gère l'exploitation du réseau. Pour prendre soin de ce précieux patrimoine, l'ANM a noué un partenariat avec l'Académie des beaux-arts de
Naples. « Des bourses sont accordées chaque année à des étudiants. Sous la tutelle de leurs professeur, il nettoient ou restaurent certaines oeuvres », confie Maria Gilda Donadio, la responsable de presse de l'ANM.
Le travail ne manque pas. Dans ce milieu confiné, la poussière s'accumule rapidement. La forte fréquentation accélère également la dégradation de certaines installations. « Les actes de vandalisme sont par contre très rares », tranche Achile Bonito
Oliva. « Ces oeuvres d'art sont devenues une source de fierté pour les Napolitains », poursuit-il.
Les nombreux retards accumulés ces dernières années viennent néanmoins tempérer ce succès populaire. Les habitants doivent s'armer de patience, car le réseau n'est pas encore achevé. Le projet de la station Municipio, confié à l'architecte portugais Alvaro Siza, a ainsi été modifié une trentaine de fois en raison des fouilles archéologiques ! Elles ont mis au jour le port antique de Neapolis et des vestiges d'époque médiévale. Ce patrimoine, une fois restauré, sera entièrement intégré au décor. La première partie de la station déjà accessible au public, tient ses promesses. La ligne brisée des escaliers, le style dépouillé choisi par Alvaro Siza, l'omniprésence du blanc et du noir mettent parfaitement en valeur l'héritage historique de la cité parthénopéenne.
La plus belle station d'Europe.
Le relief vallonné de la ville apporte également son lot de contraintes. Une partie de la station
Toledo, située près des quartiers espagnols, se trouve ainsi sous le niveau de la nappe phréatique. Pendant le construction, de l'azote liquide a dû être injecté pour solidifier l'eau et creuser les galeries. Ce défi technologique a inspiré Oscar Tusquets Blanca. L'architecte catalan, concepteur de la station, a choisi de faire évoluer les voyageurs dans un monde aquatique, dominé par la couleur bleue, mais lorsqu'ils quittent cette partie « submergée », agrémentée notamment par un photomontage d'Oliviero Toscani, les usagers changent radicalement d'environnement. En empruntant les escalators qui mènent à la surface, ils franchissent la ligne qui désigne symboliquement le niveau de l'eau. Un jaune intense, rappelant la couleur de la terre et du tuf, envahit alors l'espace. Le contraste est saisissant. Cette indéniable réussite architecturale remporte d'ailleurs tous les suffrages. Pour CNN ou le Daily Telegraph,
Toledo est tout simplement la plus belle station d'Europe. Difficile d'imaginer meilleure carte de visite pour le métro napolitain !
Olivier Cougard