Syrie : quand Damas souffre de l'absence des touristes
Que n'a t on pas dit ou écrit sur la Syrie... Les journalistes ne peuvent pas y aller, quelques uns ont certes bravé l'interdit et franchi la frontière en fraude. Mais quels risques ! C'est un motif d'emprisonnement pour les confrères et consoeurs attrapés, voire pire...
J'ai donc tenté ma chance à la frontière terrestre via
Beyrouth en pleine fête musulmane d'achoura. Le long du grand corridor qui domine la ville libanaise de Maasna, peu d'agitation. Quelques militaires syriens sont postés un peu en hauteur de la route et grillent des cigarettes américaines en lorgnant de temps en temps sur les autos. Je n'avais pas demandé de visa au préalable. Un nom à consonance arabe et un passeport en règle m'ont bien servi. Aucune question ne m'a été posée, si ce n'est ma profession. Ayant peu de chance d'obtenir le sésame en déclinant mon métier de journaliste, j'ai glissé : "vendeur en matériel électrique". En dix minutes, les formalités ont été accomplies. Les traditionnels bouchons automobiles de la capitale m'accueillent dans un joyeux brouhaha de klaxons.
Arrivé devant le souk Al Amidiyeh, je suis étonné de ne plus voir le portrait géant de Bachard El Assad qui m'avait accueilli lors de mon second séjour dans le pays l'été 2006. Ormi l'absence de ce grand moustachu, peu de chose ont changé dans cette grande allée marchande menant vers la mosquée des Ommeyades. Les petits marchands de tabac, de bouteilles d'eau, de tickets de loterie encombrent toujours le milieu du chemin. Pourtant à bien y regarder, il manque quelque chose. Une vision familière. Celle des dizaines de touristes en train de chiner, qui un porte encens orné nacre, qui une réplique de poignard made in China. Dans la boutique Bagdash, les pilonneurs de crème glacée n'ont plus le moral. D'habitude les crépitements des flashs devant l'étal du glacier font écho au bruit sourd des ouvriers s'affairant sur leur crème battue. Depuis six mois, les touristes ont déserté le pays. Les bureaux de renseignements sont désormais fermés et une couche de poussière recouvre les guichets.
Nichée à deux pas de la mosquée des Ommeyades, la boutique de Mahmoud est vide, elle aussi. À plusieurs reprises, je m'étais arrêté boire le thé chez ce commerçant si affable et souriant. Malgré le plaisir de se retrouver, le cœur n'y est pas. "Tu sais, ça a bien changé depuis notre dernière rencontre... Avec la crise, les Grecs ne venaient plus, mais depuis six mois, le pays a été déserté par les touristes. C'est dur", regrette Mahmoud. Son chiffre d'affaire s'est effondré de près de 90 %. Il est inquiet pour la pérennité de son commerce qu'il tient depuis dix ans et ne sait pas comment il va pouvoir rembourser les 25.000 livres syriennes (350 euros) de son loyer. Même les quelques étrangers qui assistent aux cours de langue arabe donnés dans la ville quittent le pays depuis quelques jours. Les sanctions de la communauté internationale les touchent : plus moyen de retirer avec sa carte bleue, il faut partir. Mahmoud peut heureusement compter sur la solidarité familiale et le système de transfert d'argent Western Union. Son frère, installé en
Suède, lui a versé de quoi tenir deux mois supplémentaires.
Abbas, le propriétaire d'un cyber café du centre regrette le pourrissement de la situation. "je ferme dès la nuit tombée, car les clients du Maghreb qui constituait l'essentiel de ma clientèle est partie. Cela me coûte plus cher de rester ouvert et je ne rentabilise même pas le loyer", calcule-t-il. Quelle solution trouver ? " Je ne sais pas, confesse Mahmoud, la télé syrienne et Al Jazeera ont deux paroles différentes, la première montre que des terroristes ont été tués, la seconde filme des manifestations et des tirs, qui a raison ? Vu de Damas, je sens qu'il ne se passe rien de bon à Homs, mais je suis incapable de dire quoi"...
Le discours d'Abbas est plus tranché : " El Arabia, Al Jazeera,
France 24 et ABC montrent des images similaire et pas la télé d'Etat ! Qui croire ? Les quatre qui ont la même vision ou la télé syrienne ? Une chose est certaine, Bachard El Assad est responsable, car il aurait pu éviter ces morts en coopérant avec la Ligue arabe. Il s'entête..."
Le président baassiste vient d'accepter la présence d'observateurs de la Ligue, rapporte le quotidien libanais d'expression française l'Orient Le Jour. Tentative de gagner du temps ou volonté d'ouverture ?
En tout cas, aucun signe d'un pays soit disant proche de la guerre civile n'est visible dans la capitale. Damas est telle que je l'avais découverte en 2005 et 2006.