Bonjour Skanda,
Je vous fais réponse de la part de Visitation, qui a quitté ce monde suite à une attaque cérébrale, il doit y avoir deux ans et demi. Une sorte de maladie rare : une overdose de forum de voyages. Un prurit aigu et foudroyant. Le mal des claviers, qui s'insinue entre les touches et ressort la nuit.
Je vous donnerai quelques détails si vous le souhaitez. Sa fille m'a joint et m'a annoncé la triste nouvelle. Elle ne voit pas d'inconvénient à ce que je parle de lui, pour lui. Ce voyageur brillantissime, qui n'ignorait rien du cœur des hommes et des recoins et interstices secrets des femmes, avait su créer des liens riches et étroits avec quelques autres voyageurs, rencontrés en chemin. Son profil ici parle pour lui. Paix à son esprit, qui flotte sur ses cendres, c'est à dire sur les sept mers du globe, où elles furent dispersées par un enfant autiste, qui éternua sur l'urne ouverte pour l'occasion, successivement sept fois en différents lieux maritimes.
Ses récits très imagés et parfois truculents (comme le jour où il a parcouru
Delhi à dos de chameau, enjambant maints rikchos, derrière son propriétaire et conducteur, pour s'apercevoir au soir après un dernier thé à la violette que ce personnage élégant était doté d'une belle paire de riens, qu'il camouflait soigneusement sous son corsage).
Une aventure acidulée qui se termina bien, chacun d'eux s'en lassant après s'être longuement enlacé. Éperdu d'amitié nouvelle, ému jusqu'aux larmes, quitta la ville après minuit en oubliant ses chaussures basses à lacets entrecroisés, aux semelles de sisal, imputrescibles. Il fallait le voir reprendre sans fin cette histoire d'un jour et d'une demi nuit, y ajoutant sans cesse de nouveau détails, tous à la fois imagés et incisifs.
L'âme indienne est pleine de mille et un moments invraisemblables et surprenants.
Je vous dirai, cher Skandale, que vous m'avez remémoré cette anecdote, certes au premier abord tirée par quelques lacets, mais dont le fil tortueux n'a d'égal que les meilleurs récits de cette chère Razade, dont on ne se lasse point. Les lacets entrelacés de nos vies sont pour certains publics sédentaires un régal renouvelé.
Quand présenterez-vous un premier récit de votre expérience malaise ? ici ou encore au petit restau qui a nos faveurs..