ah ! Raga ! ! je crois que je vais prendre plaisir à cette réponse..
tu ne sais pas si bien dire...
"Et c'est pas parce que vous avez réussi à réserver votre billet de train que tout roulera ensuite"..
MOI, j'ai failli "aller au poste", parce que j'avais fait exactement la même chose que toi
- heureusement, j'avais pris un "joker"
- tristement, ce sont mes nouveaux amis (le père) qui ont failli me causer des ennuis, de beaux ennuis... (sans doute une nuit en rase campagne)
j'ai quitté
Bombay vers le 13 février, j'ai stoppé à Khandwa pour aller à Omkareshwar.. puis j'ai repris le train pour Itarsi puis Pipariya...
sur le quai, à Khandwa, m'apercevant que mon train a six-huit heures de retard (annoncé), je m'informe sur les prochains trains et vais rapidement faire confirmer ces infos au bureau du chef de gare..
2 ou 3 personnes sont là, plutôt affairées, dont le chef, qui m'informe qu'un train arrive bientôt, qui va lui aussi à Itarsi..
il veut voir mon ticket.. je le lui montre et très poliment lui demande d'inscrire le nom du nouveau train que je vais prendre, sur ses conseils... il fait mieux, il inscrit une courte phrase en hindi, signe et.. appose un petit tampon rond comme une pièce de dix centimes d'euros. encre rouge. joker !
je remercie trois fois (je le fais souvent, toujours pour les touristes qui sont des chiens) ces 3 hommes efficaces, je repars sur le quai et mon train de fortune arrive cinq minutes plus tard ! une aubaine...
je monte, avance au milieu du wagon, choisis un compartiment avec des places libres (couloir à gauche, compartiments à droite)
... et me retrouve avec une famille de 4 personnes, parents et enfants assez jeunes mariés (20-25 ans); bien sur, ce sont ses parents à lui, le jeune (la fille quitte presque définitivement sa famille lorsqu'elle se marie et "intègre" (parfois mal) la famille de son mari. (il y a aussi un mec seul, qui m'aide à placer mon sac sous le siège, sous mes fesses).
le père, classe moyenne-aisée, m'adresse la parole et comme assez souvent, la mayonnaise prend; je suis sous le feu d'une trentaine de questions, mais pas les plus convenues, ni les plus bêtes
j'équilibre la conversation en posant les miennes... il est retraité de l'armée de l'air, a été pilote.. nous parlons bien sur du développement du pays, mais aussi (plus tard) de la corruption.. au bout d'une demi-heure, parce que j'ai quitté Omkareshwar à 5h45 et que je me suis levé une heure plus tôt, ne voulant rien négliger pour le succès de mon transit, que j'ai d'abord porté mon sac puis pris un bus, je pique un peu du nez, puis un peu plus encore et les enfants (les jeunes) s'en aperçoivent, surtout la fille, futée, qui se met à sourire lorsque je la regarde..
mon effort dure une demi-heure, j'ai de plus en plus de mal à regarder et écouter mon nouvel ami pilote retraité et sa belle-fille fille sourit de plus belle avec complicité... alors son jeune mari explique poliment à son père, très bavard, que je dois être un peu fatigué.. j'explique que je me suis levé tôt.. etc..
suit une demi-heure de calme / repos. je somnole.
on reprend la conversation et le père en est très heureux; je fais parler les enfants, le fils surtout, qui en rajoute une couche sur la corruption, me décrivant ce phénomène comme un malheur quotidien pour l'
Inde, n'hésitant pas à me dire que sur 100 donnés/affectés par le gouvernement central pour tel ou tel projet (routes, lotissements, autres infrastructures..).. seulement 10 (dix pour cent) arrivent au bout de la chaine d'intermédiaires et sont consacrés au bitume, aux machines et aux autres couts de matières et main d'oeuvre.. 90 sont détournés, volés, sur le chemin des intermédiaires et intermédiations !..
(ce phénomène me sera répété trois semaines plus tard, vers
Agra, par un autre indien, avec la même tristesse)
revenons à notre conversation : le temps passe, mes amis m'offrent une partie de leur repas, on remballe et nettoie ses doigts et soudain je commence à m'inquiéter des arrêts que ce train réalisera, ce qui est basique puisque je ne suis pas dans mon train réservé. mes amis vont jusqu'à Jabalpur, puis ils monteront jusqu'au pèlerinage d'
Allahabad, qui aura lieu dans une semaine.
normalement, sans en référer à mon billet, j'estime mon trajet à six heures (je devais prendre un bus à Pipariya avant qu'il ne soit tard, afin d'arriver à destination avant la nuit, ce qui se produisit) et déjà quatre heures au moins ont passé (la compagnie/conversation permet ces raccourcis surprenants)... la question qui m'importe est : "ce train stoppera t'il à Pipariya, petite station ??
le colonel prend les choses en main (c'est maintenant mon ami) (aïe, je sens le dérapage probable) me pose cinq nouvelles questions et me demande au bout de trois minutes mon billet.. je fais semblant de ne pas avoir entendu mais à la seconde demande, j'obtempère.. jouant les passagers très à l'aise.
Il lit alors attentivement tout ce qui y est indiqué (silence dans les rangs), réfléchit en s'immobilisant et m'assène "ce train-ci n'est pas celui qui est inscrit sur votre billet".. il y a un p.. (bingo !)
je le coupe et lui explique rapidement que j'ai vu le chef de gare et que tout est en ordre... mais le ver est dans le fruit ! "ça" n'est plus limpide et... si... en dépit de ma bonne tête et de ma bonne humeur.. j'étais un resquilleur ??!! un "riche" resquilleur puisque occidental (mes traits me trahissent), bien que presque anglophone aussi....
pour lui la solution est simple : faire venir le contrôleur (re-aïe) et déjà il se lève. dans le compartiment et sur le bout de couloir en face, on a les oreilles grandes ouvertes.. nous sommes en soap-opéra "live" : mieux qu'au cinéma. plusieurs autres personnes s'inquiètent pour moi "ce train fera t'il halte à Pipariya" et le bouche à oreille fonctionne à plein.. des informations fiables reviennent d'un compartiment voisin : ce train marquera bien l'arrêt à Pipariya ! un bon point.
mais je sens que plus le temps passe, plus ma situation devient critique, celle d'un passager clandestin ! je ne suis pas dans le "bon" train... mon ami-colonel continue d'être tracassé (après trois heures de conversation fraternelle avec moi !); je l'intrigue...
je dois agir ! premier objectif : récupérer mon billet.. second, dissuader le colonel d'appeler le contrôleur ! (troisième éventuellement : sauter du train au prochain arrêt, plus difficile avec mes deux sacs et la foule..)
quels moyens mettre en oeuvre : a - le fond : ré-expliquer de meilleure manière ma situation et montrer le tampon sur mon ticket, la signature et le petit mot inscrit en hindi "ce passager, cousin en ligne directe de Tamerlan et de l'empereur Ashoka eux-mêmes, se rend à
Khajuraho pour faire connaitre au monde occidental (et à ses amis) son festival annuel de danses classiques; laissez-le passer !"
b - la forme : prendre les choses en main.. (un voyage réussi en
Inde est la preuve qu'on a su le faire au moins une fois par semaine, le contraire mène au désastre et à la tristesse), ce que je fis immédiatement, sentant que mon destin m'échappait !
je regardai mon colonel droit dans les yeux et lui dis "regardez bien ce qui est écrit avec le tampon : c'est lui, le chef de gare, qui m'a conseillé et autorisé à monter dans ce train de remplacement et bla bla bla.. juste cinq minutes avant son arrêt à Khandwa. (il faut parler des lieux et des hommes comme si on les connaissait, ça donne une grande autorité, partout, surtout dans les affirmations péremptoires.. exemple "Mitterrand est moins con que Chirac" (je ne les ai jamais rencontrés !) et ça marche !
mon colonel reprend mon billet, l'ausculte à nouveau, semble découvrir le pourquoi de ces annotations et du tampon et soudain me dit, encore une fois très sur de lui "oui, c'est bon, puisque vous avez le tampon et la signature" ! !
toute l'
Inde est Là !.. n'était-ce pas inscrit dès le début ?.................. ah ! mon colonel comprend enfin que j'ai été très réglo (et moi je constate à quel point mon idée de la signature et de la phrase en hindi étaient futées)
on ne rigole pas en
Inde avec les autorités, surtout celles des chemins de fer, ni avec la règlementation, partout. chaque voyageur doit s'en souvenir.
dans les faits, ça coince de partout et de plus, avec la modernisation de tout, l'administration ne suit pas l'économique (comme partout) et il faut enfin compter en
Inde avec la loi sacrée "moi d'abord" et "j'ai le pognon, j'ai donc le droit".. d'où un croissant imbroglio qui occupe les uns et emmerde les autres !
40 minutes plus tard, je suis descendu sur le quai de Pipariya, et mon colonel, son fils, qui attendaient la station avec autant d'impatience que moi, sont descendus eux aussi; les voyant rester sur le quai avec moi, j'avais peur qu'ils ne loupent leur départ.. laissant leurs femmes aller devant.. avec les bagages !
juste avant que le train ne redémarre (avec eux montant les derniers !) nous nous sommes donnés une forte accolade, avec effusion de bons vœux et sympathie, des mots forts et des promesses de contact par mail, rapidement bien sur... (je leur avais donné le mien). une accolade qui collait fort.
...
comme cinq autres fois durant ce mois indien, où les effusions furent sincères et intenses, je n'ai aujourd'hui reçu aucune ligne de tous mes nouveaux amis.. je ressens encore la chaleur de nos au-revoir et devant leur silence je ne peux dire sur leur compte qu'une seule phrase, qu'on adresse habituellement aux enfants "les indiens sont souvent des polissons, des coquins"... à moins qu'ils ne soient très affairés avec le développement économique effréné de leur pays, ce qui est aussi plausible. (même retraités de l'armée !)
à Pipariya et aux alentours, dans l'
Inde profonde, j'ai trouvé des gens simples et pauvres plus heureux qu'il y a quelques années. davantage de sourires aussi. moins de misère. ça m'a fait plaisir.
j'ai pensé à ce milliard d'êtres humains morts dans la misère, dans ce pays, depuis un siècle. êtres humains nés un siècle trop tôt. il faudrait faire moins d'enfants, afin qu'ils soient plus heureux, tout le temps.
pour moi non plus, Raga, ya pas eu de contrôle (du contrôleur) : ouf !.. imagine qu'il ait décidé d'en faire part à sa hiérarchie..
ça doit être pour cela qu'on donne des visas de six mois pour Inde..