Alors que l'ami québecois était parti découvrir la faune et la flore russe en bonne compagnie, j'étais en train de me demander si j'allais vraiment pouvoir me reposer. Fermer les yeux sans avoir le sang continuellement en train de bouillir. Ce cœur qui bat toujours trop vite, qui me dit sans cesse que si je ne bouge pas, si je ne profite pas, je le regretterai.
Ni une ni deux, j'étais donc installé dans un bar avec un nom à consonance irlandaise, on ne se refait pas. Bon, j'avoue, la pancarte où il était annoté
come and try our real guiness, avait eu raison de moi.
Je passais bien une petite heure accoudé au bar, à savourer l'or noir irlandais et à apprécier la manière que prenait le temps à s’écouler dans les bars russes. C'est le serveur qui me tira de ma rêverie. Si je veux une autre bière ? Hum non. Je vais un peu marcher, profiter de cette sensation de liberté que seule la nuit arrive à me procurer. Quand les lumières de la ville s'embrasent, c'est un monde nouveau qui naît, un monde qui se fiche des observateurs tels que moi. Un monde à la fois très vide et bourré de merveilles à qui saura tendre l'oreille et ouvrir les yeux.
Je marchais depuis une petite heure et je me trouvais une réelle passion dans le voyeurisme ; j'adorais poser mon regard à l'intérieur des cafés russes. À cette heure avancée, on y trouvait toute sorte de personnes, toute sorte d'histoire aussi.
Le vieil homme, seul, un ventre proéminent et une gueule qui dit qu'il en bouffé. Une pinte de bière à la main et le regard baissé vers le sol.
La serveuse de nuit, arrangée dans un costume que l'on pourrait imaginer tout droit sorti d'un film américain des années 50.
Une jeune femme et un jeune homme en pleine séance de « je te vois et je suis fou de toi ».
Tel un papillon de nuit, j'étais comme attiré par les espaces chauds et lumineux et je me cognais durement contre toutes ces barrières que l'on s'est posées.
Pendant bien 2h, il m'était impossible de stopper ces jambes qui ne souhaitaient que déambuler. Et puis, aux sorties d'un croisement, je découvrais un espace qui ne m'était pas inconnu. Je me rappelais qu'il existait sur ce boulevard une tanière sympathique, un joli bar avec un comptoir des plus séduisant. Finalement, j'allais aller papillonner bien au chaud.
Un peu comme à
Saint-Pétersbourg de nombreux bars sont au sous-sol, impossible donc pour le visiteur de savoir où il va tomber, ça n'en est que plus excitant. C'était la particularité du lieu que je recherchais, le Jao Da, référence à un célèbre pilote chinois de la Seconde Guerre mondiale.
Alors que mes sens étaient aux aguets pour ne pas louper l'entrée, j'entendis la langue de Boby Lapointe (Molière c'est du passé, bande de vieux).
Ben vous êtes français ?
Réponse d'un des petits jeunes, qui étaient au nombre de trois.
Oui et non, moi je suis moitié-moitié et eux ils font leurs études ici. Le tout dans un accent très parisien. Très, « c'est comme ça et puis c'est tout », et puis « c'est comme ça, alors voilà, c'est comme ça ». Ponctué parfois par des « Tu vois ».
Le fils de russe blanc avait parlé, les deux autres m'avaient l'air de petits jeunes sympathiques.
Coïncidence, je me penchais pour regarder le nom du bar, Jao Da, ma destination.
Un Shoot de vodka m'attendait en bas par la même, merci les jeunes.
S'en est suivi une longue période où j'ai juste fermé ma gueule, j'étais dans l'analyse des personnages. Me font marrer ces jeunes, ça parle de filles en veux tu en voilà, de fêtes et des bonnes chimies qui vont avec, d'ailleurs z'avez le nez très rouge messieurs.
Aucun souvenir de comment nous en somme arrivé à parler du métro moscovite, mais le jeune russe blanc commençais à sérieusement m'intéresser avec son histoire de second métro.
Une ou plusieurs lignes seraient dissimulées sous le métro actuel. Des vestiges de l'Union soviétique et d'un Staline méfiant. Une sorte de voie de sortie que ce dernier se serait préparée en cas de pépin. Ou plus récemment, un réseau emprunté uniquement par les services secrets.
Mais, je me manque à tous mes devoirs, le métro moscovite, je me dois de vous le présenter : Jingle « Le métrooooo mMMMmossscoooovite pourrr les nuuuul »
Le métro de
Moscou est l'un des plus fréquentés au monde, en 2018 ce dernier fêtera ses 83 ans et ses plus de 145 milliards de personnes transporté. Ce dernier est considéré comme l'un des plus beaux du monde 44 de ses 200 stations font partie du patrimoine culturel russe. Et vous pouvez me croire, c'est mérité.
D'après le département des transports de
Moscou, le métro moscovite détiendrait le record du monde du respect des horaires, oui oui, le
Japon n'a qu'à bien se tenir. La ponctualité de la circulation serait de 99,99%.
Lors de la Seconde Guerre mondiale et notamment lorsque l'aviation allemande commença ses bombardements sur
Moscou, de nombreux commerces furent aménagés dans le métro. Il n'est d'ailleurs pas rare de trouver, encore à l'heure actuelle, de nombreuses petites échoppes entre deux stations, ou dans les nombreux passages souterrains qui peuplent cette ville. Tenu, bien entendu, par des babouchkas.
À l'exception de la ligne circulaire (qui soi-disant aurait été créée, car Staline aurait posé une tasse de café au bon endroit) le nom des stations est annoncé par des voix masculines lorsque la rame se dirige vers le centre et par des voix féminines lorsqu’elle s’en éloigne. Cela permet de donner des repères aux personnes malvoyantes qui utilisent le métro pour leurs déplacements. Ou des gros touristes qui galèrent encore avec leur cyrillique.
Voilà, ça c'est pour ce que l'on sait, pour ce qui est sûr. Revenons-en donc à ce jeune russe qui me parlait de souterrains cachés, ça me plaisait et je lui demandais s’il existait une entrée. On ne se refait pas, dès qu'il y a des idées à la con c'est pour bibi.
Ça me rappelle cette cathédrale presque entièrement détruite et « presque » entièrement emmurée que j'avais escaladée à Christchurch. La sensation que j'avais éprouvée en étant au sommet, avec comme compagnons de cordée les gargouilles et comme divertissement, l'incroyable vue que la ville avait à m'offrir.
Bref, il me stoppa rapidement dans mes rêveries et dans mes plans d'« invasion » du niveau caché.
Faut faire attention aux nazis qui vivent dans le métro ! Je vous laisse imaginer ma tête.
Des nazis ?Ben ouais ! Il resterait des nazis dans le métro de Moscou. Voyant que les deux autres étaient aussi sceptiques que moi (y’a de quoi non ?), je les laissais argumenter à ma place.
J'étais curieux de comprendre comment des nazis auraient survécu dans le métro moscovite pendant autant de temps.
Il nous conta donc l'histoire incroyable :
Des nazis zombies du métro de Moscou.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, près de 1 000 000 de prisonniers allemands furent utilisés pour la reconstruction de la sainte mère
Russie, si on casse, faut réparer.
Un grand nombre aurait été utilisé pour la construction du métro moscovite et fait incroyable pas loin de 10 000 d'entre eux ce seraient enfuis dans les ténèbres du métropolitain. 10 000 ce n’est pas rien. C'est une petite ville.
Comment 10 000 personnes auraient pu s'enfuir ?
Ben ils crevaient la dalle et il n’y avait pas beaucoup de soldats pour les surveiller ! Y'a eu une émeute.Tu ne trouves pas ça énorme toi 10 000 personnes ?
Mais non c'est possible, y'a eu des morts, beaucoup, et ils se sont enfuis dans les ténèbres, mec, c'est immense c'est une ville sous la ville, « tu vois ».Et comment auraient-ils survécu autant de temps ?
Mais c'est les égouts y'a pleins de merde, je veux dire, ils se sont adaptés. Ils ont muté.
J'écoutais cette discussion le sourire aux lèvres. J'avais presque envie de sortir mon calepin tellement je trouvais ça drôle. Ce genre de réplique mise bout à bout c'était presque du Beckett.
Je les laissais finir et je voyais que mes 2 camardes venaient de se résigner,
Ouais après tout pourquoi pas. Le russe les avait embobinés, sont fort tout de même. J'avais établi un plan pour détruire ces arguments j'étais chaud.
Est-ce que tu crois au martien ? Est-ce que tu penses que la base 51 existe ? À ce moment le gamin me coupe du genre ça à rien à voir blablabla, un futur politicien le bonhomme. Je lui demande de bien me laisser finir.
Les Américains auraient trouvé un vaisseau extraterrestre qui se serait abîmé sur leur territoire, quelques mois plus tard les Russes en descendent un, carrément.
La guerre froide, c'est une guerre remplie de mensonge, rempli de choses que l'on ne peut pas admettre, on invente, on montre les dents, on fait semblant.
Ce que je pense, c'est que les Russes on utilisé une main-d'oeuvre détestée de tous, qu'ils l'on surexploiter et qu'ils l'on décimer. Mais après les camps de concentration, avouer la mort de 10 000 prisonniers allemands pour cause de mauvais traitement aurait été difficile à assumer. Aux sorties de la guerre, on doit montrer patte blanche.
Je sens que j'ai embarqué les deux amis avec moi, j'ai contre balancé son avis et boom !!!
Ouais, mais dans les années 70, une centaine d'Allemands sont sortis, ils n'en pouvaient plus et ils ont dit qu'il existait une société sous terre.
Merde, je n’ai rien pour vérifier, je suis dans les cordes. C'est con comme argument.
Mais les Russes ne sont pas foutus d'envoyer des soldats ?Si, ils l'ont fait, mais les Allemands se tirent, ils ont des ouïes sur-développées.
C'est à ce moment-là que j'ai arrêté de converser. Je ne suis pas de taille face à des super nazis.
Qu'est-ce que vous en pensez vous ? Possible ou pas ? Vous pouvez tout comme moi essayer de chercher sur l'internet, perso je suis revenu bredouille.
Bon, l'histoire n'a rien d'exceptionnelle, néanmoins un détail m'a fait craquer. Ce moment où le russe blanc nous a avoué que, gamin, sa grand-mère aimait lui raconter qu'à la nuit tombée, les Allemands du métro sortaient de leur labyrinthe souterrain à la recherche de chair fraîche. Et que leur plat favori était les petits enfants russes qui aimaient rester un peu trop tard dehors.
Cette phrase je l'ai trouvé géniale. La légende des Allemands nazis du métro de
Moscou, raconté par une vieille babouchka. Nous, en
France, on a la dame blanche, eux, les Allemands nazis !! Ce pays n'a de cesse de me surprendre.
Alors que je suis en train d'écrire cette petite histoire, j'entends des Anglais converser avec des Norvégiennes et je me demande :
Pourquoi voyagent-ils, ceux qui se plaignent que les locaux ne parlent pas leurs langues ? Pourquoi voyagent-ils, ceux qui préfèrent manger dans un stupide fast food, usine à merde, plutôt qu'un repas traditionnel ?
Pourquoi restent-ils entre eux, à se foutre de ce qui les entourent, de ce qu'ils sont au final venus découvrir ?C'est au voyageur de faire l'effort et non pas à l'habitant du pays visiter d'arranger, de changer sa culture face au tout puissant touriste. Non. On simplifie tout. L'homme est si feignant, si peureux, un enfant trop gâté qui voudrait perdre ses repères, tout en étant dans un espace familier.
Touristes de toutes nationalités, s'il vous plait, laissez-nous voyager de la plus belle façon qui soit, en ne laissant aucune trace de notre passage, ou alors un sourire au coin des lèvres et de jolis souvenirs dans la tête. Image attachée: