"Le meilleur qu'on puisse ramener du voyage, c'est soi-même, sain et sauf." (proverbe persan)
L’
Inde a nourri mon imaginaire. Adolescente, j’ai lu “l’homme qui voulu être roi” de Rudyard Kipling en me forgeant l’idée que l’
inde est le pays où la folie des hommes peut s’exprimer.
Premiers jours d’octobre 2012, riche d’un billet
Bruxelles/
Delhi, Chennaï/
Bruxelles et munie du précieux visa, je doute encore de mon envie de partir. Noyée sous l’avalanche des recommandations et influencée par ces voyageurs qui ont “fait” l’
Inde, je n’ai pas d’itinéraire. Je pars le mois prochain, c’est certain. Mais quelle route emprunter ?
Varanasi,
Darjeeling,
Agra,
Mysore.... Tous ces lieux m’attirent et me repoussent. Mon entourage me regarde comme une espèce rare : “tu pars seule ? tu n’as pas froid aux yeux !”
A près de cinquante ans, je ne suis pourtant pas téméraire, un peu perdue sans doute, avec pour seule envie : foutre le camp. Renouer avec ces poussées d’adrénaline qui me rappellent que je ne suis pas morte. Mon quotidien m’ennuie. Ma vie ne me captive pas et mes amours sont incertaines. Partout dans la ville, des affiches électorales défigurent les lieux publics mais la continuité annoncée des politiques stériles ne me tient pas en haleine.
Où aller ? Une seule certitude : ne rien emporter de ce qui me leste au quotidien. Réapprendre à utiliser mes cinq sens, les affuter à une réalité différente. En serais-je capable ? Ne vais-je pas prendre anticipativement un vol de retour, sidérée par cette
Inde que j’appelle à découvrir ? Vais-je me cloîtrer dans une chambre d’hôtel, n’acceptant pour toute nourriture que celle qui me rappelle mon pays d’origine ? Quelques jours encore et je saurai à quoi m’en tenir ! Quelqu'un m’a dit, on ne revient jamais intact d’un voyage en
Inde et c’est probablement ce qui m’y précipite. Comme une mise en abyme de moi-même.... Goûter aux silences. Ceux de l’homme que j’aime et qui me fuit, le silence des nuits blanches. Réapprendre à vivre dans une réalité décalée, plus consistante. Renouer avec le goût des choses après cette longue traversée au bout de mes certitudes... La folie, c’est ce présent : tu m’aimes mais tu me quittes et tu n’en finis pas de revenir, comme si cette trahison, cette infidélité, t’avais emporté bien plus loin que de l’autre côté du monde dont il ne faut plus quatre vingt-un jour pour faire le tour.
14 novembre 2012
Une grève générale paralyse
Bruxelles. Xavier m’accompagne à l’aéroport mais la circulation nous empêche d’avancer. Après quelques moments d’anxiété, nous arriverons bien à temps.
Je viens d’embarquer. Je me suis rappelée du temps où tu étais présent dans toutes les circonstances importantes de ma vie... celui ou tu n’aurais pas manqué de me dire : que tout se passe bien ! Une prière ?, un souhait ?, une formule que tu répètes par habitude ? Le froid de novembre m’a glacée jusqu’au sang. Ton absence me crucifie. Pourtant, qui sommes-nous encore l’un pour l’autre ?
Le vol sera rythmé par la valse des plateaux repas que l’on nous sert à intervalle régulier dans le but de calmer l’angoisse ou l’impatience, c’est selon... Même pas peur. Il y a dans la fuite en avant quelque chose de jouissif, une espèce d’hyper oxygénation du cerveau qui rend euphorique. Pourvu que ça dure.... Je voyage léger. Le strict nécessaire ne pèse pas lourd dans mon sac à dos. Mon bagage est vide, ma tête est vide. J’efface l’ardoise afin de pouvoir y écrire une un nouveau début à notre histoire, ailleurs. Avec une fin heureuse cette fois. Comme dans les contes, ça commence par : « il était une fois »...
Dans une dizaine d’heures, à l’issue d’un vol interminable et d’une escale de deux heures à
Abu Dhabi, je foulerai enfin le sol du sous-continent indien. A l’arrivée, rien n’est prévu. Place à l’improvisation ! Ne pas penser surtout. Mettre un pied devant l’autre. Aller de l’avant. Et dire qu’hier encore tu me disais : « sois prudente ». La prudence, elle, tu ne t’en es jamais départi.
New Delhi4h du matin. L’aéroport est étrangement vide et les quelques personnes présentes semblent bouger au ralenti. J’hésite : vais-je sortir affronter la foule du dehors ou attendre en sécurité que le jour se lève. Finalement je me décide à sortir. Pour mon premier voyage en
Inde, ce que j’ai lu à propos de
New Delhi m’a convaincue d’en reporter la visite à plus tard. Je me rends au terminal des vols intérieurs direction Vârânasî. Pourtant, à cet instant précis, je me sens fatiguée et j’ai terriblement envie de stopper là. Nous sommes au milieu de la nuit. Il règne une chaleur moite. Ma méconnaissance de l’anglais et les difficultés que je pressens à me faire comprendre me nouent les tripes. J’ai les jambes qui tremblent. En fait tout mon corps tremble. Le contrecoup sans doute. Je suis seule. Je ne connais personne. Je repère une table derrière laquelle deux hommes dispensent les tickets pour la navette qui relie les deux aéroports. Ils me réclament mon passeport et mes tickets d’avion. Remarquant qu’il me reste de longues heures avant le départ de mon prochain vol, ils essaient de me dissuader de me rendre à l’aéroport des vols domestiques, prétextant le manque de confort et l’absence de sièges. Perplexe et n’ayant pas d’autre choix : impossible de rebrousser chemin ; je décide néanmoins de partir. Une fois à l’aéroport, mes craintes s’apaisent. Quelques heures à tuer. Le temps ici n’est pas un problème. Je suis à l’orée du chemin. La route se déroule devant moi. Un pas après l’autre. Il faut juste que je m’acclimate au milieu ambiant.
Vârânasî
Comme convenu, l’hôtel a envoyé un taxi pour me prendre à l’aéroport, le chauffeur est de mauvais poil parce que mon vol a pris du retard. J’avais oublié à quel point la circulation en Asie peut être éprouvante. Une marée de véhicules jetée sur la route et n’obéissant à aucun code se dispute le moindre espace disponible. Je suis saisie d’une grosse frayeur lorsque nous doublons un troupeau de vaches par la droite : nous roulons à contresens, au milieu d’une circulation totalement surréaliste. Dans ces conditions, le trajet semble durer une éternité. Après une heure de route, soudain, le taxi stoppe sa course. – je ne vais pas plus loin ! Les ruelles qui bordent le Gange sont trop étroites pour que j’y circule. Descend, ces hommes vont te conduire à ton hôtel... Deux hommes sont là, à l’allure peu engageante. L’un d’entre eux empoigne mon bagage et nous voilà partis ! Tout en progressant à l’aveugle derrière ces hommes marchant d’un pas rapide, j’ai l’impression de laisser derrière moi mes certitudes d’européenne. Rien ne m’a préparée au choc que je ressens en slalomant dans des ruelles sordides pour tenter d’éviter les vaches, les excréments, les mendiants et les sâdhus. Je parviens à l’hôtel dans un état d’hébétude, je suis fatiguée. Le confort de ma chambre est rudimentaire : salle de bain partagée et toilette à la turque. La nuit tombe rapidement sur le Gange. Je décide de reporter à plus tard la visite de la ville.
Le lendemain, je m’aventure hors de l’hôtel, angoissée à l’idée d’être incapable de me repérer dans ce dédale entraperçu la veille. A peine franchi le seuil, un homme m’emboite le pas. J’essaie de le dissuader mais il a du flairer en moi le pigeon idéal. – Si tu veux suivre les touristes, tu n’iras nulle part ; fais-moi confiance, je te montrerai la ville et je serai ton bodyguard. Les burning ghats sont par là ! Au seuil d’un bâtiment, il m’indique un homme et me dit de le suivre : «lui seul, peux t’expliquer le cérémonial des crémations ». A la fin de la visite, ce dernier me promet une bénédiction à la mesure du don que je ne manquerai pas de faire. La bénédiction sera faite du bout des lèvres mais peu importe. Je m’en sors avec une poignée de roupies. A la sortie, Skai m’attend toujours, bien décidé à m’exploiter au maximum. Je décide que c’est un mal pour un bien. Il m’aide à décoder ce monde étrange. De jour nous déambulons dans les rues. Il ne manque pas de m’emmener chez un marchand de soieries, où je ferai l’acquisition d’un kurta pyjama à prix d’or. En début de soirée, je téléphone à Nitin, ami d’une amie qui m’invite à le rejoindre. Skai ne me lâche pas. En chemin un de ses amis le rejoins et je goûte moyennement le fait d’être escortée contre mon gré par ces deux hommes. Avec Nitin, par contre le courant passe immédiatement. Il m’offre un thé et me présente sa famille. Nitin cumule plusieurs métiers : vendeur de cigarette, infirmier, restaurateur et il trouve encore le temps de collaborer à l’association « Agir pour
Bénarès ». Il parle français et c’est dans cette langue que nous nous exprimons. Ensuite Skai insiste pour que j’assiste à une cérémonie au bord du Gange. Nous nous y rendons dans une frêle embarcation. La cérémonie est envoutante, je rencontre enfin l’
Inde telle que je l’avais rêvée. Skai dévoile ses batteries et me demande de lui offrir un cadeau en remerciement de ses services. Il réclame un gsm. Je trouve la note salée. Il me fixe rendez-vous le lendemain matin à 05h30 prétextant une autre cérémonie importante sur le Gange.
Le lendemain matin, je me lève sans aucune envie de faire un tour en barque. Je suis fatiguée, j’ai froid, parfaitement insensible à la magie du moment : je suis lassée de Skai. Nous nous dirigeons vers les burning ghats, j’ai l’impression de faire du voyeurisme en assistant à la toilette du matin. Il n’y a pas de cérémonie : juste un parfum de mort, des corps que l’on brûle, des éléments dont il vaut mieux ignorer la nature qui affleurent à la surface et des gens qui se lavent. Je dis à Skai de faire demi-tour, je veux retrouver mon lit. Arrivés à proximité de l’hôtel, il se fait insistant. Je lui tend 150 roupies pour le trajet en barque mais il me rend mon argent avec rudesse : « n’oublie pas que je suis ton bodyguard, ça vaut bien un gsm » Il me fixe rendez-vous à 10h, bien décidé à obtenir ce qu’il veut. Je sais qu’il a touché une commission sur l’achat de mon kurta pyjama et je ne lui dois rien. Finalement, je quitterai l’hôtel à 13h sans l’avoir revu. Un employé de l’hôtel me conduit à la station de taxis, il exige 100 roupies. Le prix est trop élevé mais je n’ai pas envie de discuter. Je quitte Vârânasî avec un goût amer : j’ai conscience de m’être laissée déstabilisée par ce premier contact avec l’
Inde et de n’avoir pas su gérer mes relations avec ses habitants. D’un autre côté, m’être fait arnaquer m’a décillé les yeux et m’a appris à me tenir sur mes gardes.
Confiante, j’arrive à la gare de Vârânasî avec une heure d’avance. Je suis surprise par la foule qui s’y bouscule dans un brouhaha perpétuel. En l’absence d’affichage, je me renseigne pour savoir à quel quai arrive mon train. On me conseille d’attendre dans une salle d’attente « lady only ». Lorsque j’y pénètre, tous les regards se braquent sur moi. Bien que femme, je me sens plus incongrue que le gros rat noir qui furète en plein milieu de la pièce dans l’indifférence la plus totale.
Lorsque le train entre en gare, il est déjà plein à craquer. Une frénésie s’empare du quai. Je cherche désespérément le wagon où se trouve ma place réservée. Un voyageur essaie de me venir en aide. Nous remontons tout le train mais arrivés à l’avant, on nous indique que mon wagon se trouve au milieu du train. Le wagon enfin repéré, il est impossible d’y accéder. Le train s’ébranle, des voyageurs m’encouragent à monter sur le marchepied. Je préfère renoncer.
Mon nouveau meilleur ami – Kishu, m’accompagne au guichet pour me faire rembourser mon ticket. La somme est dérisoire : moins de 3 euros. Au guichet, des hommes crient et s’agitent. Seule, C’est sûr, je ne me serais pas acharnée. Pour compliquer les choses, c’est à un autre guichet que nous devons acheter notre place sur un autre train. Je désigne à Kishu la file du guichet réservé aux femmes qui bien qu’impressionnante est deux fois moins longue que celles des autres. C’est là que j’attendrai patiemment de pouvoir acheter nos deux tickets. Lorsque je les ai enfin, c’est pour apprendre que plus aucun train en direction de New Jalpaiguri ne quitte la gare de Vârânasî aujourd’hui. Nous devons nous rendre à Mughal Sarai, la ville voisine. Pas moyen d’entrer dans un bus. Kishu me propose de partager un rickshaw. A l’avant de celui-ci se trouvent 3 hommes ; je ne me sens pas à l’aise. Nous traversons des quartiers plus misérables les uns que les autres, des maisons faites de tôles, des gens allongés sur le bord des routes. La noirceur de la nuit fait naître des ombres effrayantes et je m’interroge pour savoir ce qui m’a pris de monter à bord de ce véhicule, seule en compagnie de 4 inconnus qui dodelinent de la tête dans un pays renommé pour ses agressions envers les femmes. Ma paranoïa est au maximum. J’ai l’impression que mon voyage va s’arrêter là. Finalement, je parviens intacte à Mughal Sarai. Là recommence une interminable attente, je suis noyée dans la foule sans aucune place pour me poser. Le quai est immonde de crasse, des grappes de rats se chamaillent le long des voies. Des chiffonnières armées de piques déambulent le long des quais pour ramasser des rebuts jetés aux milieux des excréments. Kishu et moi échangeons de la nourriture : il me nourrit de chips et de tranches de concombres ; je lui offre des madeleines et des wine gums. Il est ravi de ma compagnie. Enfin le train arrive. La même frénésie qu’à Vârânasî s’empare du quai mais cette fois je suis bien décidée à jouer des coudes. Je grimpe dans un compartiment 3ac, Kishu préfère monter en sleeper en raison de la différence de prix. J’ai soudain l’impression que tout s’arrange. Je n’ai pas de réservation mais je m’installe d’autorité sur un siège. Peu de temps après, un contrôleur arrive et je m’acquitte du prix de la place, trop contente de m’en tirer à si bon compte. Le wagon est bondé. Les voyageurs occupent le moindre espace disponible. Pour se rendre aux toilettes, il faut enjamber des corps et des bagages entassés pêle mêle dans les travées. Un indien me propose de partager son repas. Bien que peu tentée, je cède face à son insistance. Considérant qu’il a acquis des droits sur moi, il s’installe sur ma couchette. D’abord assis. Au cours de la nuit, il s’allonge et j’ai le déplaisir de sentir ses mains s’égarer sur moi. Je le chasse à coups de pieds et il finit par capituler. Bien entendu, je passe une nuit blanche.
Après un voyage de 15h en train, j’arrive à New Jalpaiguri. Moi qui m’attendais à la fraîcheur, je suis décontenancée par la chaleur ambiante. Je me dirige vers les restaurants en face de la gare pour avaler un petit déjeuner reconstituant. Le restaurant est miteux mais la nourriture me fait du bien. A peine sortie, un bus s’arrête à ma hauteur et me demande si je vais à
Darjeeling, Je vais à Mirik mais c’est la même direction. J’embarque sans hésiter. Quelques minutes plus tard, il me dépose à la station de jeeps partagées. Aucune d’entre elle n’est en partance pour Mirik. Changement de plan et en route pour
Darjeeling. La jeep attend sous un soleil de plomb de faire le plein de passagers. Nous embarquons plus de personnes qu’il n’y a de places. Un homme prend place debout sur la roue de secours. N’empêche j’apprécie le trajet. J’ai enfin l’impression de respirer, les paysages de montagnes sont magiques, les gens me manifestent une indifférence qui fait plaisir après tant d’attention. L’air sent bon.
DarjeelingLa ville est un immense bazar parcouru par un ballet incessant de jeeps qui se déplacent dans un bruit incessant de klaxons. Au fur et à mesure que je m’éloigne du centre, les clameurs s’estompent et je retrouve le plaisir ressenti lors du voyage. J’arrive en sueur à l’hôtel Aliment qui surplombe la ville. La chambre que l’on me propose ne me plait pas alors je pars faire le tour de la ville à la recherche de plus de confort. Après avoir vu plusieurs guesthouses, je reviendrai finalement à mon point de départ. L’hôtel Aliment offre l’avantage de réunir le gîte, le couvert et la possibilité de se connecter à internet sous le même toit. Mes vêtements sont trempés de sueur et je suis contente de prendre une douche avant d’aller manger. Dans la salle de restaurant, je suis surprise de constater que les gens attablés portent des vestes matelassées. Très vite, je comprends pourquoi. Dès la nuit tombée, un froid intense me saisit et c’est grelottant que je rejoins ma chambre. Je suis malade comme je ne l’ai jamais été. Mes intestins se tordent convulsivement. Je me vide de toute l’eau que possède mon corps. Je suis fiévreuse et en plus d’avoir la tourista, j’ai chopé une bonne vieille crève.
Chaque matin, je me lève à 5h30 pour admirer le lever du soleil sur les montagnes. Les jours me séparant de l’arrivé de Fabienne, je les passe à déambuler en ville. Je savoure ma liberté en me baladant au gré de mes envies je prends le toy train, je vais au cinéma, je visite le bazar, je discute avec les commerçants, je mange des momos. Tout me plait.
28 novembre. Chouette Fabienne arrive aujourd’hui. Je m’inquiète parce que l’hôtel Aliment se trouve à une distance de 20 min à pied du centre ville. Va-t-elle apprécier ? En fin d’après-midi, je décide de l’attendre à la réception. À peine me suis-je installée qu’elle débarque, souriante comme à son habitude. Elle me rassure tout de suite, elle préfère que nous soyons à distance de la cacophonie de la ville. Nous discutons de nos projets et choisissons de partir le lendemain pour le Sikkim. Le soir au resto, nous faisons la connaissance de Charlotte et Valérie, deux Suisses qui ont la même intention que nous. Aussitôt, nous décidons de faire un bout de chemin ensemble. Nous quittons l’hôtel après le petit déjeuner.
Nous partageons une jeep en direction de
Pelling. Le début du trajet est relativement morne. Nous sommeillons dans la voiture. Nous demandons à allumer la radio et le voyage prend une autre dimension. Nous sommes des gosses en route pour une colonie de vacances. Le conducteur nous fait entendre ses morceaux préférés dont « simple simple » qui va devenir pour quelques jours le tube préféré de Valérie. Nous stoppons en route pour boire un chai. Juste après avoir redémarré nous sommes arrêtés par un panneau « men at work ». Des ouvriers refont la route et pendant ce temps là, rien ne circule. Peu à peu, une file interminable de véhicules s’allonge dans les deux sens. Personne ne regrette son chai ? Interroge Charlotte. C’est vrai que sans cet intermède, nous serions passés de justesse mais la durée du trajet a peu d’importance. Nous sommes bien.
A l’hôtel nous faisons la connaissance de John, en provenance d’
Alaska, qui se joindra à nous pour une partie du voyage et du sarcastique Nathan, un breton qui nous quittera dès le lendemain. Pendant un temps trop court, nous formerons une chouette équipe pour visiter le Sikkim. Nous nous plaisons si bien ensemble que nous décidons de ne pas nous séparer aussi tôt que prévu et retournons ensemble à
Darjeeling. Avant que nos routes se séparent, nous allons manger au resto. L’ambiance devient délirante quand un groupe d’Indiens nous propose de nous joindre à eux pour danser sur l’air de gangnam star.
Mirik
Ce matin nous partons pour Mirik. Payons trois places pour voyager plus confortablement me dis Fabienne. Je refuse, convaincue que ça ne sert à rien. En effet, nous nous retrouvons à 17 dans une jeep qui peut transporter 12 personnes. Même le chauffeur se retrouve sur les genoux d’un passager. Le soleil ce matin ne s’est pas levé, nous roulons sans visibilité sur les routes de montagne et le chauffeur ne semble pas connaître l’usage du klaxon. Un pneu explose en route, en raison de la surcharge pondérale. Il nous faut une heure pour une réparation de fortune.
Le lonely planet décrit Mirik comme l’endroit rêvé pour passer sa lune de miel. Peut-être, à condition de ne pas quitter sa chambre d’hôtel.... C’est une petite localité poussiéreuse dont la principale attraction est constituée par un lac bordé d’une plage artificielle. Autour du lac, les chemins empierrés ont été pillés et nous devons progresser en évitant les cratères béants. Les réverbères sont rouillés et hors service depuis quelques décennies. Les frêles embarcations échouées n’invitent plus au voyage depuis longtemps. Sur la plage, des adolescents se promènent, garçons et filles ensemble, dans une liberté de mœurs inhabituelle en
Inde. Sur les hauteurs de Mirik se dresse un temple bouddhiste. Par un heureux hasard, nous arrivons au moment où s’achève une cérémonie. Nous assistons à une envolée de moine et de moinillons tout de safran vêtus. Ce temple fabuleux ne se visite pas mais personne ne nous en interdit l’entrée. Nous entrons, émerveillées par la splendeur du décor. Un moine attend patiemment que nous ayons satisfait notre curiosité pour refermer les portes derrière nous.
C’est ici que je me sépare de Fabienne. Elle rejoint John pour participer en sa compagnie à un festival dans le Nagaland tandis que je pars en direction de l’Orissa.
PuriJe marche le long de la route principale. J’ai laissé derrière moi le quartier où se rassemblent les touristes occidentaux. La route traverse un bidonville dont les habitants me regardent avec curiosité. Il est rare qu’un blanc déambule dans ce quartier. Mon chemin m’amène à longer un corps jeté à même la route. J’ai un doute. Peut-être est-il juste endormi ? Je vais jusqu’à l’office de tourisme, arrange une visite pour le lendemain et m’en retourne à l’hôtel. Une demi-heure plus tard sur le chemin du retour, mes incertitudes s’envolent : l’homme ne bouge pas même quand des enfants espiègles le poussent du pied.
J’embarque à bord d’un minibus. Je suis la seule occidentale parmi une vingtaine de touristes indiens. Mes compagnons de voyage appartiennent à la middle class. Ils me tolèrent mais je sens que je ne suis pas vraiment la bienvenue. Nous partons visiter différents sites au départ de
Puri. Tous appliquent des prix hindous/non hindous. L’accès à certains d’entre eux, peu nombreux il est vrai, m’est tout simplement refusé. Tout cela me frustre au plus au point. Au final, je passe une journée en demi-teinte avec une conscience aigue de mon incongruité. Il me restera le souvenir du magnifique temple du soleil à Konarak et celui mitigé des animaux neurasthéniques du zoo de
Bhubaneswar.
Gudaguda
Il suffit de peu de temps pour que la gare de Kakirigumma se vide de toute présence. Léon doit venir me chercher mais personne n’est au rendez-vous. Je m’assois sur mon bagage, décidée à prendre mon mal en patience.
- à quelle distance se trouve Gudaguda ? Je demande à une des dernières personnes présentes. 2 km me dit-il. Ce n’est pas la mer à boire ! Tu connais la chandorisai guesthouse ? Je ne risque pas de méprise : c’est le seul hébergement pour touristes à des kilomètres à la ronde. – donnes-moi le numéro de téléphone et je l’appelle, propose-t-il sauf que j’ai oublié de prendre les coordonnées. Qu’importe, il donne quelques coups de fils et me passe ensuite le téléphone : Léon me dit : « je serai là dans cinq minutes ». Une fois dans sa jeep, il m’avoue qu’il a oublié le jour de mon arrivée. Sur le trajet qui mène de la gare à chez lui, tout le monde nous salue joyeusement. La chandorisai guesthouse est une sorte de paradis clos. Les bâtiments s’articulent en forme de U. Le plus grand d’entre eux est une salle spacieuse dans laquelle se répartissent une cuisine, un espace salle à manger et living ; les autres bâtiments sont de petits pavillons qui contiennent les chambres. Tous sont tournés vers le jardin. Pour paraphraser Baudelaire : « ici tout n’est que calme, luxe et volupté ». Dès l’entrée, je suis accueillie avec une boisson fraîche, servie par une magnifique jeune fille souriante. Seule une autre chambre est occupée par un couple de canadiens. Dans le jardin et la maison, sept jeunes filles rieuses se répartissent les différentes tâches. Léon me fait servir un petit déjeuner. L’après-midi, comme il doit se rendre au marché de Koraput, il nous propose de l’accompagner. Le lendemain nous nous rendrons à pied à celui de Kakirigumma. Je discute un peu avec la canadienne. Elle me raconte son amour de l’
Inde. Son mari l’accompagne à contrecœur et quitte sa chambre le moins possible. Assez rapidement cependant, ma première impression est gâchée. Je finis par trouver l’atmosphère pesante, je me sens exclue par ces 3 anglophones qui préfèrent ne pas m’adresser la parole que de ralentir le rythme de leurs conversations pour se mettre à ma portée. Ce n’est que lors de nos rares têtes à têtes que la canadienne sort de cette réserve. L’intérêt du lieu montre rapidement ses limites et mes journées s’articulent entre lecture et repas. Insensiblement, je finis par avoir l’impression de devenir invisible aux yeux des autres occupants du lieu. Je ne parviens même plus à me faire servir une boisson lorsque le désir m’en prend. Le troisième jour, la canadienne me propose de visiter les villages alentour. Un chauffeur vient nous chercher. A peine dans la voiture, il nous dit que ce n’est pas le bon moment pour visiter parce que les villageois sont aux champs. Il me dépose à un distributeur parce que j’ai besoin d’argent, nous ramène à la guesthouse et nous donne rendez-vous plus tard dans la journée. L’après-midi, nous nous rendons à pied au village à côté où on peut voir un atelier de poterie. Nous prenons ensuite la voiture pour visiter un autre village que nous traversons à la suite de notre guide. Les villageois nous jettent des regards peu amènes : nous ne sommes visiblement pas les bienvenus. Je suis soulagée de retrouver le confort de la guesthouse. Léon a oublié de m’informer des modalités de rémunération du chauffeur, ce qui ne l’empêchera pas de me le facturer à prix d’or.
La veille de mon départ, les canadiens s’en vont et je me retrouve seule avec Leon qui prend alors la peine de communiquer avec moi. Comme quoi, avec de la bonne volonté... Ma prochaine étape est Vishakapatnam et il me suggère de réserver une chambre à l’hôtel orange dont il connait la gérante. Il m’annonce un tarif de 600 roupies. Ça me semble à priori une bonne idée et j’accepte avec reconnaissance. Au final je débourserai 2000 roupies pour une chambre dans laquelle règne une odeur infecte : merci Leon.
Vishakapatnam est seulement une escale obligée entre deux parcours en train. Pourquoi ne pas mettre cette journée à profit pour faire quelques achats ? Seulement, dans chaque magasin où je pénètre, je suis prise en charge par une vendeuse ou un vendeur qui me déballe toute sa marchandise. Aucune liberté de se laisser séduire. Après quelques tentatives infructueuses, je renonce. Ils n’ont aucune conception de ce que peut être le lèche vitrine.
C’est sans aucun regret que je quitte cette ville nauséabonde en fin d’après-midi pour la dernière étape de ce voyage. Seulement 14h de train et je serai à
Chennai.
Chennai.... Je redresse les épaules et prend l’air assuré. Une nuée de conducteurs de rickshaws affluent dans ma direction sans que je ne leur fasse l’aumône d’un regard. Je fais le pied de grue à l’arrêt du bus. Ma belle confiance se délite à mesure que le temps passe. Dépitée, je prends place dans un rickshaw. A peine à l’intérieur, un homme s’installe à mes côtés sans aucune autre forme de procès.
- Je suis guide à Mammalipuram, m’annonce-t-il le sourire aux dents
J’ai bien envie de lui dire de dégager de mon rickshaw mais je ne morfle pas. Et dire que je croyais expérimenter une technique bien rodée pour ne pas me laisser importuner. Qu’importe, à moi la mer et le farniente au soleil. Je ne vais pas me laisser gâcher les quelques journées qu’ils me restent avant mon retour.
Dans le bus de
Pondichéry, j’entends soudain une voix haut perchée parler français. Devant moi, se trouve un gentil petit couple d’expat. Je souris en entendant le jeune homme dire de manière grandiloquente à sa compagne – la
France, c’est moi. N’empêche, ça me fait du bien d’échanger quelques mots dans ma langue. Ils me conseillent de descendre à l’hôtel Bob Marley. A Mammalipuram, je dois faire preuve d’autorité pour me débarrasser de mon compagnon de voyage. Je visite ensuite quelques guesthouses dont Bob Marley pour m’arrêter enfin au Tina Blue Lodge.
Mammalipuram est une station balnéaire semblable à tant d’autres, repère de touristes occidentaux, d’hôtels et de restaurants bon marché.
J’occupe mon temps à déambuler et à faire du lèche vitrine. Chaque commerçant m’encourage à entrer dans sa boutique. De manière convenue, ils déballent leur marchandise sans grande illusion sur mes achats potentiels. Ils m’offrent le thé, nous bavardons. Nous confrontons nos opinions sur l’
Inde et sur l’Europe. Je me sens bien. Un tailleur de pierre me propose de me faire visiter les alentours à moto. Je suis tentée mais sans savoir la contrepartie qu’il sera enclin à me demander, je préfère m’abstenir. Les jours filent rapidement. Je tombe en admiration devant une statue de Boudha. Il me la faut. Je négocie ferme. Finalement je repartirai sans l’avoir achetée en regrettant de ne pas avoir cédé pour quelques dizaines d’euros.
Je quitte Mammalipuram comme une reine. Ils sont nombreux sur mon chemin, à sortir sur le pas de leur porte et à me saluer de la main.
Le temps me semble long à l’aéroport de
Chennai. Une sénégalaise me demande de surveiller ses affaires pendant qu’elle se dégourdit les jambes. J’accepte bien volontiers. Elle me sert dans ses bras à toute occasion mais elle dégage une bonne humeur qui fait plaisir. Nos chemins se séparent à
Abu Dhabi. Arrivée à
Bruxelles, c’est en vain que j’attendrai mes bagages restés en transit. Je débarque pieds nus dans mes tongs alors qu’il gèle dehors.
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