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Luigi Nono : un nom. Une œuvre musicale. La musique d’un nom. Le nom d’une musique » (Edmond Jabès, poète et ami de L.N.)
En souvenir d’un grand compositeur
Ses œuvres sont provocantes et tout de même destinées au peuple : le compositeur Luigi Nono est l’un des plus grands représentants de l’avant-garde d’après-guerre, qui a donné des impulsions importantes pour la Nouvelle Musique. Le 8 mai 1990, il est décédé dans sa ville natale, Venise. Trop tôt...
Depuis les années 50 – la grande époque de la musique d’avant-garde se forgeant essentiellement à
Darmstadt et Donaueschingen –, Luigi Nono fait sans aucun doute partie des compositeurs les plus importants de l’histoire de la musique contemporaine (avec Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luciano Berio, György Ligeti, etc.). Désigné comme le compositeur le plus politisé de sa génération, Nono et sa musique ont été le carrefour des débats esthétiques et idéologiqes les plus importants : musique et politique, texte et musique, signification textuelle et sémantique musicale, technique sérielle et expression artistique, technologie moderne et idéologies, les problèmes essentiels de la musique sont fortement remis en question. Estimé par les professionnels de la musique contemporaine, utilisé et de la même façon abusé pour des enjeux politiques, Nono reste une figure énigmatique extrêmement attrayante, trop peu comprise par ses contemporains, et ce fait est encore valable même trois décennies après sa mort...
Luigi Nono reconnaît très tôt la parenté entre les musiques des différentes époques et les arts : son grand-père était peintre, son oncle Urbano sculpteur. Au Conservatoire de
Venise, Nono entre en contact avec la musique vocale polyphonique de la Renaissance. De plus, la Seconde Ecole de Vienne (Schönberg, Berg, Webern) et des compositeurs comme Strawinsky et Bartók ont également une influence énorme sur lui dès le début. Etudiant des Cours d‘été internationaux de
Darmstadt, il s’associe à des étudiants d’Arnold Schönberg. En 1955, une fille de Schönberg, Nuria, devient son épouse.
Ses œuvres des années 50-70 peuvent être considérées en fonction de leur inscription dans une idéologie marxiste et gramscienne (
Il canto sospeso / Canti per 13 / La terra e la compagna / Varianti), et on rencontre les thèmes qui préoccupaient la Gauche européenne à l’époque : la guerre d’
Algérie (
Intolleranza), l’assassinat de Malcolm X (
Contrappunto dialettico alla mente), la guerre de
Vietnam (
Siamo la gioventù del Vietnam), le mai 1968 (
Musica-Manifesto n.1 : Un volto, del mare – Non consumiamo Marx), le Holocaust (
Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz), des mouvements de libération en
Amérique du Sud (
Como una ola de fuerza et luz), le monde du travail au capitalisme (
La fabbrica illuminata) etc.
Dans la deuxieme moitié des années 70, Nono change lui-même le cap : des œuvres comme
Con Luigi Dallapiccola (1979), le quatuor à cordes
Fragments: Silence, A Diotima (1979-80) ou le deuxième journal polonais
Quando stanno morendo (1981) dépassent même les attentes de ceux qui ne le soupçonnent pas d’être un "
compositeur engagé", étant d’abord perplexes face à un Luigi Nono changé aussi bien sur les plans humain que compositionnel, jugeant les quelques idées d’autrefois obsolètes et démodées et exigeant absolument de "
mettre l'imagination autant que possible en avant".
La période artistique de Nono qui suit et dure jusqu’à sa mort, est en particulier marquée par une seule œuvre monumentale,
Prometeo. Tragedia dell’ascolto, un drame qui ne se passe que dans et avec les sons, un drame entre la musique et les auditeurs. Pour le compositeur, ce "Prométhée", basé sur un collage de textes fragmentés qui vont d’Äschylus jusqu’à Walter Benjamin, en passant par Goethe, Rilke, Hölderlin et Nietzsche, et cela en italien, grec et allemand, ce Prométhée donc correspond à "
un voyage d’une île à une autre île", à un labyrinthe dans lequel les chemins se croisent et se perdent. Prométhée incarne la situation humaine actuelle : "
L’homme et la loi, l’homme et sa recherche continuelle de l’inconnu, l’homme et la construction des nouvelles lois et leur transgression. Prométhée, c’est l’homme avec son éternelle soif de nouvelles terres et de nouvelles frontières. C’est la révolte contre la restauration qui empêche l’arrivée des temps nouveaux" (Luigi Nono).
Fondazione Archivio Luigi Nono
Voici mes "charts Nono" (pas dans cet ordre, mais tout à recommander vivement !) :
i) Il canto sospeso* : Barbara Bonney, Susanne Otto, Marek Torzewski, Rundfunkchor
Berlin, Berliner Philharmoniker, Dir. Claudio Abbado (Sony)
ii) Polifonica – Monodia – Ritmica / Canti per 13 / Canciones a Guiomar : Angelika Luz, United Voices, Ensemble UnitedBerlin, Dir. Peter Hirsch (Wergo)
iii) Como una ola de fuerza y de luz /...sofferte onde serene... / Contrappunto dialettico alla mente : Slavka Taskova, Maurizio Pollini, Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Dir. Claudio Abbado (Deutsche Grammophon)
iv) Prometeo. Tragedia dell’ascolto : Ingrid Ade-Jesemann, Susanne Otto, Helena Rasker, Peter Hall, Solistenchor Freiburg, Ensemble Modern, EdHSS, Dir. André Richard, Ingo Metzmacher, Peter Rundel (EMI Classics)
v) La fabbrica illuminata / Ha venido, Canciones para Silva / Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz : Carla Henius, Barbara Miller, Kinderchor des Piccolo Teatro, Chor des RAI Mailand, Schola Cantorum
Stuttgart (Wergo)
vi) Al gran sole carico d’amore : Claudia Barainsky, Maraile Lichdi, Melinda Liebermann, Staatsopernchor und Staatsorchester
Stuttgart, Dir. Lothar Zagrosek (Teldec/Warner)
vii) Fragmente: Stille – An Diotima : Arditti String Quartet (Montaigne)
Hery
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Il canto sospeso est une cantate pour soprano, contralto, ténor, chœur et orchestre, écrite entre 1955 et 1956, à partir d’extraits de lettres de condamnés à mort de la résistance européenne.