BALKANS 2008
Déjà depuis longtemps je nourrissais l'espoir de retourner en
Albanie, tout particulièrement pour rendre visite à des paysans albanais que j'avais connus au fond des montagnes du Tomor au centre du pays. Il s'agissait des parents de mon interprète à l'époque ou je travaillais dans cette région des Balkans.
Afin de joindre l'utile à l'agréable, tout en prenant le temps de revenir sur les lieux de ma vie passée, trois ans ce n'est pas rien dans la vie d'un homme, je décide de m'y rendre en véhicule. Le trajet permet de se préparer à l'immersion dans un monde différent du nôtre. L'avion par sa rapidité donne une impression d'intrusion voire de viol. On bascule brutalement d'une société à une autre. Le voyage plus lent, permet les transitions psychologiques qui préparent mieux au changement.
Le trajet prévu me conduira à travers de multiples pays de cette région si complexe qui est au cœur de nombreux problèmes européens passés, présents et sans doute futurs. Le voyage devra durer au minimum un mois le temps de traverser à l'aller l'
Italie, la
Croatie et tout particulièrement l'
Istrie, le Monténérgo côté
Kotor et l'
Albanie. Dans ce dernier pays j'ai l'intention d'y rester deux semaines, d'y rencontrer un certain nombre d'amis, d'aller dans les montagnes de Skrapar au centre et de gravir le point culminant le Korabit au nord. Ce sommet est sur la frontière avec la
Macédoine. Le retour afin de réactualiser mes connaissances balkaniques doit me conduire à travers la
Macédoine, le
Kosovo, le
Monténégro partie du nord, la
Bosnie, la
Croatie, la
Slovénie et l'
Italie région des grands lacs. Un mois pour un tel voyage en voiture c'est court, mais partir plus longtemps pose d'autres problèmes du côté de la famille.
Donc un matin de la fin du mois de Mai, départ de
Lyon avec Jean, que je laisserai à la frontière grecque. En effet, il a l'intention de continuer en vélo vers la
Turquie. C'est un grand habitué de ce type de voyage. L'année précédente, il a accompli le tour de l'Adriatique en deux mois et demi.
Premier jour, traversée de l'
Italie au-delà de Trieste, plus de mille kilomètres sur des autoroutes saturées, où des automobilistes très impatients ne respectent absolument pas les distances de sécurité. Il en découle une sensation d'insécurité totale et permanente. Ce premier jour de cauchemar terminé, les conditions de circulation seront moins stressantes, bien que le respect du code de la route ne soit pas un point fort dans la plupart des pays balkaniques. La chose à anticiper impérativement, c'est se ranger sur le bas côté lors de dépassements mal gérés en sens inverse. Une conduite lente toujours maîtrisée permet de résoudre sans trop de difficulté ce problème dont la mauvaise analyse conduit irrémédiablement au choc frontal.
Première nuit dans un camping au bord de l'Adriatique en
Croatie. Durant trois jours nous visiterons l'
Istrie. Jolie région au nombreux villages agréables en bordure d'une mer aux couleurs cristallines. Cependant ce premier week-end du mois de mai correspond à une période de vacances dans toute l'Europe, d'où une affluence non négligeable qui occasionne quelques bouchons. Cela donne une idée des conditions estivales. Cependant j'avais le souvenir d'être venu dix jours en
Croatie au mois d'août, il y a six ans, et n'avoir pas rencontré de problème de circulation. Le parc automobile du pays aurait-il fortement augmenté? Ce n'est pas impossible, car depuis les années 90 le pays a vécu des périodes terribles, au rythme des guerres contre la
Bosnie et la
Serbie, sans oublier les sanctions de la communauté internationale tant que le Président Tudman tenait les rênes du pouvoir. Son calvaire semble prendre fin avec son intégration à l'Union Européenne à court terme, la richesse individuelle s'en ressent très probablement. La troisième nuit sera particulièrement agréable, dans un camping pas encore ouvert. Nous serons les seuls campeurs au bord d'un lagon aux eaux immobiles, protégées par un chapelet de petites îles. J'irai même pêcher quelques poissons au réveil.
Nuit suivante, un minuscule camping toujours au bord de l'eau dans les
Bouches de Kotor, sublime. Du village de
Kotor nous avons emprunté la route Serpentine qui escalade la montagne sur plus de mille mètres, ce qui procure une vue d'ensemble extraordinaire sur le site des Bouches. Arrêt dans la capitale historique du
Monténégro, Cetinjé, visite intéressante du musée historique. Nous avons eu la chance de tomber sur une Monténégrine francophone qui nous a donné les explications nécessaires, car les descriptifs sont exclusivement en langue locale. Ensuite nous avons mis le cap sur l'
Albanie. Avant d'y entrer, la curiosité nous a poussés à visiter la grande zone lacustre, en bordure nord du
lac de Shkoder, mais qui se trouve toujours au
Monténégro. Le détour vaut vraiment la peine. La petite ville de
Rijeka au bord d'une rivière qui se jette dans le lac est charmante. Des hauteurs qui l'entourent, la vue sur les différents bras et plans d'eau, constellés de nénuphars peuplés de hordes de grenouilles coassantes et surmontés de petites collines émergeant un peu au hasard, donne une impression de baie d'Along (tout du moins l'idée que je m'en fais, n'y étant pas allé). Nuit prévue au bord du lac, mais des mouvements suspects après le dîner nous ont poussés à aller dormir à vue des douaniers à Hanit Hotit, avec concert d'aboiements de chiens toute la nuit.
Entrée en
Albanie sympathique, lorsque le douanier me demande mon métier, lui ayant répondu que j'avais été militaire, la taxe d'entrée a été ramenée à 1 euro au lieu des dix réglementaires. Un premier café à
Shkoder, en six ans la ville s'est très nettement améliorée. Ensuite direction
Tirana, la route ressemble à toutes les routes d'Europe, l'
Albanie perdrait presque son charme exotique. Un petit passage à Kruja, l'explosion de la construction modifie la physionomie de la ville. Un gros bâtiment en construction coupe définitivement une rue relativement importante.
Enfin la capitale, l'entrée est complètement bouleversée par rapport à ce que je connaissais six ans auparavant. D'immenses buildings sur plusieurs kilomètres prolongent les faubourgs. La plupart des rues sont bien asphaltées, la propreté de la ville est remarquable, le plan de circulation très rationnel et le trafic, tout en étant important, est fluide. Retrouvailles avec les amis, moments toujours chargés d'émotion. Une petite visite au musée national. Je constate que les visiteurs sont assez nombreux, alors que généralement j'étais seul. En effet deux groupes étrangers s'y trouvent, outre les Albanais, un de langue française, il s'agit de Monégasques qui font le tour de l'Adriatique en bus et un groupe de langue anglaise. Ce musée est très intéressant tout particulièrement pour son département lié à la période communiste. Les Albanais l'exposent sans aucune concession pour ce qu'ils appellent la dictature communiste.
Nous allons à
Berat en bus. La visite de cette ville est toujours un grand plaisir. A mon avis c'est la mieux conservée du pays. Ces façades en encorbellement qui se serrent au pied de la falaise, ont donné à la ville sa dénomination de cité des mille fenêtres. Le château qui domine est un lieu magique duquel la vue sur la fameuse montagne du Tomor est splendide. Le musée des icônes vaut le détour même si l'éclairage reste soumis aux aléas des pannes d'électricité. Un petit restaurant qui était précédemment dans une ancienne salle d'armes voûtée, actuellement dans un lieu agréable mains moins charmant, propose un menu de qualité et un vin rouge local le «Chobo» (ou quelque chose d'approchant) vraiment excellent et de plus par cher, heureusement que nous sommes venus en car!!!
Lors du retour, alors que nous attendons le départ du bus sur la place centrale, une Albanaise m'interpelle en français par mon nom. Il s'agit d'une personne avec laquelle je travaillais précédemment à
Tirana. Elle est maintenant mariée à un Français et vit à
Paris. Elle est avec son mari, venue rendre visite à sa famille qui habite au fond des montagnes de la région de Skrapar. Je la reverrai les jours suivants à
Tirana. Selon une coutume locale, je serai chargé de ramener en
France tout ce qu'elle ne peut pas prendre dans l'avion. Le dédommagement consistera en deux grosses bouteilles de raki, alcool blanc de raisin, la région produisant le meilleur d'
Albanie. Chacun distille le sien propre à partir des treilles qui ombragent les petites terrasses.
Le retour sera chaotique. Le bus décide de s'arrêter à l'entrée de Dürres. Il nous faut prendre les transports en communs de la ville pour trouver sur la place centrale un moyen de transport à destination de
Tirana. Dans un premier temps je refuse de payer, ayant déjà payé pour
Tirana. Après une discussion en albanais, je dis « et bien soit, je paye une deuxième fois ». La contrôleuse éclate de rire et me dit de garder mes sous. Tout n'est qu'une question de respect de l'autre et de contenance à préserver. Par contre le troisième bus, il faut payer, mais c'est un beau Mercedes avec air conditionné.
Le jour suivant départ en voiture pour Korça. Tout d'abord, nous empruntons la magnifique route qui franchit la montagne entre la capitale et
Elbasan. Que de souvenirs me reviennent en mémoire. Plus loin nous nous arrêtons au superbe village de
Lin au bord du
lac d'Ohrid. Petite montée sur la colline. La vue embrasse tout le lac, la ville d'
Ohrid est très visible. Puis plus loin un peu avant
Pogradec, il est l'heure de manger. Le somptueux hôtel restaurant San Naomi, nous propose son excellent Koran, grosse truite à chair rose pêchée en profondeur, le lac atteint les 300 mètres. Nous dégustons ce poisson à la chair exquise sur un grand ponton reposant sur pilotis. Les boules de mie jetées à l'eau attirent des myriades de petits, voire même assez gros, poissons, qui se bagarrent dans un véritable fourmillement afin de les manger. Ce lac je l'ai vu par tous les temps été comme hiver. L'impression est chaque fois différente et les variations de lumière sont très rapides. Il peut être plat comme un miroir et en avoir le reflet, il peut prendre des teintes sombres presque noires, agité de vagues. Souvent de grands oiseaux planent nonchalamment à quelques dizaines de mètres de sa surface. L'arrière-plan est constitué de montagnes dont l'altitude avoisine les deux mille mètres, et bien souvent elles sont couvertes de neige, ce qui est le cas aujourd'hui. Cela rajoute une touche sublime au panorama
Nous reprenons la route direction Korça. Un petit détour par Voshkopoje et ses églises orthodoxes s'impose. Presque toutes sont fermées. L'état de dégradation est très avancé. De magnifiques fresques extérieures sont constellées d'inscriptions, que cela est triste. Un ancien du village nous conte les méfaits de la dictature.
Le soir, nuit confortable au centre de Korça. La ville est bien éclairée et de nombreux jeunes déambulent. On est loin de l'ambiance que j'ai connue entre 1999 et 2002. Les voitures restent la nuit dans les rues, comme dans toutes les autres ville d'Europe. Je me souviens de la période où touts les véhicules s'entassaient derrière des grilles, dès que l'obscurité tombait, sous la protection d'un gardien.
Le lendemain, visite au cimetière militaire français, en effet 640 de nos concitoyens reposent en cette terre balkanique. Ils sont tombés au cours de combats entre 1916 et 1918. Parmi eux repose un parent de ma belle-sœur.
Puis le moment de la séparation approchant, nous prenons le chemin de la frontière grecque. Un peu avant le poste de douane, j'arrête la voiture. Jean sort son vélo et le monte. Il ajuste ses trois sacoches, met son casque fait un essai de fonctionnement et nous nous disons au revoir. Je le regarde partir dans la longue courbe qui le conduit au poste frontière de Kapshtice. La première partie de mon voyage prend fin. Je repars direction
Tirana. A quelques kilomètres je me fais arrêter par un policer car je n'ai pas mis mes feux. D'une main autoritaire il me les allume et me demande mon métier. Ma réponse «Ushtarak» (militaire) est un sésame. Il se contente de me répondre «Mirupafshi» (au revoir).
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