Les kilomètres défilent à grande vitesse, on ne voit pas le temps passer. On arrive à Kampong Chnang dans le village des potiers, chez une première famille. Une femme tamise l’argile qu’elle a été cherchée au pied des collines, l’humecte, la pétrit, la malaxe, la met en boule, la pose sur son tour. Et en quelques minutes, c’est toujours le même miracle à celui qui observe le potier travailler et qui a lui-même tenté l’expérience (j’ai déjà essayé de tourner un vague objet difforme au tour, et cela fini souvent dans l’état initial, un tas, une boule). Là, on voit la boule d’argile s’élever, s’amincir, s’arrondir, s’évaser, prendre forme, avec les mains fines de la femme qui maintiennent avec douceur et fermeté le vase qui naît.
Son visage reste concentré. Un geste rapide, et le nouveau venu rejoint les autres, absolument identiques, pour sécher de longues heures au soleil avant cuisson.
Pendant qu’elle travaille, la femme n’est nullement perturbée par ce qui se passe autour et par les enfants qui s’occupent tranquille. Il y a en a deux qui lisent dans leur hamac, une grande fille qui s’occupe d’un bébé, et deux autres gamines qui transportent de l’eau dans de grands seaux. On a presque l’impression d’être invisible. Personne ne semble gêné par notre présence, la vie semble s’écouler avec une grande douceur apparente.
On va ensuite chez la grande copine de Loran, une petite mamie de 80 ans. Dommage... elle est partie faire ses dévotions à la pagode. Mais le temps de regagner la voiture, elle arrive, toute courbée, toute frêle, visiblement heureuse de retrouver son ami. C’est étonnant de voir le lien qui existe entre cette femme Khmer et ce français qui pourrait être son petit fils : complicité, respect. Elle avait la tête rasée, comme beaucoup de femme de son âge au
Cambodge. Son visage était marqué par ce qui avait fait sa vie. Buriné, presque sculpté. Ses yeux étaient d’une vivacité extraordinaires et plein de malice. On voyait que ce n’était pas la peine de lui raconter n’importe quoi.
Elle est aussi potière, mais elle ne travaille pas au tour. Elle met sa masse de terre sur un billot en bois, et c’est elle qui tourne autour avec une sorte de palette en bois pour donner la forme qu’elle désire. Est-ce là l’origine de l’expression « tourner autour du pot » ?
Elle semblait contente d’avoir de la visite et sortit quelques chaises pour qu’on fasse la papote. Loran parlant Khmer, les relations étaient facilitées, et elle discuta avec maman comme le font classiquement deux mamies quand elles se retrouvent. La vie de tous les jours. Instant magique. On était là, devant sa maison en feuille de cocotier et sur pilotis, regardant les quelques fleurs qu’elle faisait pousser. Ici, en
France, c’est rien, de planter 3 fleurs au jardin. Chez elle, la motivation doit être un peu plus intense. L’eau ne coule pas au robinet. Il faut aller la chercher loin, et la saison sèche est longue quand on a 80 ans. Goût du beau, de l’esthétisme, de la nature ? il en résultait quelques branches vertes d’hibiscus avec une fleur en bouton, au milieu de la poussière.
Un colporteur passe pour lui vendre une machette. Longue discussion sur le prix.... On n’a pas compris toutes les finesses, mais quand le vendeur a vu que c’était Loran qui offrait la machette, tout d’un coup, le prix est monté. Finalement, le marché fut conclu, et les trois protagonistes semblaient contents.
A regret, il fallu partir. Si la bise avait été une coutume au
Cambodge, on l’aurait embrassée, cette petite mamie.