(A l 'extrême sud de Goa, proche du Karnakata, se trouve un endroit magique, une plage splendide,
Palolem Beach. Quand on arrive, c'est comme si l'on pénétrait dans une carte postale de rêve.
Des palmiers d'un vert vif, une multitude de huttes, reprenant toute la gamme des couleurs pastelles, violettes, jaunes, roses, bleues, se dressent comme elles peuvent sur le sable blanc, un paysage montagneux émeraude entoure cette plage arrondie, offrant un panorama impressionnant et des couchers de soleil à rendre tendre le plus sadique des bourreaux, elle est belle, elle est très très belle...
Les indiens vivant chez elle sont d'une gentillesse exquise, j' adore la manière qu'ils ont de balancer la tête latéralement avec souplesse pour acquiescer, ou tout simplement exprimer un remerciement, un échange agréable. Nous, quand nous bougeons la tête d' un coté vers l 'autre c'est avec sévérité, pour dire non, d'ailleurs je n'ai jamais autant dis non qu'en
Inde.
Si vous voulez vous reposer loin du tumulte et de la fête du nord de Goa, si vous voulez vous relaxer, passer un bon moment en amoureux et oublier le stress occidental,
Palolem est l' endroit idéal!)
J'ai quitté
Anjuna le 16 décembre car j' avais besoin de retrouver un peu de solitude et parce que le prix des chambres quadruplait avec l' arrivée des fêtes de fin d'année, comme Goa fut une colonie portugaise, le catholicisme y est encore très encré et les fidèles arrivent en masse pour fêter Noël.
J' ai partagé un taxi avec Alex, qui partait à l'aéroport, jusqu'à Panjim, la capitale.
Je pensais y rester une nuit pour prendre le temps de trouver un ukulélé, ma guitare commençant à me manquer terriblement, mais une fois arrivé à la station de bus, j'ai très vite compris que je ne resterai pas dormir ici, je n'aime pas trop les villes en
Inde, elles sont un peu trop sales à mon goût mais je me suis quand même mis en tête de trouver le magasin de musique de Pedro Fernandes que j' avais repéré sur le net.
Une heure plus tard j'étais en train de faire la queue pour prendre un ticket de bus pour
Margao, mon nouveau jouet à la main, un ukulélé bleu Takamin.
Le bus arrive, il y a une chauffeur et une sorte de steward qui hurle, siffle et crie «
Margao » et le nom de tous les villages où le bus va passer. Je monte, m'installe à l'avant avec mes deux gros sacs qui prennent beaucoup de place dans ce car très rustique, je suis le seul étranger.
A
Margao, la même scène, changement de véhicule, et à nouveau un type qui hurle, siffle et crie «
Palolem » et tous les noms de villages où le bus va passer, je me régale à regarder et écouter ce type qui passe ses journées entières à gueuler.
Dans les villages, le bus ne s' arrête quasiment pas, les passagers doivent le prendre en marche, et presque sauter pour en sortir.
Le voyage jusqu' à
Palolem m' a couté la maudite somme de 70 roupies (1 euro).
A peine descendu du bus, des gars me sautent dessus pour me proposer une chambre:
« - Hey my friend! Tu cherches une chambre? Tu veux quoi, cher, pas cher?
- Pas cher!
- J' en ai pour 500 roupies!
- Je t'ai dis, pas cher!
- Ok my friend, pas de problème, pour toi je te la fais à 400 roupies!
- 300!
- My friend, donne moi un peu plus, 350!
- 300!
- Ok my friend, suis moi! »
Il porte un maillot de foot avec un écusson « yin et yang », je lui demande:
« - C'est quoi ton maillot? » lui montrant l'écusson.
« - Çà my friend, c'est que je fume trop, c'est pour cacher les trous de boulettes! Tu veux quelque chose?
- Non merci! »
Je le suis, nous marchons le long de la plage, il tient à tout prix à porter mon sac, je pénètre dans le
San Francisco Camp. Dans la première hutte qu'il me présente, il n' y a même pas de ventilateur.
« - T'inquiètes pas my friend, je te le monte de suite.
- Non, je ne veux pas de cette chambre.
- Ok, je t'en montre une autre, mais c'est plus cher!
- Non, tu m'as dit 300, c'est 300.
- Ok, je te la fais à 300, mais tu dis pas le prix, car eux là, ils payent 500, et les russes 700.
- Marché conclu! »
Je prend place dans ma cabane violette, les toilettes et la douche ne sont pas terribles mais je suis à 100 mètres de la Mer d'
Oman. C'est la première fois depuis que je suis parti, que je ne dors pas dans un dortoir. Je vais rester dix jours ici.
Les premiers jours, je profite du fait de me retrouver seul, car à
Anjuna je ne l'étais jamais, je lis, j'ai acheté l'Alchimiste traduit en anglais, c'est une bonne façon pour moi de tenter d'amadouer la langue de Shakespeare, j'écris continuellement, j'écoute de la musique, me baigne, bronze, le soir je sors boire un verre et me pose ensuite sur le sable pour jouer du ukulélé et fredonner mes airs préférés, je ne cherche pas à rencontrer des gens.
Mais curieusement, quand on essaye de s'échapper un peu, qu'on utilise des outils tels qu'un instrument de musique ou une caméra sur un trépied, ça les attire.
Ma première rencontre fut Emmanuel, un polonais, j'étais en train de jouer, il est arrivé à coté de moi et a crié d'une façon enthousiaste « UKULELE!!! », puis il est parti.
Il est revenu cinq minutes plus tard, me demandant s'il pouvait s'assoir.
Deux chiens noirs nous ont rejoint, nous étions sur leur territoire, ils estimaient sûrement être dans leur droit en nous réclamant des caresses, ils se sont allongés à coté de nous, se levant de temps en temps pour chasser d'autres chiens et les inviter à passer leur chemin.
Nous discutons de nos voyages, il a un rire bizarre, fort et aigu, je lui fais la remarque, il me dit
« I'm a traveller, I'm not ordinair », c'est ce que je retiendrai de lui, ça et le fait qu'une bonne vodka doit avoir le goût de l'eau. Avis d'un spécialiste!
Le lendemain je récidive, même endroit, même position, un mélange de vodka et de jus de pomme pour l'inspiration à porté de main.
Cette fois-ci, ce sont de jeunes indiens qui viennent s'installer à mes cotés, ils sont trois, ils ne parlent pas anglais. Je leur fourni des cigarettes, ils boivent dans ma bouteille, et tiennent absolument à tester mon instrument bien qu'ils ne savent pas en jouer, ils grattent les quatre cordes à vide et chantent. L'un des trois me le redonne, je lui dis « Thank you », ils répètent tous les trois « Thank you » et rigolent, je leur demande « comment dit-on thank you en indien », ils me répondent « comment dit-on thank you en indien », j'étais bercé entre deux sentiments, l'un qui me disait ce moment est génial, et un autre qui me disait de me méfier d'eux craignant qu'ils partent en courant avec mes affaires, finalement ils ont bu un peu et sont retournés d'où ils venaient.
Un autre soir, je me préparait à participer à une « Silent Party » (ces soirées sont très appréciées dans le coin, car les autorités ont sévi en matière de nuisances sonores, la musique est censée s'arrêter à 22 heure, le principe consiste à faire la fête avec un casque hifi sur la tête, je sais, c'est bizarre comme concept), j' étais sur le chemin pour aller au club, sur le flanc rocailleux de la plage, lorsque j'ai croisé un vendeur de cigarette assis tranquillement devant son stand :
« Hello my friend » me dit-il comme tous les indiens.
« - Je n'ai besoin de rien, j'ai tout ce qu'il me faut.
- La party n'est pas encore commencée, pas avant une heure, assis-toi si tu veux en attendant.
- D'accord, merci. »
Il s'appelle Yeshwant, il est né à Goa, il a 24 ans, il n' a ni femme ni enfants et n' a jamais connu les joies de l'amour.
Nous nous racontons nos vies, réalisant le décalage qu'il y a entre nos quotidiens. En revanche nos façons de penser se rejoignent sur beaucoup de points.
Il gagne 300 roupies par jour (5 euros), il aimerait un jour avoir son propre magasin, il travail dur, je lui explique brièvement comment attirer des clients occidentaux, lui conseille d'oublier les phrases toutes faites employées par 95 % des commerçants de Goa, de ne pas brusquer les éventuels clients et de les accueillir comme il est en train de le faire avec moi.
Il est frustré de voir tous ces touristes russes dépenser sans compter leur argent dans l' alcool, il les trouve froids et irrespectueux.
Peu à peu, trois de ses amis viennent s'installer à nos cotés, puis Shakar fait son apparition.
Ses cheveux sont longs, son bouc est finement taillé, il vient d'
Hampi, il a 25 ans, est marié et a trois enfants, il vient six mois par an pour faire la saison à
Palolem.
Il me dit qu'à cette époque de l'année, il ne doit pas y avoir de bruit le soir, pour ne pas perturber la quiétude des riches touristes. Nous philosophons.
« Avec l' état d'esprit que tu as, ne vas pas dans cette soirée à 500 roupies, ne fais pas comme les autres touristes, tu sais ce que cette somme représente pour nous », me dit-il.
Je lui réponds:
« Je ne veux pas prendre de casque, je veux juste y aller quelques minutes pour filmer, car ce concept me parait étrange, je n 'arrive pas à comprendre comment on peut s'amuser et communiquer avec un casque sur les oreilles, c'est un truc de fou, je ne veux surtout pas payer les 500 roupies, je veux juste observer, avec cette somme je peux dormir deux nuits! »
Il rigole, je les quitte après leur avoir offert une boisson à chacun, c'est un minimum si on veut créer des liens avec des indiens et tenter de les comprendre, j'arrive à la soirée.
Un gars qui fait la sécurité, un grand blond, me réclame le droit d' entrer, je lui explique que je ne veux pas de casque:
«- C'est un club ici! Même sans casque, tu payes!
- Ta soirée est une escroquerie mec, ciao! »
Je suis retourné avec mes nouveaux amis.
Je n'ai pas testé pour vous la Silent Party !
Deux jours plus tard, je pensais passer une journée ordinaire, je tenais absolument à filmer un coucher de soleil dans son intégralité, en vu de réaliser une scène comme dans « Breaking Bad », un plan fixe en lecture accélérée.
Au moment ou j'installe mon trépied, j' aperçois une fille devant moi, elle est assise sur le sable, regarde en direction du soleil.
Je continue mon petit manège, peaufine mes réglages, et le temps que je relève la tête elle s'était levée et passait à coté de moi, une fois qu'elle fut hors de mon champ de vision je me suis retourné pour la regarder, elle s'est retournée au même moment et nous avons fait instantanément le geste inverse faisant mine de ne pas nous regarder.
Elle m'intrigue, elle est jolie, elle a un tatouage « dalien » sur l'épaule gauche, la peau matte, des cheveux mi-longs ondulés, mais je continue à me concentrer sur ma caméra car je n'ai plus que 51 minutes de charge de batterie, il est 17h19, et le soleil se couche vers 18h30, il faut que je calcule bien mon coup pour ne pas rater la fin du spectacle.
Le temps d'avoir ce raisonnement et de patienter un peu pour commencer la prise de vue, la demoiselle s'est assise derrière moi, je ne peux m'empêcher de me retourner pour la regarder, il faut que j'aille lui parler mais je ne peux pas laisser mon matériel en plan.
Je me retourne à nouveau, elle n'est plus là. Elle est de retour dix minutes plus tard.
Finalement c' est elle qui va venir me demander du feu.
Elle s'appelle Maria, elle est portugaise, elle est passionnée de yoga, nous discutons, elle cherche une de ses amies, une fois l'avoir retrouvée elle me fait deux bises (en général, les voyageurs ne se font pas beaucoup la bise), me dit à demain :
« - Peut être à ce soir!
- Tu es dans le coin ce soir? Si tu me vois, appelle moi!
- Avec plaisir! »
Je ne l'a reverrai que le lendemain, la croisant dans la rue principale:
« Tu fais quoi là? » lui dis-je.
«-J'ai envie d'aller me poser à l'ombre, si ça te dis.
- J'ai juste un petit truc à faire, je te rejoins. »
Nous passons dans la zone « off » de
Palolem, celle où les locaux vivent, celle qu'on ne voit jamais dans les cartes postales, « The Dark Side Of The Beach » où « La face cachée de la plage » selon votre convenance, je n'étais pas encore venu de ce coté.
La veille, Maria me parlait de dualité, qu'elle était présente partout, spécialement ici, je suis en train de comprendre ce qu'elle me disait à la vue de ces maisons en bois en triste état.
Nous nous posons au pied d'un arbre, elle me parle de yoga, de respiration par le nez, me demande si j'en ai déjà fait.
Je lui dis que j'ai essayé de méditer quelques fois, seul, sans enseignement, après avoir lu des livres, et que je sais juste que pendant nos moments les plus heureux, nous respirons toujours par le nez.
« -Je peux te montrer si tu veux, me dit-elle,
- J'aimerai beaucoup! »
Et me voici en train de prendre mon premier cour de yoga, dans l'arrière décor, au milieu des cochons sauvages, sous des arbres.
C'est surréaliste, je suis sous le charme, j' apprend à sentir l'énergie cosmique, je tiens en équilibre sur une jambe, l'autre jambe repliée, les mains jointes, en l'air, le dos droit, le regard fixe, les abdominaux tendus, je tremble un petit peu par manque d'expérience, mais je ne m'en sors pas trop mal selon les dires de ma nouvelle prof.
Je vais rester quelques heures en sa compagnie, elle doit bientôt partir dans le nord de Goa.
Merci Maria.
Le soir même autour du feu devant le
San Francisco Camp, je fais la connaissance de Arnaud et Caroline, un couple de parisiens, il est professeur de lettre, elle enseigne la biologie.
Je vais passer la fin de mon séjour en leur compagnie, passant le réveillon de Noël avec eux, partageant le foie gras que ma soeur m'a offert avant de partir et une bonne bouteille de vin blanc chilien.
Ils sont très intéressants, cultivés, Arnaud joue de la guitare et chante, ça rapproche.
Un soir, après avoir bu le digestif sur la terrasse de leur hutte, après avoir parlé de liberté, de religion, d'histoire, de voyages, nous sommes retournés autour du feu, euphoriques.
Mon regard était perdu dans les flammes, dans l'instant présent.
Caroline essayait de m'interpeller depuis une bonne minute sans que je n' ai la moindre réaction, elle m'a fait réagir en disant:
« Ça y'est, on a perdu Steven! »
Elle sait très bien que je me nomme Vincent, pourquoi m'a-t-elle appelé Steven, Steven qui est un ami, un personnage qui me manque beaucoup. Je ne l'ai pas vu depuis longtemps.
Elle aurait pu, pour s'amuser, m'appeler par n'importe quel prénom, André, Jean-Louis, Sebastien, mais non, elle a choisi Steven.
Je leur raconte son histoire, ils sont abasourdis.
Il y a de drôles de coïncidences dans la vie, ou pas....